XCII NUIT.

« Schemseddin Mohammed, continua le vizir Giafar, après avoir instruit sa belle-sœur de tout ce qui s’était passé au Caire la nuit des noces de sa fille, après lui avoir conté la surprise que lui avait causée la découverte du cahier cousu dans le turban de Bedreddin, lui présenta Agib et Dame de Beauté.

« Quand la veuve de Noureddin Ali, qui était demeurée assise comme une femme qui ne prenait plus de part aux choses du monde, eut compris par le discours qu’elle venait d’entendre que le cher fils qu’elle regrettait tant pouvait vivre encore, elle se leva et embrassa très-étroitement Dame de Beauté et son petit Agib, en qui reconnaissant les traits de Bedreddin, elle versa des larmes d’une nature bien différente de celles qu’elle répandait depuis si longtemps. Elle ne pouvait se lasser de baiser ce jeune homme, qui, de son côté, recevait ses embrassements avec toutes les démonstrations de joie dont il était capable. « Madame, dit Schemseddin Mohammed, il est temps de finir vos regrets et d’essuyer vos larmes : il faut vous disposer à venir en Égypte avec nous. Le sultan de Balsora me permet de vous emmener, et je ne doute pas que vous n’y consentiez. J’espère que nous rencontrerons enfin votre fils mon neveu, et si cela arrive, son histoire, la vôtre, celle de ma fille et la mienne, mériteront d’être écrites pour être transmises à la postérité. »

« La veuve de Noureddin Ali écouta cette proposition avec plaisir, et fit travailler dès ce moment aux préparatifs de son départ. Pendant ce temps-là Schemseddin Mohammed demanda une seconde audience, et ayant pris congé du sultan, qui le renvoya comblé d’honneurs, avec un présent considérable pour lui et un autre plus riche pour le sultan d’Égypte, il partit de Balsora et reprit le chemin de Damas.

« Lorsqu’il fut près de cette ville, il fit dresser ses tentes hors de la porte par où il devait entrer, et dit qu’il y séjournerait trois jours pour faire reposer son équipage, et pour acheter ce qu’il trouverait de plus curieux et de plus digne d’être présenté au sultan d’Égypte.

« Pendant qu’il était occupé à choisir lui-même les plus belles étoffes que les principaux marchands avaient apportées sous ses tentes, Agib pria l’eunuque noir, son conducteur, de le mener promener dans la ville, disant qu’il souhaitait de voir les choses qu’il n’avait pas eu le temps de voir en passant, et qu’il serait bien aise aussi d’apprendre des nouvelles du pâtissier à qui il avait donné un coup de pierre. L’eunuque y consentit, marcha vers la ville avec lui, après en avoir obtenu la permission de sa mère, Dame de Beauté.

« Ils entrèrent dans Damas par la porte du Paradis, qui était la plus proche des tentes du vizir Schemseddin Mohammed. Ils parcoururent les grandes places, les lieux publics et couverts où se vendaient les marchandises les plus riches, et virent l’ancienne mosquée des Ommiades dans le temps qu’on s’y assemblait pour faire la prière d’entre le midi et le coucher du soleil. Ils passèrent ensuite devant la boutique de Bedreddin Hassan, qu’ils trouvèrent encore occupé à faire des tartes à la crème. « Je vous salue, lui dit Agib, regardez-moi. Vous souvenez-vous de m’avoir vu ? » À ces mots, Bedreddin jeta les yeux sur lui, et, le reconnaissant, (ô surprenant effet de l’amour paternel !) il sentit la même émotion que la première fois : il se troubla, et au lieu de lui répondre, il demeura longtemps sans pouvoir proférer une seule parole. Néanmoins ayant rappelé ses esprits : « Mon petit seigneur, lui dit-il, faites-moi la grâce d’entrer encore une fois chez moi avec votre gouverneur ; venez goûter d’une tarte à la crème. Je vous supplie de me pardonner la peine que je vous fis en vous suivant hors de la ville : je ne me possédais pas, je ne savais ce que je faisais ; vous m’entraîniez après vous sans que je pusse résister à une si douce violence. »

Scheherazade cessa de parler en cet endroit, parce qu’elle vit paraître le jour. Le lendemain elle reprit de cette manière la suite de son discours :

Share on Twitter Share on Facebook