CXXIX NUIT.

« Mes oncles n’eurent rien à répliquer à mon père, poursuivit le jeune homme de Moussoul, et demeurèrent d’accord de tout ce qu’il venait de dire du Nil, du Caire et de tout le royaume d’Égypte. Pour moi, j’en eus l’imagination si remplie que je n’en dormis pas la nuit. Peu de temps après, mes oncles firent bien connaître eux-mêmes combien ils avaient été frappés du discours de mon père. Ils lui proposèrent de faire tous ensemble le voyage d’Égypte. Il accepta la proposition, et comme ils étaient de riches marchands, ils résolurent de porter avec eux des marchandises qu’ils y pussent débiter. J’appris qu’ils faisaient les préparatifs de leur départ : j’allai trouver mon père, je le suppliai les larmes aux yeux de me permettre de l’accompagner, et de m’accorder un fonds de marchandises pour en faire le débit moi-même. « Vous êtes encore trop jeune, me dit-il, pour entreprendre le voyage d’Égypte : la fatigue en est trop grande, et de plus je suis persuadé que vous vous y perdriez. » Ces paroles ne m’ôtèrent pas l’envie de voyager. J’employai le crédit de mes oncles auprès de mon père, dont ils obtinrent enfin que j’irais seulement jusqu’à Damas, où ils me laisseraient pendant qu’ils continueraient leur voyage jusqu’en Égypte : « La ville de Damas, dit mon père, a aussi ses beautés, et il faut qu’il se contente de la permission que je lui donne d’aller jusque-là. » Quelque désir que j’eusse de voir l’Égypte, après ce que je lui en avais ouï dire, il était mon père, je me soumis à sa volonté.

« Je partis donc de Moussoul avec mes oncles et lui. Nous traversâmes la Mésopotamie ; nous passâmes l’Euphrate, nous arrivâmes à Alep, où nous séjournâmes peu de jours, et de là nous nous rendîmes à Damas, dont l’abord me surprit très-agréablement. Nous logeâmes tous dans un même khan : je vis une ville grande, peuplée, remplie de beau monde et très-bien fortifiée. Nous employâmes quelques jours à nous promener dans tous ces jardins délicieux qui sont aux environs, comme nous le pouvons voir d’ici, et nous convînmes que l’on avait raison de dire que Damas était au milieu d’un paradis. Mes oncles enfin songèrent à continuer leur route : ils prirent soin auparavant de vendre mes marchandises, ce qu’ils firent si avantageusement pour moi que j’y gagnai cinq cents pour cent : cette vente produisit une somme considérable, dont je fus ravi de me voir possesseur.

« Mon père et mes oncles me laissèrent donc à Damas et poursuivirent leur voyage. Après leur départ, j’eus une grande attention à ne pas dépenser mon argent inutilement. Je louai néanmoins une maison magnifique : elle était toute de marbre, ornée de peintures à feuillages d’or et d’azur ; elle avait un jardin où l’on voyait de très-beaux jets d’eau. Je la meublai, non pas à la vérité aussi richement que la magnificence du lieu le demandait, mais du moins assez proprement pour un jeune homme de ma condition. Elle avait autrefois appartenu à un des principaux seigneurs de la ville nommé Modoun Abdalrahim, et elle appartenait alors à un riche marchand joaillier, à qui je n’en payais que deux scherifs par mois. J’avais un assez grand nombre de domestiques ; je vivais honorablement, je donnais quelquefois à manger aux gens avec qui j’avais fait connaissance, et quelquefois j’allais manger chez eux. C’est ainsi que je passais le temps à Damas en attendant le retour de mon père : aucune passion ne troublait mon repos, et le commerce des honnêtes gens faisait mon unique occupation.

« Un jour, que j’étais assis à la porte de ma maison et que je prenais le frais, une dame fort proprement habillée, et qui paraissait fort bien faite, vint à moi et me demanda si je ne vendais pas des étoffes. En disant cela, elle entra dans le logis. »

En cet endroit, Scheherazade voyant qu’il était jour, se tut, et la nuit suivante elle reprit la parole dans ces termes :

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