Préface

Il y a trente ou quarante ans, alors qu’on mettait près de quinze jours pour se rendre de Paris à Marseille, et qu’on n’était pas toujours sûr d’arriver à destination, il fallait être doué d’une certaine dose de courage pour se risquer de propos délibéré sur un navire à vapeur partant à la découverte. Les pays étrangers étaient entourés d’une auréole mystérieuse qui faisait regarder comme des êtres à part ceux que le besoin d’aventures ou le désir d’apprendre poussaient vers les régions inconnues.

Aujourd’hui, grâce à la vapeur et aux chemins de fer, les distances n’existent plus ; le besoin de changer de place est devenu général, et tous, grands ou petits, riches ou pauvres, s’élancent à qui mieux mieux vers les régions éloignées. Qui n’a fait au moins, une fois dans sa vie le tour du monde ?

Seulement, comme l’a dit un grand poète contemporain, aujourd’hui on ne voyage plus, on arrive. En effet, les pays qui séparent le point de départ de celui de l’arrivée, demeurent supprimés, un coin du voile seulement est soulevé, et la curiosité vivement excitée se tourne de plus en plus vers ces contrées lointaines entrevues à peine à travers des nuages de vapeur et de fumée.

À l’époque où M. Aimard a entrepris ses voyages, la vapeur n’était encore que dans l’enfance et les chemins de fer n’existaient pas.

Tourmenté par une fiévreuse inquiétude dont il ne cherchait même pas à se rendre compte, ne pouvant souffrir aucun frein et aspirant à des jouissances suprêmes loin du monde civilisé qu’il ne voulait pas comprendre, M. Aimard partit avec l’intention de ne plus revenir. Libre de tout lien, de toute affection, ne laissant derrière lui ni amitiés ni haines, le jeune aventurier était dans les meilleures conditions possibles pour mener la vie étrange qui allait commencer pour lui. Aussi, avec quel bonheur il posa le pied en Amérique et il s’élança à travers les Pampas et les prairies !

Vingt années de sa vie se sont ainsi écoulées au milieu des tribus errantes et indomptées des deux Amériques, franchissant à leur suite d’incommensurables distances ; chassant, pêchant et combattant avec les Indiens ; sondant le désert dans ses plus mystérieuses profondeurs ; gravissant les cimes les plus escarpées des Cordillères, ou, la hache à la main, se frayant un chemin à travers les forêts vierges du Nouveau-Monde.

Cette vie du désert, si rude, si pleine de fatigue, est bien faite pour renouveler l’homme ; les idées s’élargissent, on s’habitue à penser et à croire. La vie des bois vous rend meilleur et vous fait comprendre la mission de dévouement, d’abnégation et de travail que Dieu a imposée à l’homme sur la terre.

Quelle existence que celle du nomade ! Ne reconnaissant d’autre maître que Dieu, d’autre loi que son caprice, libre d’entraves de toute sorte, monté sur un cheval aussi indomptable que lui-même, ses pistolets à la ceinture, son couteau dans sa botte, son laço aux arçons, et son fusil sur le devant de sa selle, il s’élance gaiement en avant. Il ne sait où il va et ne se soucie même pas de le savoir, se fiant à son courage et à son audace, convaincu que Dieu ne l’abandonnera pas.

Rentré dans le monde civilisé, M. Aimard a pris la plume, non pour se faire homme de lettres, mais pour revivre avec son passé. Il se croit encore au désert, lorsqu’il raconte ses courses aventureuses, ses chasses émouvantes, les périls qu’il a affrontés.

Dans un premier ouvrage, les Trappeurs de l’Arkansas, il n’avait timidement esquissé que quelques-unes de ses aventures dans les prairies ; dans le Grand Chef des Aucas, il s’est laissé malgré lui emporter par le flot puissant de ses souvenirs. Il a voulu retracer comment lui, enfant perdu de cette civilisation européenne tant vantée mais si étroite, il s’était peu à peu transformé au désert, et comment, à l’aspect des forêts vierges, sous la conduite des sauvages habitants de ces contrées, il était enfin devenu homme.

Valentin Guillois n’est pas un héros de convention, c’est l’auteur tout entier avec ses qualités et ses défauts ; ce livre n’est que l’histoire de ses sensations. Ses acteurs, M. Aimard les a tous connus, il a partagé leurs joies et leurs douleurs. Aujourd’hui il éprouve un plaisir rétrospectif indicible à se retrouver avec eux, à les ressusciter tels qu’il les a vus à l’époque où il était si heureux parce qu’il était libre.

« C’est à ce titre que j’applaudis au livre de M. Aimard, » dit M. Paul d’Ivoi dans sa chronique, « ce qu’il faut voir surtout dans un livre, c’est l’esprit qui l’anime, le sentiment qui l’inspire. Quand les Arabes tuent un lion, ils en font manger le cœur à leurs enfants pour les rendre forts. Ces livres qui nous parlent de liberté, de grand air, de courage, de dévouement, de vaillance, sont une saine nourriture : c’est aussi du cœur de lion. »

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