II Les premières larmes

Le souvenir de cette aventure resta dans la mémoire de Jacques. Le temps put en affaiblir les détails, mais l’ensemble demeura comme un point lumineux au fond de son cœur. Depuis le jour de sa rencontre avec l’étranger, il prit un goût plus vif aux choses de la guerre. Lorsqu’un escadron passait sur la route, bannière au vent et trompette en tête, il courait à sa suite aussi loin que ses jambes le pouvaient porter et fredonnait les fanfares pendant toute une semaine. Parfois aussi il lui arrivait d’enrégimenter les enfants du faubourg et de se livrer avec eux à un grand simulacre de bataille ou à quelque imitation de siège, qui finissait toujours par de furieuses mêlées où ses bras faisaient merveille ; tout enfant qu’il était, il se montrait déjà d’une adresse surprenante dans le maniement des armes, épée, sabre, hache, pique, dague, pistolet ou mousqueton. Les mots du marchand d’Arras : Si jamais tu t’enrôles, tu feras ton chemin, bourdonnaient toujours à ses oreilles ; mais nous devons ajouter qu’il n’y avait pas d’exercice, de revue, de combat et d’assaut que Jacques n’abandonnât volontiers pour suivre Mlle de Malzonvilliers, quand elle allait avec Claudine chercher des fraises dans les bois. Dans ces occasions, qui se renouvelaient tous les jours, le petit général soupirait de tout son cœur et demeurait tout interdit lorsque la main de Suzanne rencontrait sa main. La petite fille le faisait aller et venir à son gré, mais avec tant de grâce naturelle et d’un air si charmant, que Jacques serait parti pour le bout du monde sans délibérer, sur un signe de ses yeux bleus.

Les années se passaient donc entre les études, les batailles et les promenades. On était en ce temps-là au milieu des troubles et des guerres, on n’entendait parler que de villes attaquées, de camps surpris, d’expéditions meurtrières. Le cardinal Mazarin et le parti du roi luttaient contre le parlement, les princes et l’Espagnol. M. de Condé tenait la campagne, tantôt vainqueur, tantôt vaincu ; mais jusqu’alors la ville de Saint-Omer, protégée par une bonne garnison, n’avait pas eu à souffrir des déprédations de l’ennemi. Jacques serait parti depuis longtemps, s’il n’avait été retenu par le charme qu’il éprouvait à vivre auprès de Mlle de Malzonvilliers. Ce sentiment était d’autant plus impérieux, qu’il ne s’en rendait pas compte. Le hasard, ce grand architecte de l’avenir, lui fit lire dans son propre cœur. Un jour qu’il était assis dans un coin du jardin, la tête penchée, et roulant une dague entre ses doigts, sa sœur Claudine vint tout doucement lui frapper sur l’épaule. Jacques tressaillit.

– À quoi penses-tu ? dit l’espiègle.

– Je n’en sais rien.

– Veux-tu que je te le dise, moi ? Tu penses à mamzelle Suzanne.

– Pourquoi à elle plutôt qu’à une autre ? s’écria Jacques un peu confus.

– Parce que Suzanne est Suzanne.

– Belle raison !

– Très bonne, reprit l’enfant dont un malin sourire entr’ouvrit les lèvres vermeilles. Oh ! je me comprends !

– Alors, explique-toi.

– Tiens, Jacques, ajouta Claudine en prenant un grand air sérieux, tu penses à mamzelle Suzanne, parce que tu l’aimes.

Jacques rougit jusqu’à la racine des cheveux ; il se dressa d’un bond ; un trouble nouveau remplissait son âme, et mille sensations confuses l’animaient. L’éclair avait lui dans sa pensée, il saisit Claudine par le bras.

– Mon Dieu ! qu’as-tu donc ? s’écria Claudine, effrayée du brusque changement qui s’était opéré dans les traits de son frère.

– Écoute-moi, ma sœur ; tu n’es qu’une petite fille…

– J’aurai quinze ans, viennent les abricots, dit l’enfant.

– Mais, continua Jacques, on dit que les petites filles s’entendent mieux à ces choses-là que les grands garçons. Pourquoi m’as-tu dit que j’aimais mamzelle Suzanne ? Ça se peut, mais je n’en sais rien.

– Dame ! on voit ça du premier coup d’œil. Dire comment, je ne le pourrais guère ; mais je l’ai compris à plusieurs choses que je ne puis pas t’expliquer, parce que je ne sais par quel bout les prendre. D’abord, tu ne lui parles pas comme aux autres filles que tu connais ; et puis tu as les yeux doux comme du miel quand tu la regardes ; tu fais de grands tours pour l’éviter, et cependant tu la rencontres toujours, ou bien tu la cherches partout, et quand tu la trouves, tu t’arrêtes tout court, et l’on dirait que tu as envie de te cacher. Enfin, je ne sais ni pourquoi ni comment, mais tu l’aimes.

– C’est vrai, murmura Jacques en lâchant le bras de sa sœur, c’est vrai, je l’aime.

Sa voix, en prononçant ces mots, si doux au cœur, avait quelque chose de grave et de triste qui émut Claudine.

– Eh bien, dit-elle en passant ses jolis bras autour du cou de son frère, ne vas-tu pas t’affliger maintenant ? Est-ce donc une chose si pénible d’aimer les gens, qu’il faille prendre cet air malheureux ? Voilà que tu me fais pleurer, à présent.

La pauvre Claudine essuya le coin de ses yeux avec son tablier, puis, souriant avec la mobilité de l’enfance, elle se haussa sur la pointe du pied, et, approchant sa bouche de l’oreille de Jacques, elle reprit :

– Bah ! à ta place, moi je me réjouirais. Suzanne n’est pas ta sœur ! je suis sûre qu’elle t’aime autant que tu l’aimes : tu l’épouseras.

Jacques embrassa Claudine sur les deux joues.

– Tu es une bonne sœur, lui dit-il ; va, maintenant, je sais ce que l’honnêteté me commande.

Et Jacques, se dégageant de l’étreinte de sa sœur, sortit du jardin. Il se rendait tout droit au château, lorsqu’au détour d’une haie il rencontra M. de Malzonvilliers.

– Je vous cherchais, monsieur, lui dit-il en le saluant.

– Moi ? Et qu’as-tu à me dire, mon garçon ?

– J’ai à vous parler d’une affaire très importante.

– En vérité ? Eh bien, parle, je t’écoute.

– Monsieur, j’ai aujourd’hui dix-huit ans et quelques mois, reprit Jacques de l’air grave d’un ambassadeur ; je suis un honnête garçon qui ai de bons bras et un peu d’instruction ; j’aurai un jour deux ou trois mille livres d’un oncle qui est curé en Picardie ; car pour le bien qui peut me revenir du côté de mon père, je suis décidé à le laisser à ma sœur Claudine. En cet état, je viens vous demander si vous voulez bien me donner votre fille en mariage.

– En mariage, à toi ! Qu’est-ce que tu me dis donc ? s’écria M. de Malzonvilliers tout étourdi.

– Je dis, monsieur, que j’aime Mlle Suzanne ; le respect que je vous dois et mon devoir ne me permettent pas de l’en informer avant de vous avoir parlé de mes sentiments. C’est pourquoi je viens vous prier de m’agréer pour votre gendre.

Pendant ce discours, Jacques, le chapeau à la main, un mouchoir roulé autour du cou et en sarrau de toile grise, était debout au beau milieu du sentier.

– Je n’ai pas besoin de vous dire, ajouta-t-il, que votre consentement me rendra parfaitement heureux, et que je n’aurai plus d’autre désir que de reconnaître toutes vos bontés par ma conduite et mon dévouement.

Tout à coup M. de Malzonvilliers partit d’un grand éclat de rire. L’étrangeté de la proposition et le sang-froid avec lequel elle était faite l’avaient d’abord étourdi ; mais au nouveau discours de Jacques, il ne put s’empêcher de rire au nez du pauvre garçon. Tout le sang de Jacques lui monta au visage. Malgré les illusions dont se berce la jeunesse, son bon sens natif lui disait tout bas que sa demande ne serait point accueillie, mais sa candide honnêteté ne lui permettait pas de croire qu’elle pût donner matière à plaisanter.

– Ma proposition vous a mis en gaieté, monsieur, reprit-il avec une émotion mal contenue. Je ne m’attendais pas, je l’avoue, à l’honneur de vous causer tant de joie.

– Eh ! mon ami, je ne m’attendais pas non plus à une telle aventure ! Vit-on jamais chose pareille ? C’est plus amusant qu’une comédie de M. Corneille, parole d’honneur !

Jacques déchira les bords de son chapeau avec ses doigts, mais il se tut. M. de Malzonvilliers riait toujours. Enfin, n’y tenant plus, il s’assit sur un quartier de pierre au revers du sentier.

– Vous aurez tout le loisir de rire après, reprit Jacques, mais c’est à présent le moment de me répondre ; vous ne sauriez deviner, monsieur, ce qui se passe dans mon cœur depuis que je sais que j’aime Mlle Suzanne. J’attends.

– Ah çà ! mon garçon, es-tu fou ? répondit le traitant en s’essuyant les yeux.

– Un fou ne vient pas honnêtement demander la main d’une jeune personne à son père.

– C’est donc sérieusement que tu parles ?

– Très sérieusement.

– Tais-toi, et surtout ne me regarde pas avec cet air de berger malheureux, ou tu vas me faire rire à m’étouffer, et je te préviens que ce serait abuser de ma position ; je suis très fatigué, mon ami.

– Aussi n’est-ce point mon intention ; je désire seulement savoir quels sont vos sentiments.

– Va-t’en au diable avec mes sentiments ! Ai-je donc le temps de m’amuser aux sornettes qui trottent par la tête d’un maître fou ! Voyez donc la belle alliance ! la fille de M. Malzonvilliers avec le fils de Guillaume Grinedal le fauconnier !

– Raillez-vous de moi tant qu’il vous plaira, monsieur, je ne m’en offenserai pas, s’écria Jacques vivement ; mais gardez-vous de toucher au nom de mon père, car aussi bien qu’il y a un Dieu au ciel, si quelqu’un l’insultait, fût-ce le père de Suzanne, je me vengerais.

– Et que ferais-tu, drôle ?

– Je l’étranglerais !

Et Jacques leva au-dessus de sa tête deux mains de force à joindre lestement l’effet à la menace. M. de Malzonvilliers se dressa brusquement et porta la main à son cou ; il lui semblait sentir déjà les doigts de Jacques se nouer derrière sa nuque. Mais Jacques abaissa subitement ses bras, et de sa violente émotion il ne lui resta qu’une grande pâleur sur le visage.

– Je vous demande pardon de mon emportement, reprit-il ; jamais je n’aurais dû oublier les bienfaits dont vous avez comblé ma famille ; cette colère est la faute de ma jeunesse et non de mon cœur ; oubliez-la, monsieur. Vous ne m’en voudriez peut-être pas, si vous saviez combien je souffre depuis que j’aime. Je ne vis que pour Mlle Suzanne, et je sens bien que je ne puis pas l’obtenir. Mais si pour la mériter il me fallait entreprendre quelque chose d’impossible, dites-le-moi, et, avec l’aide de Dieu, il me semble que j’y parviendrais. Parlez, monsieur, que faut-il que je tente ? Quoi que ce soit, je suis prêt à obéir, et si je ne réussis pas, j’y laisserai mon corps.

Il y a toujours dans l’expression d’un sentiment vrai un accent qui émeut ; les larmes étaient venues aux yeux de Jacques, et son attitude exprimait à la fois l’angoisse et la résignation ; M. de Malzonvilliers était au fond un bon homme ; la vanité avait obscurci son jugement sans gâter son cœur ; il se sentit touché et tendit la main à Jacques.

– Il ne faut point te désoler, mon ami, lui dit-il, ni prendre les choses avec cette vivacité. Tu aimes, dis-tu ! Il n’y a pas si longtemps que j’aimais encore ; mais je ne me souviens guère de ce que j’aimais à dix-huit ans. Tu oublieras comme j’ai oublié, et tu ne t’en porteras pas plus mal.

Jacques secoua la tête tristement.

– Oui ! oui ! on dit toujours comme ça, continua le traitant. Eh ! mon Dieu, à ton âge, je me croyais déjà dans la rivière parce que j’avais perdu l’objet de ma première flamme ! Mais, bah ! j’en ai perdu bien d’autres depuis ! Parlons raison, mon garçon ; tu m’entendras, car tu as du bon sens. Plusieurs gentilshommes du pays me demandent la main de Suzanne. Puis-je, en conscience, te préférer, toi qui n’as rien, ni état, ni fortune, et les repousser, eux qui ont tout cela ?

Jacques baissa la tête, et une larme tomba sur la poussière du sentier.

– Parbleu ! si tu étais riche et noble, reprit M. de Malzonvilliers, je ne voudrais pas d’autre gendre que toi !

– Si j’étais riche et noble ? s’écria Jacques.

– Oui, vraiment.

– Eh bien, monsieur, je m’efforcerai de gagner fortune et noblesse.

– Écoute donc, mon ami, ces choses-là ne viennent pas très vite. Je ne te promets pas d’attendre.

Jacques hésita un instant ; puis, levant les yeux au ciel, il reprit :

– À la garde de Dieu, monsieur, je me presserai le plus que je pourrai.

– Pauvre garçon ! murmura M. de Malzonvilliers tandis que Jacques s’éloignait, c’est vraiment dommage qu’il ne soit pas marquis ou tout au moins millionnaire.

Jacques se dirigea d’un pas lent, mais ferme, vers un côté du parc de Malzonvilliers, où Suzanne avait coutume de se promener à cette heure-là, un livre ou quelque ouvrage d’aiguille à la main. Il l’aborda résolument et lui raconta l’entretien qu’il venait d’avoir avec son père ; sa voix était tremblante, mais son regard assuré. Suzanne s’était sentie rougir au premier mot de Jacques ; mais, bientôt remise de son trouble, elle avait attaché sur son jeune amant ce regard clair et serein qui rayonnait comme une étoile au fond de ses yeux bleus.

– Votre père ne m’a point laissé d’espérance, mademoiselle, dit Jacques après qu’il eut terminé son récit ; cependant je suis déterminé à tout entreprendre pour vous mériter. Me le permettez-vous ?

– M’aimez-vous, Jacques ? reprit la jeune fille de cette voix vibrante et douce qui sonnait comme le cristal.

– Si je vous aime ! Je donnerais ma vie pour ma sœur Claudine ; mais, mademoiselle, il me semble, et que Dieu me pardonne ce blasphème, que je donnerais le salut de mon âme pour vous !

– Je serai donc votre femme un jour, mon ami, reprit Suzanne en tendant sa main à Jacques, qui sentit son cœur se fondre à ces mots. Nous sommes bien jeunes tous deux, presque deux enfants, ajouta-t-elle avec un sourire, mais Dieu nous viendra en aide.

– J’ai le cœur fort ! s’écria Jacques ; ô mademoiselle, je vous gagnerai !

– J’y compte, et moi je vous promets de n’être jamais qu’à vous !

Jacques voulut baiser la main de Suzanne ; mais Suzanne lui ouvrit ses bras, et les deux enfants s’embrassèrent. Tous deux étaient à la fois graves et ingénus. Ils croyaient à leur cœur.

– Allez et méritez-moi, reprit Suzanne, les joues humides et rougissantes ; moi, je vous attendrai en priant Dieu.

Ils échangèrent un dernier serment et se séparèrent.

Jacques reprit le chemin de la maisonnette, sérieux, mais non plus triste. Il fit tout de suite part à Guillaume Grinedal de ce qui s’était passé dans la journée.

– Nous nous aimons, ajouta-t-il, et nous nous marierons.

Le père regarda les hirondelles qui fuyaient au loin dans le ciel bleu.

– Serments d’amoureux ! dit-il en hochant sa tête chauve. Mais qu’ils durent ou qu’ils passent, il n’importe, mon fils, il faut partir.

– C’était mon intention, répondit Jacques.

Le père et le fils se serrèrent la main.

– La fille appartient au père, reprit Guillaume Grinedal ; M. de Malzonvilliers a été bon pour nous, il ne faut pas qu’il t’accuse d’avoir voulu semer le désordre dans sa maison. Tu partiras demain sans chercher à revoir Suzanne.

Jacques hésita.

– Il le faut, répéta le vieillard.

– Je partirai, dit le fils ; je partirai sans la revoir.

Vers le soir, à l’heure accoutumée, on s’assit autour de la table. Le dîner fut silencieux. Jacques ne mangeait pas, et le refrain des chansons qu’il avait l’habitude de fredonner mourait sur ses lèvres. Claudine ne voulait pas parler, de peur d’éclater en sanglots ; elle se détournait parfois pour s’essuyer les yeux. Jacques et Guillaume s’efforçaient de paraître calmes, mais les morceaux qu’ils portaient à la bouche, ils les reposaient intacts sur leur assiette. Après la veillée, le père embrassa ses trois enfants ; il retint Jacques plus longtemps sur son cœur.

– Va dormir, lui dit-il ; mais auparavant, demande à Dieu du courage pour la vie qui, demain, commence pour toi.

Le père se retira, et les trois enfants se prirent à pleurer ; ni l’un ni l’autre n’avait la force d’exprimer son chagrin, et chacun d’eux trouvait moins de paroles à dire que de baisers à donner. Vers la pointe du jour, la famille se réunit au seuil de la porte. Jacques avait chaussé de gros souliers et des guêtres ; une ceinture de cuir serrait sa blouse de toile autour de sa taille ; un petit havresac pendait sur ses épaules et sa main était armée d’un fort bâton de houx. Pierre et Claudine sanglotaient. Jacques était un peu pâle, mais son regard avait repris toute son assurance et sa fermeté.

– Où vas-tu, mon fils ? dit le père.

Déjà, à cette époque, Paris était la ville magique, le centre radieux qui sollicitait toutes les intelligences actives, les esprits audacieux, les imaginations inquiètes. Jacques n’avait pas un instant songé aux détails du parti extrême qu’il avait choisi, cependant, à la question de son père, il répondit sans hésiter :

– À Paris.

– C’est une grande ville, pleine de périls et de surprises. Beaucoup y sont arrivés pauvres comme toi, qui en sont partis riches ; mais mieux vaut en sortir misérable que d’y laisser l’honnêteté. Que Dieu te bénisse, mon fils.

Jacques s’agenouilla entre son frère et sa sœur, et Guillaume posa ses mains tremblantes sur le jeune front de son premier-né. Après qu’il se fut relevé, le père voulut glisser dans la main de Jacques une bourse où brillait de l’or, mais Jacques la lui rendit :

– Gardez cet or, lui dit-il ; c’est la dot de Claudine ; j’ai des bras, et dans mon havresac cinquante livres que j’ai gagnées.

Le père n’insista pas ; mais, tirant de son sein un bijou attaché à un ruban, il le passa au cou de Jacques.

– Le reconnais-tu, Jacques ? lui dit-il ; c’est le médaillon perdu par l’étranger, il y a cinq ans. Tu l’as bien gagné, garde-le donc ; si tu retrouves le gentilhomme auquel il appartient, tu le lui rendras, et peut-être se rappellera-t-il l’hospitalité de notre toit. Embrassons-nous maintenant, et que Dieu te conduise.

Jacques embrassa d’abord Guillaume et Pierre ; Claudine était restée un peu en arrière ; quand ce fut à son tour, elle sauta au cou de Jacques.

– Je t’embrasse pour moi, d’abord, lui dit-elle tout bas, si bas, que sa voix glissait comme un souffle à l’oreille du voyageur ; à présent, c’est pour elle.

Jacques tressaillit.

– Oui, pour elle, reprit sa sœur ; elle-même me l’a bien recommandé.

Jacques serra Claudine sur son cœur avec passion au souvenir de Suzanne. Il regarda le ciel, plein d’un courage nouveau, l’œil brillant d’espoir. Les premières clartés du jour s’épanchaient sur les campagnes humides ; à l’horizon flottaient mille vapeurs dorées, et la route se perdait au milieu des solitudes baignées de lumière. Paris était là-bas, derrière cet horizon flamboyant ; Suzanne était le prix du triomphe. Jacques s’arracha des bras de Claudine et partit.

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