LXXXVII NUIT

Sire, le grand vizir Giafar adressant toujours la parole au calife Haroun Alraschid : « Schemseddin Mohammed, dit-il, prit la route de Damas avec sa fille Dame de Beauté et Agib son petit-fils. Ils marchèrent dix-neuf jours de suite sans s’arrêter en nul endroit ; mais le vingtième, étant arrivés dans une fort belle prairie peu éloignée des portes de Damas, ils mirent pied à terre et firent dresser leurs tentes sur le bord d’une rivière qui passe à travers la ville et rend ses environs très-agréables.

« Le vizir Schemseddin Mohammed déclara qu’il voulait séjourner deux jours dans ce beau lieu, et que le troisième il continuerait son voyage. Cependant il permit aux gens de sa suite d’aller à Damas. Ils profitèrent presque tous de cette permission, les uns poussés par la curiosité de voir une ville dont ils avaient ouï parler si avantageusement, les autres pour y vendre des marchandises d’Égypte qu’ils avaient apportées, ou pour y acheter des étoffes et des raretés du pays. Dame de Beauté souhaitant que son fils Agib eût aussi la satisfaction de se promener dans cette célèbre ville, ordonna à l’eunuque noir qui servait de gouverneur à cet enfant de l’y conduire, et de bien prendre garde qu’il ne lui arrivât quelque accident.

« Agib, magnifiquement habillé, se mit en chemin avec l’eunuque, qui avait à la main une grosse canne. Ils ne furent pas plus tôt entrés dans la ville, qu’Agib, qui était beau comme le jour, attira sur lui les yeux de tout le monde. Les uns sortaient de leurs maisons pour le voir de plus près ; les autres mettaient la tête aux fenêtres, et ceux qui passaient dans les rues ne se contentaient pas de s’arrêter pour le regarder, ils l’accompagnaient pour avoir le plaisir de le considérer plus longtemps. Enfin il n’y avait personne qui ne l’admirât et qui ne donnât mille bénédictions au père et à la mère qui avaient mis au monde un si bel enfant. L’eunuque et lui arrivèrent par hasard devant la boutique où était Bedreddin Hassan, et là ils se virent entourés d’une si grande foule de peuple qu’ils furent obligés de s’arrêter.

« Le pâtissier qui avait adopté Bedreddin Hassan était mort depuis quelques années, et lui avait laissé, comme à son héritier, sa boutique avec tous ses autres biens. Bedreddin était donc alors maître de la boutique, et il exerçait la profession de pâtissier si habilement qu’il était en grande réputation dans Damas. Voyant que tant de monde assemblé devant sa porte regardait avec beaucoup d’attention Agib et l’eunuque noir, il se mit à les regarder aussi. »

Scheherazade, à ces mots, voyant paraître le jour, se tut, et Schahriar se leva fort impatient de savoir ce qui se passerait entre Agib et Bedreddin. La sultane satisfit son impatience sur la fin de la nuit suivante, et reprit ainsi la parole :

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