CXXXIII NUIT.

« Trois jours après que ce malheur me fut arrivé, dit le jeune homme de Moussoul, je vis avec étonnement entrer chez moi une troupe de gens du lieutenant de police, avec le propriétaire de ma maison et le marchand qui m’avait accusé faussement de lui avoir volé le collier de perles. Je leur demandai ce qui les amenait ; mais, au lieu de me répondre, ils me lièrent et garrottèrent en m’accablant d’injures et en me disant que le collier appartenait au gouverneur de Damas, qui l’avait perdu depuis trois ans, et qu’en même temps une de ses filles avait disparu. Jugez de l’état où je me trouvai en apprenant cette nouvelle. Je pris néanmoins ma résolution : « Je dirai la vérité au gouverneur, disais-je en moi-même, ce sera à lui de me pardonner ou de me faire mourir. »

« Lorsqu’on m’eut conduit devant lui, je remarquai qu’il me regarda d’un œil de compassion et j’en tirai un bon augure. Il me fit délier, et puis, s’adressant au marchand joaillier mon accusateur, et au propriétaire de ma maison : « Est-ce là, leur dit-il, l’homme qui a exposé en vente le collier de perles ? » Ils ne lui eurent pas plus tôt répondu que oui, qu’il dit : « je suis assuré qu’il n’a pas volé le collier, et je suis fort étonné qu’on lui ai fait une si grande injustice. » Rassuré par ces paroles : « Seigneur, m’écriai-je, je vous jure que je suis en effet très-innocent. Je suis même persuadé que le collier n’a jamais appartenu à mon accusateur, que je n’ai jamais vu, et dont l’horrible perfidie est cause qu’on m’a traité si indignement. Il est vrai que j’ai confessé que j’avais fait ce vol ; mais j’ai fait cet aveu contre ma conscience, pressé par les tourments, et pour une raison que je suis prêt à vous dire si vous avez la bonté de vouloir m’écouter. – J’en sais déjà assez, répliqua le gouverneur, pour vous rendre tout à l’heure une partie de la justice qui vous est due. Qu’on ôte d’ici, continua-t-il, le faux accusateur, et qu’il souffre le même supplice qu’il a fait souffrir à cet homme, dont l’innocence m’est connue. »

« On exécuta sur-le-champ l’ordre du gouverneur. Le marchand joaillier fut emmené et puni comme il le méritait. Après cela, le gouverneur ayant fait sortir tout le monde, me dit : « Mon fils, racontez-moi sans crainte de quelle manière ce collier est tombé entre vos mains, et ne me déguisez rien. » Alors je lui découvris tout ce qui s’était passé et lui avouai que j’avais mieux aimé passer pour un voleur que de révéler cette tragique aventure. « Grand Dieu ! s’écria le gouverneur dès que j’eus achevé de parler, vos jugements sont incompréhensibles, et nous devons nous y soumettre sans murmure ! Je reçois avec une soumission entière le coup dont il vous a plu de me frapper. » Ensuite m’adressant la parole : « Mon fils, me dit-il, après avoir écouté la cause de votre disgrâce, dont je suis très-affligé, je veux vous faire aussi le récit de la mienne. Apprenez que je suis père de ces deux dames dont vous venez de m’entretenir. »

En achevant ces derniers mots, Scheherazade vit paraître le jour. Elle interrompit sa narration, et, sur la fin de la nuit suivante, elle la continua de cette manière :

Share on Twitter Share on Facebook