C’est-il que d’être sortie de l’hôpital ça vous laisse une âme blanche ? Ils ne se reconnaissaient plus. Le Cercle ? Ils n’allaient plus au Cercle. Des types, il en fallait, mais tout juste. Et après :
– P’tit homme, disait Zonzon, si qu’on pouvait sans tous ceux-là vivre ensemble comme tout le monde !
Et Valère, pourtant le Valère à serrer le cou aux vieilles femmes :
– Tu ne sais pas, disait ce Valère, autrefois, j’avais une cousine, je l’adorais, l’innocente, parce qu’elle avait des yeux d’aveugle… depuis que t’es revenue, je t’aime un peu comme ça…
Il pouvait le dire : Il l’aimait fort comme ça.
Un jour, il la mena où il eût mené cette cousine. Ils prirent le train. Il avait expliqué :
– Des roses, tu en verras…
Et c’était vrai ! D’où qu’ils venaient, où qu’ils allaient, on les voyait, ces roses ; là-bas, encore des roses ; plus loin, rien qu’à flairer, hum ! ce serait toujours des roses. À ne pas croire !
– P’tit homme, disait Zonzon : c’est-y donc vrai qu’il y ait par le monde tant de roses ?
– Tu vois, souriait Valère.
– On peut toucher ?
– Mais oui, touche.
Elle les touchait. Il y en avait ; on aurait dit une pomme ; d’autres, de mignonnes, comme une bouche d’enfant.
– Et celle-là, regarde Valère, tu t’souviens à l’hôpital, la môme qui était si pâle : sa peau était ainsi ; et c’t’autre, si tu penses à Ma Sœur, elle avait les joues comme ça.
Elle ajoutait :
– Mon pauv’ petit pigeon.
– Zonzon.
À cause des roses, il leur venait encore plus de blanc dans le coeur !
Dommage que de pareils jours aient un soir qui vous chasse. Ils durent partir. Ce train qui vous prend, ces trottoirs qui puent, D’Artagnan qui vous croise, Londres, c’est l’enfer où l’on rentre. Zonzon marchait encore parmi ses roses. Elle fermait les yeux, comme la cousine.
– P’tit pigeon, je n’y vois pas : où c’est-y que tu me mènes ?
Mais Valère serrait les dents :
– Ne blague pas, tu m’agaces.
– Je t’agace ? Pourquoi ?
Il ne savait pas ; il se plaignait :
– Ça m’a pris, dès la gare…
Plus loin, à cause d’un type, lui qui s’en fichait, il voulut qu’elle y allât.
Ce soir, elle eût préféré non. Il eut son œil mauvais :
– Vas-y donc !… J’rentre devant…
Elle y alla, il rentra devant.
Pendant ce temps, que se passa-t-il ? Elle n’avait pas été longue. Quand elle revint, Valère se tassait sur une chaise, tout rouge, avec des yeux comme quand on va prendre au cou une vieille femme.
Elle dit, comme tous les jours :
– Bonsoir, petit pigeon.
Et lui, sautant debout :
– C’est pas ça que je veux.
Il la prit aux poignets : il serra tant qu’elle eut mal ; il mordit tant qu’elle saigna. Il grognait :
– Aussi t’es pas trop chiffe.
Chiffe ! Il n’eut pas besoin d’expliquer. Elle vit clair tout à coup. Être Zonzon, être Valère, on le reste… Du blanc d’hôpital, on est chiffe… Alors, merde, n’est-ce pas ? Il l’avait d’ailleurs rendue furieuse. Elle redevint la Zonzon, elle sortit des griffes, elle se rua. Ils se retrouvèrent ce qu’ils étaient, nus et féroces, comme des bêtes.
Après il rit. Il soufflait un peu. Il ronronna :
– Zonzon, t’aimer comme ça, c’est comme si qu’on bouffait du sucre dans la gueule d’une lionne…