(Reçue le 20 janvier.)
Chère Comtesse,
Tout à l’heure, en rentrant du théâtre, nous avons trouvé le document officiel par lequel vous annoncez à ma femme qu’elle est élue membre de votre Société, et me proposez de remplir sans appointements les fonctions de secrétaire. Ma femme est enchantée, et demain nous irons ensemble vous remercier ; mais dès maintenant je veux vous exprimer mon admiration pour votre ingéniosité. Jusqu’ici il m’était impossible de sortir de la maison. Dorénavant il faudra bien que je porte chez la présidente rapports et comptes. C’est aussi très bien que vous ayez loué dans Vassilievsky Ostroff les bureaux de la Société, bien loin des regards indiscrets. Espérons qu’à ces séances privées ne viendront pas les yeux de lynx de la baronne Vizen.
Hier vous avez demandé à ma femme d’où lui venait ce collier de perles qui a eu si grand succès au bal, et elle vous a répondu qu’il lui venait de sa grand’mère ; ce n’est pas vrai : elle l’a acheté à Slobotsk, presque pour rien (3.500 roubles), à Médiachkina, l’écornifleuse de votre tante défunte. Médiachkina a juré qu’il fallait bien qu’elle fut réduite à la dernière extrémité pour consentir à se séparer de ce cadeau de sa bienfaitrice, et elle a obligé ma femme à faire le serment de ne jamais parler de cet achat à personne ; mais moi, qui n’ai pas juré, je puis dire la vérité.
Comme un très humble secrétaire, je baise avec le plus grand respect la main de mon nouveau chef.
A. M.
P.-S. – Je serais maintenant très heureux de trouver quelque égyptologue qui veuille bien déchiffrer les hiéroglyphes avec ma femme. Ma vie de famille s’arrangerait alors tout à fait bien.