CLXXI NUIT.

La confidente de Schemselnihar continua de raconter à Ebn Thaher tout ce qui était arrivé à sa maîtresse depuis son premier évanouissement : « Nous fûmes encore longtemps, dit-elle, à la faire revenir, mes compagnes et moi. Elle revint enfin, et alors je lui dis : « Madame, êtes-vous donc résolue de vous laisser mourir, et de nous faire mourir nous-mêmes avec vous ? Je vous supplie, au nom du prince de Perse, pour qui vous avez intérêt de vivre, de vouloir conserver vos jours. De grâce, laissez-vous persuader et faites les efforts que vous vous devez à vous-même, à l’amour du prince et à notre attachement pour vous.

– Je vous suis bien obligée, reprit-elle, de vos soins, de votre zèle et de vos conseils. Mais, hélas ! peuvent-ils m’être utiles ? Il ne nous est pas permis de nous flatter de quelque espérance, et ce n’est que dans le tombeau que nous devons attendre la fin de nos tourments. » Une de mes compagnes voulut la détourner de ses tristes pensées en chantant un air sur son luth ; mais elle lui imposa silence et lui ordonna, comme à toutes les autres, de se retirer. Elle ne retint que moi pour passer la nuit avec elle. Quelle nuit, ô ciel ! Elle la passa dans les pleurs et les gémissements ; et nommant sans cesse le prince de Perse, elle se plaignait du sort qui l’avait destinée au calife, qu’elle ne pouvait aimer, et non pas à lui, qu’elle aimait éperdument.

« Le lendemain, comme elle n’était pas commodément dans le salon, je l’aidai à passer dans son appartement, où elle ne fut pas plus tôt arrivée que tous les médecins du palais vinrent la voir par ordre du calife, et ce prince ne fut pas longtemps sans venir lui-même. Les remèdes que les médecins ordonnèrent à Schemselnihar firent d’autant moins d’effet qu’ils ignoraient la cause de son mal, et la contrainte où la mettait la présence du calife ne faisait que l’augmenter. Elle a pourtant un peu reposé cette nuit, et d’abord qu’elle a été éveillée, elle m’a chargée de vous venir trouver, pour apprendre des nouvelles du prince de Perse.

– Je vous ai déjà informée de l’état où il est, lui dit Ebn Thaher ; ainsi, retournez vers votre maîtresse, et l’assurez que le prince de Perse attendait de ses nouvelles avec la même impatience qu’elle en attendait de lui. Exhortez-la surtout à se modérer et à se vaincre, de peur qu’il ne lui échappe devant le calife quelque parole qui pourrait nous perdre avec elle.

– Pour moi, reprit la confidente, je vous l’avoue, je crains tout de ses transports ; j’ai pris la liberté de lui dire ce que je pensais là-dessus, et je suis persuadée qu’elle ne trouvera pas mauvais que je lui en parle encore de votre part. »

Ebn Thaher, qui ne faisait que d’arriver de chez le prince de Perse, ne jugea point à propos d’y retourner si tôt et de négliger des affaires importantes qui lui étaient survenues en rentrant chez lui : il y alla seulement sur la fin du jour. Le prince était seul et ne se portait pas mieux que le matin : « Ebn Thaher, lui dit-il en le voyant paraître, vous avez sans doute beaucoup d’amis ; mais ces amis ne connaissent pas ce que vous valez, comme vous le faites connaître par votre zèle, par vos soins et par les peines que vous vous donnez lorsqu’il s’agit de les obliger. Je suis confus de tout ce que vous faites pour moi avec tant d’affection, et je ne sais comment je pourrai m’acquitter envers vous.

– Prince, lui répondit Ebn Thaher, Laissons là ce discours, je vous en supplie. Je suis prêt, non seulement à donner un de mes yeux pour vous en conserver un, mais même à sacrifier ma vie pour la vôtre. Ce n’est pas de quoi il s’agit présentement. Je viens vous dire que Schemselnihar m’a envoyé sa confidente pour me demander de vos nouvelles, et en même temps pour m’informer des siennes. Vous jugez bien que je ne lui ai rien dit qui ne lui ait confirmé l’excès de votre amour pour sa maîtresse et la constance avec laquelle vous l’aimez. » Ebn Thaher lui fit ensuite un détail exact de ce que lui avait dit l’esclave confidente. Le prince l’écouta avec tous les différents mouvements de crainte, de jalousie, de tendresse et de compassion que son discours lui inspira, faisant sur chaque chose qu’il entendait toutes les réflexions affligeantes ou consolantes dont un amant aussi passionné qu’il était pouvait être capable.

Leur conversation dura si longtemps, que la nuit se trouvant fort avancée, le prince de Perse obligea Ebn Thaher à demeurer chez lui. Le lendemain matin, comme ce fidèle ami s’en retournait au logis, il vit venir à lui une femme qu’il reconnut pour la confidente de Schemselnihar, et qui, l’ayant abordé, lui dit : « Ma maîtresse vous salue, et je viens vous prier de sa part de rendre cette lettre au prince de Perse. » Le zélé Ebn Thaher prit la lettre et retourna chez le prince, accompagné de l’esclave confidente.

Scheherazade cessa de parler en cet endroit, à cause du jour qu’elle vit paraître. Elle reprit la suite de son discours la nuit suivante, et dit au sultan des Indes :

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