CLXIV NUIT.

Sire, Ebn Thaher entendant parler le prince de Perse de la manière que je disais hier à votre majesté ; lui dit : « Seigneur, plût à Dieu que je pusse vous donner des assurances aussi certaines de l’heureux succès de vos amours que je le puis de la sûreté de votre vie ! Quoique ce palais superbe appartienne au calife, qui l’a fait bâtir exprès pour Schemselnihar, sous le nom de Palais des Plaisirs éternels, et qu’il fasse partie du sien propre, néanmoins il faut que vous sachiez que cette dame y vit dans une entière liberté. Elle n’est point obsédée d’eunuques qui veillent sur ses actions. Elle a sa maison particulière, dont elle dispose absolument. Elle sort de chez elle pour aller dans la ville, sans en demander la permission à personne ; elle rentre lorsqu’il lui plaît, et jamais le calife ne vient la voir qu’il ne lui ait envoyé auparavant Mesrour, chef de ses eunuques, pour lui en donner avis et se préparer à le recevoir. Ainsi vous devez avoir l’esprit tranquille et donner toute votre attention au concert dont je vois que Schemselnihar veut vous régaler. »

Dans le temps qu’Ebn Thaher achevait ces paroles, le prince de Perse et lui virent venir l’esclave confidente de la favorite, qui ordonna aux femmes qui étaient assises devant eux de chanter et de jouer de leurs instruments. Aussitôt elles jouèrent toutes ensemble comme pour préluder ; et quand elles eurent joué quelque temps, une seule commença de chanter et accompagna sa voix d’un luth, dont elle jouait admirablement bien. Comme elle avait été avertie du sujet sur lequel elle devait chanter, les paroles se trouvèrent si conformes aux sentiments du prince de Perse qu’il ne put s’empêcher de lui applaudir à la fin du couplet : « Serait-il possible, s’écria-t-il, que vous eussiez le don de pénétrer dans les cœurs, et que la connaissance que vous avez de ce qui se passe dans le mien vous eût obligée à nous donner un essai de votre voix charmante par ces mots ? Je ne m’exprimerais pas moi-même en d’autres termes. » La femme ne répondit rien à ce discours ; elle continua, et chanta plusieurs autres couplets dont ce prince fut si touché, qu’il en répéta quelques-uns les larmes aux yeux, ce qui faisait assez connaître qu’il s’en appliquait le sens. Quand elle eut achevé tous les couplets, elle et ses compagnes se levèrent et chantèrent toutes ensemble, en marquant par leurs paroles que la pleine lune allait se lever avec tout son éclat et qu’on la verrait bientôt s’approcher du soleil. Cela signifiait que Schemselnihar allait paraître et que le prince de Perse aurait bientôt le plaisir de la voir.

En effet, regardant du côté de la cour, Ebn Thaher et le prince remarquèrent que l’esclave confidente s’approchait et qu’elle était suivie de dix femmes noires qui apportaient avec bien de la peine un grand trône d’argent massif et admirablement travaillé, qu’elle fit poser devant eux à une certaine distance ; après quoi, les esclaves noires se retirèrent derrière des arbres à l’entrée d’une allée. Ensuite, vingt femmes, toutes belles et très-richement habillées d’une parure uniforme, s’avancèrent en deux files, en chantant et en jouant d’un instrument qu’elles tenaient chacune, et se rangèrent auprès du trône, autant d’un côté que de l’autre.

Toutes ces choses tenaient le prince de Perse et Ebn Thaher dans une attention d’autant plus grande qu’ils étaient curieux de savoir à quoi elles se termineraient. Enfin, ils virent paraître à la même porte par où étaient venues les dix femmes noires qui avaient apporté le trône, et les vingt autres qui venaient d’arriver, dix autres femmes également belles et bien vêtues, qui s’y arrêtèrent quelques moments. Elles attendaient la favorite, qui se montra enfin et se mit au milieu d’elles.

Le jour, qui commençait à éclairer l’appartement de Schahriar, imposa silence à Scheherazade. La nuit suivante, elle poursuivit ainsi :

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