Chapitre XII

Monsieur le préfet a la parole. Parlo-soulet l’interrompt.

La petite ville de Bormes attendait l’arrivée de M. le préfet qui avait annoncé son intention d’assister aux obsèques du pauvre Crouzillat.

M. le préfet voulait honorer à la fois le mort et les habitants pour leur conduite dans l’affaire des « évadés ». De plus il saisissait volontiers cette occasion de faire la connaissance de Maurin, chef de l’expédition, et de s’en faire un ami.

Le cortège qui suivait le corps du pauvre Crouzillat montait lentement la rampe qui va du village au cimetière. Au bord de la route, sur une sorte de promontoire qui s’avance dans la vallée, le cimetière rit, à belles murailles blanches, à pleins buissons de roses, et découpe ses mimosas et ses eucalyptus d’un gris bleuté sur le bleu de la mer. Du côté de la terre, il regarde les cimes où des pointes de roches violettes percent, nombreuses, les verdures des pins et des chênes-lièges. En deux ou trois endroits, une « pierre franche », venue là on ne sait comment, éclate de blancheur sur le flanc vert de la colline.

M. le préfet admirait ces choses tout en suivant le cortège où gendarmes, gardes forestiers et chasseurs, uniformes et vestes de bure, se coudoyaient.

M. Désorty, qui venait directement de sa préfecture, avait retrouvé à Bormes M. Cabissol qui, lui, arrivait de Marseille et qui devait retourner le soir à Draguignan avec son préfet.

Au cimetière, le maire s’avança au bord de la tombe et dit :

« Mes amis, notre commune aime la liberté et le devoir. Crouzillat est une victime du devoir, c’est un homme que nous estimions beaucoup. Voilà pourquoi nous sommes tous ici, autour de lui. C’était un bon travailleur et un bon compagnon. La commune tout entière le regrette et lui apporte, par ma voix, un dernier adieu. »

Le préfet s’avança à son tour :

« Mes amis, l’homme qui vient de mourir était, me dit-on, un des bons citoyens de votre commune où je vois bien qu’il y en a beaucoup. Vous vous êtes mis bravement en campagne, pour aider la force publique, qui fait la sécurité du travail et dont la tâche est souvent difficile. Un de vous, dans cette tragique aventure, a laissé la vie. J’ai voulu venir aujourd’hui féliciter la commune entière et Maurin en particulier. Il n’y a pas de meilleure police que celle que font les citoyens eux-mêmes, pas de meilleure garantie de nos droits, de nos libertés, que le sentiment de nos devoirs. Ce sentiment, on est heureux de le rencontrer chez des hommes rudes comme Maurin. Voilà un chasseur libre, presque toujours seul dans les bois, et qui pourtant n’oublie pas ce qu’il doit à la société. Maurin s’est mis à votre tête. Il a défendu avec vous, au péril de sa vie, la sécurité d’une commune à laquelle il n’appartient pas ; il s’est bien conduit. Je le félicite et je le remercie.

« Le mort que nous honorons me permet, me commande même de détourner en faveur de Maurin une part des éloges qui lui reviennent. C’est Crouzillat lui-même qui vous dit ici : « Honneur à Maurin des Maures ! »

Ce dernier mot était à peine prononcé qu’une voix sonore s’élevait dans l’auditoire. C’était celle de Pastouré :

« Noum dé pas Dioù ! cria l’homme qui ne parlait jamais en public, c’est tapé ! »

Personne ne sourit.

La voix de Pastouré résumait le sentiment unanime.

Le petit discours avait donc produit grand effet. Et Maurin retenait, au coin de ses yeux, une larme qui se décida à couler, lorsque à la sortie du cimetière, tandis que toutes les mains pressaient la sienne, il vit venir, boitant avec sa légèreté élégante, le vieux savant Rinal qui, de loin, lui fit, de sa canne levée, un signe d’amitié.

Le discours du préfet fut commenté pendant plusieurs jours. Alessandri qui, le lendemain, lut ce discours dans les journaux de Toulon, se sentit distancé et résolut de faire à Tonia sa déclaration amoureuse le plus tôt possible. Et en pensant à la manière dont il s’y prendrait, il fourbissait avec rage les boutons de son uniforme et la plaque de son ceinturon.

« C’est égal, se disait Pastouré, je n’aime pas les honneurs ; plus on en a, plus on a d’envieux et de méchants à ses derrières. Le préfet est content, mais le gendarme est vexé. Le préfet est dans la préfecture et le gendarme vit sur les routes ; je ne rencontre jamais le préfet, je peux rencontrer le gendarme tous les jours ; ça me tourmente… Enfin, qui vivra verra ! »

Share on Twitter Share on Facebook