Les femmes sont constamment les dupes ou les victimes de leur excessive sensibilité ; mais nous avons démontré que, chez la plupart d’entre elles, cette délicatesse d’âme devait, presque toujours à notre insu, recevoir les coups les plus rudes, par le fait du mariage. (Voyez les Médiations intitulées : Des prédestinés et De la Lune de Miel.) La plupart des moyens de défense employés instinctivement par les maris ne sont-ils pas aussi des piéges tendus à la vivacité des affections féminines ?
Or, il arrive un moment où, pendant la guerre civile, une femme trace par une seule pensée l’histoire de sa vie morale, et s’irrite de l’abus prodigieux que vous avez fait de sa sensibilité. Il est bien rare que les femmes, soit par un sentiment de vengeance inné qu’elles ne s’expliquent jamais, soit par un instinct de domination, ne découvrent pas alors un moyen de gouvernement dans l’art de mettre en jeu chez l’homme cette propriété de sa machine.
Elles procèdent avec un art admirable à la recherche des cordes qui vibrent le plus dans les cœurs de leurs maris ; et, une fois qu’elles en ont trouvé le secret, elles s’emparent avidement de ce principe ; puis, comme un enfant auquel on a donné un joujou mécanique dont le ressort irrite sa curiosité, elles iront jusqu’à l’user, frappant incessamment, sans s’inquiéter des forces de l’instrument, pourvu qu’elles réussissent. Si elles vous tuent, elles vous pleureront de la meilleure grâce du monde, comme le plus vertueux, le plus excellent et le plus sensible des êtres.
Ainsi, votre femme s’armera d’abord de ce sentiment généreux qui nous porte à respecter les êtres souffrants. L’homme le plus disposé à quereller une femme pleine de vie et de santé est sans énergie devant une femme infirme et débile. Si la vôtre n’a pas atteint le but de ses desseins secrets par les divers systèmes d’attaque déjà décrits, elle saisira bien vite cette arme toute-puissante.
En vertu de ce principe d’une stratégie nouvelle, vous verrez la jeune fille si forte de vie et de beauté de qui vous avez épousé la fleur, se métamorphosant en une femme pâle et maladive.
L’affection dont les ressources sont infinies pour les femmes, est la migraine. Cette maladie, la plus facile de toutes à jouer, car elle est sans aucun symptôme apparent, oblige à dire seulement : — J’ai la migraine. Une femme s’amuse-t-elle de vous, il n’existe personne au monde qui puisse donner un démenti à son crâne dont les os impénétrables défient et le tact et l’observation. Aussi la migraine est-elle, à notre avis, la reine des maladies, l’arme la plus plaisante et la plus terrible employée par les femmes contre leurs maris. Il existe des êtres violents et sans délicatesse qui, instruits des ruses féminines par leurs maîtresses pendant le temps heureux de leur célibat, se flattent de ne pas être pris à ce piége vulgaire. Tous leurs efforts, tous leurs raisonnements, tout finit par succomber devant la magie de ces trois mots : — J’ai la migraine ! Si un mari se plaint, hasarde un reproche, une observation ; s’il essaie de s’opposer à la puissance de cet Il buondo cani du mariage, il est perdu.
Imaginez une jeune femme, voluptueusement couchée sur un divan, la tête doucement inclinée sur l’un des coussins, une main pendante ; un livre est à ses pieds, et sa tasse d’eau de tilleul sur un petit guéridon !... Maintenant, placez un gros garçon de mari devant elle. Il a fait cinq à six tours dans la chambre ; et, à chaque fois qu’il a tourné sur ses talons pour recommencer cette promenade, la petite malade a laissé échapper un mouvement de sourcils pour lui indiquer en vain que le bruit le plus léger la fatigue. Bref, il rassemble tout son courage, et vient protester contre la ruse par cette phrase si hardie : — Mais as-tu bien la migraine ?... À ces mots, la jeune femme lève un peu sa tête languissante, lève un bras qui retombe faiblement sur le divan, lève des yeux morts sur le plafond, lève tout ce qu’elle peut lever ; puis, vous lançant un regard terne, elle dit d’une voix singulièrement affaiblie : — Eh ! qu’aurais-je donc ?... Oh ! l’on ne souffre pas tant pour mourir !... Voilà donc toutes les consolations que vous me donnez ! Ah ! l’on voit bien, messieurs, que la nature ne vous a pas chargés de mettre des enfants au monde. Êtes-vous égoïstes et injustes ? Vous nous prenez dans toute la beauté de la jeunesse, fraîches, roses, la taille élancée, voilà qui est bien ! Quand vos plaisirs ont ruiné les dons florissants que nous tenons de la nature, vous ne nous pardonnez pas de les avoir perdus pour vous ! C’est dans l’ordre. Vous ne nous laissez ni les vertus ni les souffrances de notre condition. Il vous a fallu des enfants, nous avons passé les nuits à les soigner ; mais les couches ont ruiné notre santé, en nous léguant le principe des plus graves affections (Ah ! quelles douleurs !...) Il y a peu de femmes qui ne soient sujettes à la migraine ; mais la vôtre doit en être exempte... Vous riez même de ses douleurs ; car vous êtes sans générosité... (Par grâce, ne marchez pas !...) Je ne me serais pas attendu à cela de vous. (Arrêtez la pendule, le mouvement du balancier me répond dans la tête. Merci.) Oh ! que je suis malheureuse !... N’avez-vous pas sur vous une essence ? Oui. Ah ! par pitié, permettez-moi de souffrir à mon aise, et sortez ; car cette odeur me fend le crâne ! Que pouvez-vous répondre ?... N’y a-t-il pas en vous une voix intérieure qui vous crie : — Mais si elle souffre ?... Aussi presque tous les maris évacuent-ils le champ de bataille bien doucement ; et c’est du coin de l’œil que leurs femmes les regardent marchant sur la pointe du pied et fermant doucement la porte de leur chambre désormais sacrée.
Voilà la migraine, vraie ou fausse, impatronisée chez vous. La migraine commence alors à jouer son rôle au sein du ménage. C’est un thème sur lequel une femme sait faire d’admirables variations, elle le déploie dans tous les tons. Avec la migraine seule, une femme peut désespérer un mari. La migraine prend à madame quand elle veut, où elle veut, autant qu’elle le veut. Il y en a de cinq jours, de dix minutes, de périodiques ou d’intermittentes.
Vous trouvez quelquefois votre femme au lit, souffrante, accablée, et les persiennes de sa chambre sont fermées. La migraine a imposé silence à tout, depuis les régions de la loge du concierge, lequel fendait du bois, jusqu’au grenier d’où votre valet d’écurie jetait dans la cour d’innocentes bottes de paille. Sur la foi de cette migraine, vous sortez ; mais à votre retour, on vous apprend que madame a décampé !... Bientôt madame rentre fraîche et vermeille : — Le docteur est venu ! dit-elle, il m’a conseillé l’exercice, et je m’en suis très-bien trouvée !...
Un autre jour, vous voulez entrer chez madame. — Oh ! monsieur ! vous répond la femme de chambre avec toutes les marques du plus profond étonnement ; madame a sa migraine, et jamais je ne l’ai vue si souffrante ! On vient d’envoyer chercher monsieur le docteur.
— Es-tu heureux, disait le maréchal Augereau au général R... d’avoir une jolie femme ! — Avoir !... reprit l’autre. Si j’ai ma femme dix jours dans l’année, c’est tout au plus. Ces s... femmes ont toujours ou la migraine ou je ne sais quoi !
La migraine remplace, en France, les sandales qu’en Espagne le confesseur laisse à la porte de la chambre où il est avec sa pénitente.
Si votre femme, pressentant quelques intentions hostiles de votre part, veut se rendre aussi inviolable que la charte, elle entame un petit concerto de migraine. Elle se met au lit avec toutes les peines du monde. Elle jette de petits cris qui déchirent l’âme. Elle détache avec grâce une multitude de gestes si habilement exécutés qu’on pourrait la croire désossée. Or, quel est l’homme assez peu délicat pour oser parler de désirs, qui, chez lui, annoncent la plus parfaite santé, à une femme endolorie ? La politesse seule exige impérieusement son silence. Une femme sait alors qu’au moyen de sa toute-puissante migraine elle peut coller à son gré au-dessus du lit nuptial cette bande tardive qui fait brusquement retourner chez eux les amateurs affriolés par une annonce de la Comédie-Française quand ils viennent à lire sur l’affiche : Relâche par une indisposition subite de mademoiselle Mars.
Ô migraine, protectrice des amours, impôt conjugal, bouclier sur lequel viennent expirer tous les désirs maritaux ! Ô puissante migraine ! est-il bien possible que les amants ne t’aient pas encore célébrée, divinisée, personnifiée ! Ô prestigieuse migraine ! ô fallacieuse migraine, béni soit le cerveau qui le premier te conçut ! honte au médecin qui te trouverait un préservatif ! Oui, tu es le seul mal que les femmes bénissent, sans doute par reconnaissance des biens que tu leur dispenses, ô fallacieuse migraine ! ô prestigieuse migraine !