Chapitre XIX

Dans lequel un bout de conversation entre le baron de Hautpertuis et le sympathique M. Bluette nous fixera sur les antécédents de ce dernier.

– Votre prison, monsieur le directeur est beaucoup plus gaie que je me le figurais. Une vue superbe, un beau jardin... Il y a longtemps que vous êtes ici ?

– Trois mois, exactement trois mois. J’y suis entré le même jour que cet excellent Blaireau. C’est pourquoi j’éprouve tant de sympathie pour lui.

– Je comprends cela. Et avant d’être à Montpaillard...

– J’ai commencé ma carrière par cet établissement. Auparavant, j’habitais Paris. Ah ! si on m’avait dit, il y a seulement trois ans, que je deviendrais directeur de prison, j’aurais bien ri.

– Vous vous destiniez, sans doute, à d’autres fonctions ?

– Je ne me destinais à rien. . , je m’amusais. Ma foi, je ne regrette rien, car, vraiment, je me suis bien amusé.

– Tout est là ! Les femmes sans doute ? ...

– Les femmes, oui, surtout une !

– À la bonne heure !

– Oui, c’est à une femme que je dois mon entrée dans la carrière administrative. Elle s’appelait Alice. Nous nous adorions... Tel que vous me voyez, baron, j’étais un simple rentier Alice eut bientôt fait cesser cette situation anormale. Elle jetait l’argent par les fenêtres et moi je le regardais tomber...

– C’était très gai. Ruiné par les femmes ! Permettez-moi de vous serrer la main.

– Pas par les femmes, par une femme.

– Ce n’en est donc que plus flatteur

– Alors, complètement décavé, je sollicitai une place du gouvernement. À cette époque, j’étais cousin du ministre...

– Vous n’êtes plus son cousin ?

– C’est lui qui n’est plus ministre. Il eut juste le temps de me nommer à Montpaillard. Heureusement, car mes moyens ne me permettaient plus que d’être prisonnier moi-même, ou directeur de prison. Je n’hésitai pas une minute.

– Je n’ai pas de peine à le croire. Et Mlle Alice ?

– Alice, de son côté, fit connaissance d’un monsieur âgé fort riche ; mais la chère petite ne m’a pas oublié, j’en ai actuellement la preuve.

– Tous mes compliments, mon cher Bluette ! Je ne m’attendais pas à trouver chez un directeur de prison un aussi charmant homme, et je suis enchanté d’avoir fait votre connaissance.

– Tout l’honneur est pour moi. Me ferez-vous le plaisir de visiter mon petit établissement ? Ah, dame ! ça n’est pas la prison de Fresnes ! ...

– Très volontiers, cher monsieur.

Les quelques mots échangés sur Alice avaient fait naître au cœur de Bluette le soudain remords de laisser la pauvre chérie en solitude aussi prolongée.

– Avant de commencer notre petite promenade, baron, je vous demanderai l’autorisation de m’occuper de quelques détails de service.

– Faites, mon cher directeur faites. L’administration avant tout !

Et Bluette courut retrouver Alice, qu’il embrassa de tout son cœur et même à plusieurs reprises, croyons-nous pouvoir affirmer.

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