LE MIRACLE DE LA FERMIÈRE

Depuis plus de deux semaines j’étais à la campagne, dans le bourg de la Colombière, avec Jacques, Françoise et Isabelle, et chaque jour Isabelle disait, en riant au bout de chaque parole :

— La Colombière !… Nous imaginions trois termes en ruine autour d’un colombier perché sur une côte, avec des milliers de pigeons qui se seraient envolés à notre approche… Pas du tout ! C’est une petite ville rouge et blanche alignée proprement sur la route…

— Nous pensions voir des paysans, disait un autre. Il en passe quelquefois en voiture, qui ne s’arrêtent jamais !

Et moi je répondais :

— Prenez patience. Quelque jour, nous irons ensemble au hameau des Chevris. Vous verrez : il n’y a qu’une vieille ferme grise derrière des barrières blanches et la maison d’école où j’ai passé mon enfance, en pension chez l’instituteur. Je vous ferai connaître Beaulande et sa femme, les fermiers des Chevris.

— Je n’y compte guère, disait Françoise. Et, soulevant le rideau de la fenêtre, en se penchant un peu, elle regardait au loin curieusement… Je regarde où vont les voitures des gens de campagne.

Et elle « regarda » ainsi jusqu’au jour où Jean Meaulnes, le fils du maître d’école des Chevris, nous écrivit enfin :

* * *

« J’irai demain vous chercher en voiture avec Beaulande.

« Beaulande a bien changé depuis que tu l’as connu. Il boit. Le peu d’argent qu’il a gagné lui a tourné la tête. Il veut mettre son plus jeune fils Claude en pension à Paris. Sa femme se désole, le petit n’y tient guère et Beaulande a pensé à toi pour les convaincre. Car on parle toujours de toi, ici ; on se rappelle le temps où tu passais dans la cour de la ferme comme un petit seigneur, avec ta blouse noire et ton grand col blanc.

« La mère Beaulande me répétait l’autre jour : « Il y a quinze ans de cela, mais je le vois encore. Il avait dans les neuf ans. Il s’appuyait contre un chenet, et il m’a dit tout d’un coup, après m’avoir longtemps regardée tourner dans la maison : — Madame Beaulande ! — Quoi donc, mon mignon ! — Vous êtes bien comme une espèce de reine !… » Et elle riait encore comme alors, la tête en arrière, d’un grand rire tranquille.

« Elle aussi a beaucoup changé, pourtant, et vieilli. On raconte, je ne sais pourquoi, que la mauvaise conduite de Beaulande lui a dérangé la tête et qu’elle est un peu folle.

« Dis bien à Isabelle et à Françoise, pour qu’elles n’aient pas de déception, que les paysans ne ressemblent guère à ce qu’elles imaginent, et que, d’ailleurs, personne au monde ne peut se vanter de les connaître. »

* * *

Ce fut une belle promenade en voiture, par les chemins de traverse. Nous nous enfoncions, par instants, sous les branches des haies, et les roues grinçaient dans le sable fin des ornières. Françoise disait qu’il lui semblait, dans les allées d’un immense jardin, voyager sous les arbres.

Puis le chemin monta. Nous commençâmes d’apercevoir entre les haies interrompues, par delà les terres plus arides et plus grises, tout un grand paysage liquide.

— De chez nous, disait Beaulande, on découvre par les temps clairs plus de vingt lieues de pays. Et il appelait un à un par leurs noms ces villages perdus qui tremblaient à l’extrême horizon.

— Paris est là-bas, dit-il en riant, et d’un geste vague, avec son fouet, il montrait la vallée qui tournait et se perdait au loin, comme une lente rivière toute voilée de vapeurs, semée de fermes dans des bouquets d’arbres, pareilles à des îles bleues.

Il ajouta :

— Le petit va bientôt y partir : les vacances s’achèvent…

Dans ce calme paysage où l’été finissait, un train passa, comme un regret. Sa fumée blanche monta, tout près de nous, derrière une haie. Nous l’entendîmes plus loin rouler sur un petit pont, et nous imaginâmes, là-bas, le ruisseau où cet hiver, entre les roseaux cassants et gelés, le petit Beaulande ne viendrait plus, silencieusement, en fraude, tendre ses cordes à poissons.

— Voilà, me dit Françoise, le train qui l’emmènera. Mais pourquoi veut-on qu’il s’en aille ? Et s’il s’ennuie en pension ?… Et s’il regrette sa campagne, comme vous ?…

Certes, le petit Beaulande regretterait les longues journées d’hiver aux Chevris, lorsque, enfermé dans une étude moisie d’un lycée de Paris, il regarderait la grande pluie de décembre plaquée par le vent sur les vitres, ou lorsque, prêtant l’oreille à quelque voix perdue de ses souvenirs, il entendrait seulement monter de la rue le morne cri captif des raccommodeurs et des marchands d’oiseaux.

Il n’irait plus, les matins de gelée blanche, à sept heures, avec les autres, attendre devant l’église que le curé sortît de son presbytère en se frottant les mains, et vînt sonner à la petite cloche les trois coups du catéchisme.

Avec quel regret il se rappellerait ces lointaines matinées !… En sortant de l’école, à midi, dans la cuisine de la ferme, il se glissait sans rien dire pour attendre le goûter. C’était le dégel, et des flaques d’eau froide tombaient des paillers dans la cour. Il mangeait bien vite et repartait en courant, avec ses poches remplies de châtaignes bouillies.

Le soir, un peu avant l’angélus, à l’heure où l’épicerie du hameau s’allume et sonne, les demoiselles institutrices venaient chercher du lait. Elles attendaient un instant dans l’ombre, sur le pas de la porte, qu’on les eût servies, et elles faisaient, au moment de partir, des gestes si doux et de si beaux saluts que l’enfant paysan courait se cacher dans quelque grange, tant il se sentait de honte auprès d’elles.

Et parfois, le jeudi matin, il découvrait, en se levant, toute la cour de la ferme et les prés, là-bas, jusqu’à la rivière enfoncés dans la neige. Au loin, dans les creux du paysage, on apercevait quelques métairies pareilles à celles qu’on voit sur les images et les calendriers. Toute serrée entre la neige et le ciel bas, appuyée contre un grand arbre mort, chacune d’elles paraissait seule dans la campagne abandonnée… Alors, le petit Claude se prenait à courir droit devant lui, en se retournant de temps à autre pour regarder la trace de ses sabots ; puis, choisissant sur le chemin l’endroit le plus blanc et le plus scintillant, il s’y couchait de tout son long, le nez en avant, pour y faire son portrait.

Après midi, quand il revenait au même endroit, le menton dans le cache-nez que sa mère lui avait mis, le haut de sa rude petite figure fouetté par le vent, il retrouvait intact le creux que son corps avait fait dans la neige. Il lui semblait que personne ne passerait là jamais plus ; qu’il était le maître de tout ce pays blanc et il reprenait sa course à travers le grand après-midi gelé, comme un patineur qui s’élance sur un lac immense, en poussant un cri de plaisir !

Prisonnier, dans l’étude, quand le veilleur viendrait allumer les lampes, avec quel regret il se rappellerait les soirs purs et glacés qui, lentement, descendaient sur ces belles journées d’hiver !… Il s’en revenait alors, entre les champs de neige, qui faisaient sous la nuit tombante de grandes lueurs immobiles, vers la ferme chaude et vivante où les travaux des hommes cessaient, tandis que sa mère, avec les domestiques, préparait le repas. Elle prenait le petit sur ses genoux, lui enlevait ses bas humides, les glissait dans les hauts chenets de fer. Puis, assise dans un coin de la vaste cheminée noire, elle s’attardait un instant à faire chauffer les jambes nues de son dernier-né…

* * *

Entre deux haies serrées, par un petit chemin tournant, la voiture filait en frôlant les ronces et déboucha soudainement dans la cour des Chevris. Il y avait, dans un pré voisin, auprès des barrières de la grande entrée, la machine à battre. On l’entendait depuis le matin bourdonner comme une grosse guêpe prise dans le beau temps.

Les hommes, au faîte de la machine, dans la paille poussiéreuse, continuaient, sans vouloir prendre garde aux visiteurs, leur travail rythmé qui ressemble à un grand jeu pénible. C’est à peine si deux d’entre eux se dressèrent, la main au front, pour nous regarder. Les autres disaient à haute voix, dans le bruit de la batteuse, des mots que nous n’entendions pas et que nous sentions pleins de reproches et d’hostilité.

Meaulnes et Beaulande étaient partis à la recherche du petit Claude. Descendus de la voiture, nous restâmes immobiles un instant au milieu de la cour, Françoise, Isabelle, Jacques et moi, serrés les uns contre les autres, un peu gauches et ridicules comme quatre Anglais débarqués. Et je revois Françoise si gênée sous le regard des paysans, si malheureuse, qu’elle fit le geste soudain de se réfugier contre l’un de nous.

La porte et le volet de la grande cuisine noire étaient ouverts ; mais personne ne sortit sur la plus haute marche pour nous regarder venir et nous faire bon accueil. Nous entrâmes, et Meaulnes nous fit asseoir autour de la table où l’on avait posé une jatte de lait…

Sans nous dire bonjour, ou si bas qu’on ne l’entendit pas, la fermière entra pour nous servir. Je reconnus cette figure rude et amicale et je fis un mouvement comme pour aller vers elle. Mais, la tête basse, elle distribua lentement les assiettes sans vouloir nous jeter un regard et s’en retourna dans une chambre voisine.

— Vous irez la trouver, m’avait dit Beaulande ; vous lui parlerez ; mais vous verrez qu’elle n’est pas commode à prendre.

Je la trouvai près d’une croisée basse, à rideaux rouges, à demi obstruée par les reines-marguerites d’un profond jardin vert. Elle cousait avec obstination, et je vis bien, tout de suite, que je ne la « prendrais » pas.

Lorsqu’elle leva la tête enfin, pour me répondre, ce n’était plus cette femme paisible, ni ce visage confiant de la paysanne qui me souriait jadis, mais une pauvre figure affolée et ruinée, que battait une mèche de cheveux gris sortis de sa coiffure ; et elle me parlait de sa forte voix campagnarde, comme si elle se fût adressée à une troupe de gens ameutés contre elle. Immobiles mais soulevant la tête à chaque mot, elle me jetait amèrement des reproches :

— Qui donc s’occupera de ses affaires ? disait-elle, et qui donc raccommodera son linge ?… C’est-il vous qui le soignerez s’il est malade !… Si loin que ça de chez nous, à cent dix lieues, jamais il ne s’habituera ! On n’ira jamais le voir. Écrire des lettres ? Je ne sais pas lire et je ne sais pas écrire !

Sans se lasser, elle continuait :

— Jamais on n’avait envoyé nos garçons chez les autres. Jamais on n’en avait loué un…

Et comme je disais, un peu honteux, que c’était la volonté de son père :

— Un homme qui boit, répondit-elle, et qui est perdu maintenant, fallait-il l’écouter ?

Elle avait laissé son ouvrage. Elle était dressée près de la fenêtre, à contre-jour, et je la revis un instant comme jadis, lorsque j’étais un enfant campagnard semblable au petit Claude, – patronne de quatre servantes et commandant tout un peuple de volailles, haranguant au milieu de la cour un océan de poulets blancs, jetant avec lenteur de grandes poignées de mil et poussant un long cri traînant sur la campagne de midi, qui faisait accourir, tête baissée, là-bas, dans le petit chemin, deux, trois, quatre… sept poulets en retard !

Beaulande, pendant ce temps, faisait battre en vain les alentours de la ferme pour trouver l’enfant :

— Il s’est caché, disait-il avec un rire fâché. On ne le tient pas !

Jusqu’à notre départ, en effet, le petit Beaulande resta perdu, soit que les valets de ferme fussent de connivence avec lui, soit plutôt qu’il fût enfoncé dans une de ces cachettes que, seuls, connaissent les enfants des domaines, au creux d’une meule de paille ou dans un trou au bord de la rivière.

Peut-être, plein d’une révolte silencieuse et entêtée, resterait-il là deux jours sans manger et sans bouger, comme cette fois où le maître d’école l’avait injustement battu. Peut-être, tout près de nous, dans un coin du grand domaine complice, regardait-il partir, avec rancune et moquerie, notre petite troupe déçue, et, dès que nous aurions tourné dans le chemin, le verrait-on mêlé soudain au groupe des valets, travailler sans rien dire.

* * *

Aux premières grandes pluies d’octobre, nous avons quitté la Colombière. De grand matin, tandis que les fougères des talus dégouttaient dans le brouillard, nous sommes passés à pied devant les Chevris, pour aller prendre le train.

De loin, nous entendions chanter, dans une grande terre voisine de la route, et nous nous sommes arrêtés un instant, pour écouter en silence. Je connaissais ce grand chant du labour, dont on ne peut jamais dire s’il est plein de désespoir ou de joie, ce chant qui est comme la conversation sans fin de l’homme avec ses bêtes, l’hiver, dans la solitude. Mais jamais l’homme qui chantait, de cette voix lente et traînante comme le pas des bœufs, ne m’avait paru si désespéré d’être seul.

C’était Beaulande. Nous l’entendîmes, au bout du sillon, gourmander lentement son attelage et arrêter, derrière la haie, la charrue, qui fit un bruit de chaînes. Il vint à nous :

— Le petit est parti depuis le début de la semaine, dit-il. On a fini par le décider. Seulement, voilà, les nouvelles sont mauvaises, ce matin.

Il chercha sous sa blouse, dans sa ceinture, une lettre pliée, qu’il me tendit. L’enfant écrivait qu’il ne pourrait jamais s’habituer, que les autres l’avaient battu et qu’il voulait revenir, « parce que, disait-il, mon père est à la charrue, maintenant, et je suis sûr qu’il a besoin de moi. »

— J’avais fait cela pour son bien, nous dit Beaulande en baissant la tête. J’ai eu tort, il faut croire… J’ai bien caché la lettre à la maison, mais la maîtresse a l’air de se douter de quelque chose.

Le train était annoncé. Nous entendions, dans la vallée, la cloche de la petite gare. Il nous fallut quitter Beaulande et reprendre notre route, après l’avoir consolé tant bien que mal. Longtemps nous avons ignoré ce qui s’était passé à la ferme des Chevris après notre départ, et c’est Jean Meaulnes qui, l’autre jour, m’a conté ce qui suit.

* * *

Le soir même, à la tombée de la nuit, il y avait eu, dans une étable, entre le fermier et sa femme, une de ces disputes autour desquelles tout le monde s’écarte parce qu’elles sont rares et terribles. Elles rompent l’accord silencieux de la ferme et l’ordre établi. On ne sait plus qui est le maître. Et la servante, qui obéit d’ordinaire à la femme, craint de passer auprès du fermier.

On avait connu déjà cette sorte d’angoisse, lorsque le frère de Beaulande, devenu fou, errait chaque nuit autour du domaine, pour mettre le feu aux meules de paille, et, récemment encore, quand une des servantes avait raconté que Beaulande rôdait autour d’elle.

Ce soir-là, comme alors, il y eut donc, au cœur de la ferme, un grand désordre silencieux. Le berger, voyant la fermière toute tremblante, avait voulu l’aider. Il avait oublié de faire rentrer les moutons, qui étaient restés longtemps serrés les uns contre les autres, à bêler dans la cour. Enfin, la plus vieille des servantes elle-même était entrée, toute pensive, dans l’écurie aux juments, pour traire les vaches, et Beaulande lui avait demandé rudement ce qu’elle venait faire là…

Elle en était restée troublée. C’était elle qui, chaque matin, ou plutôt chaque nuit, vers trois heures, se levait la première pour mettre l’eau de la soupe sur le feu. Sitôt éveillée, elle se leva cette nuit-là, comme d’habitude, cassa du bois et remplit d’eau la marmite. C’est alors qu’accroupie, la tête basse, réfléchissant devant l’eau qui commençait à tourner et à chanter, elle entendit sonner les douze coups de minuit…

Elle s’était levée trois heures trop tôt.

Son ouvrage était trop avancé pour qu’elle pût songer à se remettre au lit. Pour passer le temps, elle voulut faire, un falot à la main, une ronde dans le domaine. Il tombait une pluie froide, et sa lanterne s’éteignit deux fois. Elle s’obstina, sans savoir pourquoi, et entrant dans l’écurie chaude où les juments, debout sur leurs quatre pieds, dormaient, la vieille femme, inquiète, leva sa lanterne et la fit tourner à la hauteur de ses yeux. La jument blanche n’y était plus. Ni, dans la remise, la vieille basse voiture bourbonnaise.

Elle comprit tout de suite que la fermière s’était enfuie. Et elle se mit à marmotter quelque chose tout bas.

Elle éveilla le fermier, qui courut appeler Jean Meaulnes, son voisin, et longtemps, tous les deux, ils cherchèrent dans la boue, à la lueur du falot, les traces des roues que la pluie avait effacées.

Durant deux jours, ce furent, dans les environs, des recherches vaines. Beaulande, accablé, ne disait rien. De temps à autre, seulement, il répétait les mêmes phrases :

— Elle est perdue, ma femme. Elle ne peut pas se retrouver. Elle ne connaît pas les routes. Elle est perdue dans les marnières…

* * *

Le troisième jour, de grand matin, Jean Meaulnes, qui devait partir, avec le fermier, pour continuer à battre la contrée, s’éveilla dans sa chambre aux poutres basses. Il se retourna sur sa couche. Dans la fenêtre obscure, comme dans un vitrail, s’allumaient les rouges, les jaunes et les bleus profonds du soleil levant.

Une petite pluie vint mouiller la vitre.

Il s’habilla silencieusement et descendît l’escalier. Il faisait jour, déjà. Mais c’était le jour bas du grand matin, ce jour pâle et précis comme un clair de lune, dans lequel il semble que toutes les choses soient posées comme des décors avant que la vie réelle ne commence.

Il sortit. La petite grille de l’école grinça et se referma lourdement. On entendit, dans le hameau, le cri d’un coq. Puis tout redevint silencieux et immobile.

Meaulnes s’engagea dans la courte allée qui menait chez les Beaulande. Il écoutait son pas égal, le seul bruit de cette heure, et, sourdement, profondément, le battement de son cœur, lorsque, levant la tête, à dix pas devant lui, il aperçut, devant les barrières blanches, une voiture arrêtée.

Il se dit, presque à mi-voix :

— On dirait Claude Beaulande et sa mère…

Sur le siège, en effet, une femme en bonnet blanc, penchée, semblait guetter dans la cour quelqu’un qui vînt lui ouvrir. Le petit Claude, à côté d’elle, un vieux chapeau de paille noircie abaissé sur les yeux, grelottait.

La jument, la tête tombée entre les pattes de devant, paraissait fatiguée comme si elle eût voyagé toute la nuit. La lanterne, encore allumée, jetait sur la croupe de la bête une lueur étrange. Et une fine petite pluie continuait à tomber, qui faisait briller vaguement la paille étalée sous les pieds des voyageurs.

Au moment où Meaulnes allait interpeller la femme, quelqu’un, de l’intérieur, ouvrit les grandes barrières, et la voiture, en cahotant pénétra dans la cour.

Tandis que le valet de ferme commençait à dételer la jument, la femme et l’enfant descendirent lentement et à reculons, à la façon des paysans, et la mère Beaulande alla cogner au volet de la porte.

On entendit, à l’intérieur, la servante s’approcher en traînant ses sabots ; elle ouvrit le volet d’abord, puis la porte.

— Salut, maîtresse, dit-elle d’une voix basse et étranglée. Vous l’avez donc ramené ?

— Il a bien fallu, répondit l’autre simplement. Puis elle s’en alla, au fond de la chambre, dans l’obscurité, changer de robe pour le travail du jour.

La pluie avait cessé. Le village s’éveillait. Sur la côte sonnait, à toute volée, comme au matin d’une fête, la messe de sept heures.

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