VII

Cependant, au milieu de ces férocités, il y eut un instant où cette mère outrée, mais non pas sans entrailles, s'arrêta dans le supplice qu'elle infligeait à sa fille. Sentit-elle que, même coupable, c'était vraiment trop ?… Fut-elle touchée de ce visage qui avait été délicieux et qui n'était plus qu'une fleur broyée, ou bien fut-ce une ruse de cette âme acharnée pour surprendre le secret que cette fille si faible, et forte pour la première fois, avait l'incroyable énergie de garder caché dans son cœur ?… Elle se connaissait en amour.

« Il faut qu'elle aime furieusement, pensait-elle, pour avoir cette force, elle si douce de nature et si peu faite pour résister ! » Et voilà que, tout à coup, elle changea de ton avec Lasthénie. Voilà que son âpreté s'adoucit et qu'elle revint même au tutoiement de la tendresse !

« Écoute – lui dit-elle -, malheureuse et funeste enfant, tu meurs de chagrin et tu m'en fais mourir avec toi. Tu perds ton âme et tu perds la mienne ! Car te cacher, c'est mentir, et tu me fais partager ton mensonge, avec cette humiliante comédie de tous les moments qu'il faut jouer pour cacher ta honte, tandis qu'un mot dit de cœur à cœur à ta mère pourrait peut-être tout sauver. Un mot dit par toi te mettrait peut-être dans les bras où tu t'es mise une fois. Dis-moi le nom de l'homme que tu aimes. Il n'est peut-être pas si bas que tu ne puisses l'épouser. Ah ! Lasthénie, je me reproche d'avoir été si dure avec toi ! Je n'en ai pas le droit, ma fille. Je t'ai caché ma vie. Tu ne sais, ni toi, ni les autres, qu'une seule chose, c'est que j'ai aimé follement ton père et qu'il m'a enlevée… Mais tu ignores – et le monde aussi -, que moi, comme toi, ma pauvre fille, j'avais été coupable et faible, et qu'il m'avait mise dans l'état où tu es, quand il m'amena dans ce pays pour m'épouser. Le bonheur du mariage cacha une faiblesse dont je n'eus jamais à rougir que devant Dieu seul. Ta faute, à toi, ma pauvre fille, est, sans doute, une punition et une expiation de la mienne. Dieu a de ces talions terribles ! J'ai épousé ton père. J'épousais mon Dieu !

Mais le Dieu du ciel ne veut pas qu'on lui préfère personne, et il m'en a punie en me le prenant et en faisant de toi une fille coupable comme je l'avais été. Eh bien, pourquoi n'épouserais-tu pas aussi celui que tu aimes ?

– car tu l'aimes !… Si tu ne l'aimais pas follement comme j'ai aimé ton père, tu ne te tairais pas… » Elle s'arrêta. On voyait que cela lui coûtait immensément, ce qu'elle venait de dire ! mais elle l'avait dit.

Elle s'était avouée l'égale de sa fille dans la faute. Elle n'avait pas reculé devant certaine humiliation, – la dernière ressource. qui lui restât pour savoir la vérité qu'elle brillait de connaître. Elle s'était résignée à rougir devant son enfant, elle qui avait une si grande idée de la maternité et du respect qu'une fille doit à sa mère !… Parce qu'elle lui apprenait aujourd'hui une chose que personne n'avait sue – dont personne au monde ne s'était douté – et que le mariage avait si heureusement cachée, elle se dégradait comme mère, aux yeux de Lasthénie, et c'est pour cela qu'elle avait tant tardé à faire ce dégradant aveu !… Elle ne l'avait fait qu'à la dernière extrémité, mais elle en avait bien longtemps roulé en elle-même la pensée. Quel effort n'avait-il pas fallu à son âme robuste pour se résoudre à cet aveu qui l'abaisserait dans l'âme de sa fille ?

Mais enfin, elle s'était domptée, et elle l'avait fait.

Seulement, ce fut en vain. Lasthénie n'en fut pas touchée. Elle écouta l'aveu de sa mère comme elle écoutait tout maintenant, sans répondre jamais, épuisée qu'elle était de courage et de négations inutiles. Aux reproches de Mme de Ferjol, à ses impatiences, à ses objurgations, à ses colères, elle était aussi insensible qu'une bête morte. Elle fut de même à cet aveu. Était-ce un parti désespéré pris par elle, la certitude qu'elle ne pourrait convaincre sa mère de son innocence devant le signe visible de sa grossesse ? Mais cette tendresse, si soudainement montrée, de Mme de Ferjol, cette confiance qui appelait la confiance, cette confession d'une faiblesse égale à la sienne qui devait tant coûter à l'orgueil d'une mère vis-à-vis de sa fille, ne pénétrèrent pas dans l'âme de Lasthénie, qui ne s'était jamais ouverte à sa mère, et que, d'ailleurs, la douleur de son incompréhensible état idiotisait. Il était trop tard ! Lasthénie avait cru longtemps à tout autre chose qu'une grossesse. Elle avait connu dans la bourgade même qu'elle habitait une malheureuse qu'on avait crue grosse, et qu'on avait déshonorée et traînée sur la claie des plus mauvais propos pendant les mois de sa grossesse, mais qui, les neuf mois écoulés, resta grosse… d'un horrible squirre dont elle n'était pas morte encore, et qui, certainement, devait un jour la faire mourir. Lasthénie, comble de l'infortune ! Lasthénie avait espéré en ce squirre comme on espère en Dieu.

« Ce sera toute ma vengeance – pensait-elle contre ma mère et ce qu'elle me dit de cruel ! » Mais cette affreuse espérance, elle ne l'avait plus.

Elle ne doutait plus. L'enfant avait remué, et ce remuement dans ses entrailles lui avait remué, du même coup, quelque chose dans le cœur qui était, peut-être, l'amour maternel !

« Eh bien, parleras-tu maintenant, Lasthénie ?

Rendras-tu à ta mère confiance pour confiance, aveu pour aveu ? – fit Mme de Ferjol presque caressante.

– Tu ne dois plus avoir peur à présent d'une mère qui fut un jour aussi faible et aussi coupable que toi, et qui peut te sauver, – ajouta-t-elle, – en te donnant celui que tu aimes ?... » Mais Lasthénie ne semblait pas entendre, même physiquement, la voix qui parlait. Elle était sourde.

Elle était muette. Sa mère la regardait, aspirant la réponse qui ne sortait pas de ses lèvres blêmes.

« Voyons ! ma fillette, nomme-le-moi ! » lui dit-elle en prenant une de ses mains inertes, croyant l'entraîner doucement par cette main sur sa poitrine. Mouvement maternel qui, lui aussi, arrivait trop tard !…

Elles étaient alors dans la haute salle qu'elles ne quittaient jamais, et où les montagnes qui faisaient une ceinture à leur triste maison envoyèrent leurs ombres et en redoublaient la tristesse. Elles se tenaient dans leur embrasure. – Ah ! sait-on bien le nombre des tragédies muettes entre filles et mères qui se jouent dans ces embrasures de fenêtre, où elles semblent si tranquillement travailler ?… Lasthénie y était assise, droite, rigide et pâle comme un médaillon de plâtre ressortant sur le brun du chêne qui revêtait les murs. Mme de Ferjol penchait son front sombre sur son ouvrage, mais Lasthénie, accablée comme si le ciel se fût écroulé sur elle, laissait tomber et couler, de ses mains découragées, son feston à terre, dans l'immobilité d'une statue, – la statue de la Désolation infinie ! Ses yeux si nacrés, si frais et si purs, étaient littéralement tués de larmes. Ils avaient autour des paupières cet ourlet d'un rouge âcre qu'y avait laissé et qu'y ravivait l'incessante brûlure des pleurs ; et ces yeux qui commençaient de s'érailler, comme s'ils avaient pleuré du sang, n'exprimaient plus rien, pas même le désespoir ! car Lasthénie était en train de tomber plus bas que dans l'absorption fixe du fou. Elle allait tomber dans le vide fixe de l'idiot.

Sa mère la contempla longtemps avec la pitié mêlée de terreur que lui causait le désastre de ce visage. Elle n'avait jamais dit à sa fille qu'elle la trouvait belle ; mais, au plus profond de son âme, elle n'avait pas moins la fierté du visage de Lasthénie, quoiqu'elle n'en parlât jamais, la janséniste austère, de peur d'exalter deux orgueils, – celui de sa fille et le sien. Aujourd'hui, ce visage ravagé la navrait, de le voir ! – « Ah ! – pensait-elle, – cette fille charmante sera peut-être affreuse et tout à fait imbécile demain ! » – Elle voyait déjà poindre le hideux idiotisme à travers cette fille, morte avant d'être morte…, car on croit que les corps de la plupart de ceux qui meurent s'en vont de ce monde les premiers et avant leurs âmes, mais pour d'autres, les corps restent là, dans la vie, quand les âmes, depuis bien longtemps, n'y sont plus !

Et le soir les prit dans ce face à face, de quatre pieds carrés, dans lequel se parquait leur vie, – le soir, qui venait vite dans le fond de puits de cette bourgade obscure, et qui ramenait l'heure de leur prière du tomber du jour, à l'église.

« Viens prier Dieu pour qu'il te descelle le cœur et les lèvres et te donne la force de parler », dit Mme de Ferjol. Mais, indifférente à Dieu qui n'avait pas pitié d'elle, comme elle était indifférente à tout, Lasthénie resta à sa place, et Mme de Ferjol fut obligée de saisir par le poignet cette créature qui n'était plus qu'une chose douloureuse, et qui, automatiquement, céda à sa mère et se leva.

« Tiens ! – dit Mme de Ferjol, en soulevant la main de sa fille à la hauteur de ses yeux – tu n'as plus la bague de ton père ! Qu'en as-tu fait ? L'as-tu perdue ?

Ne te sens-tu plus digne de la porter ? » L'abîmement dans leur malheur domestique avait été si grand pour ces deux femmes, que ni l'une ni l'autre ne s'était aperçue que la bague manquait à la main qui avait l'habitude de la porter.

Lasthénie, qui ne comprenait plus rien à rien, regarda sa main, dont elle écarta les doigts avec un mouvement insensé.

« Est-ce que je l'ai perdue ? – fit-elle, comme si elle fût sortie d'un évanouissement.

– Oui ! tu l'as perdue…, comme tu t'es perdue !

– Dit Mme de Ferjol avec un regard qui redevint noir et implacable. – Tu l'auras donnée à qui tu t'es donnée !… » – Et elle reprit toute sa dureté. Elle était tellement épouse, cette femme plus épouse que mère, que cette perte d'une bague de l'homme adoré qui l'avait portée et que sa fille avait égarée, lui paraissait chose pire que de s'être perdue elle-même.

Ce soir-là, – et les jours suivants -, Agathe chercha partout dans la vaste maison la bague, qui pouvait très bien être tombée du doigt amaigri de Lasthénie.

Elle ne la trouva pas. Et ce fut une raison de plus pour que jamais une minute de compassion ne revînt au cœur de Mme de Ferjol, et pour que ses ressentiments devinssent d'une cruauté qui ne faiblît plus !

Ce soir-là, elles oublièrent d'aller à l'église.

Si elles y étaient allées, Mme de Ferjol y aurait porté la pensée qui l'avait hantée si souvent par intervalles, niais qui, finalement, s'empara d'elle comme une griffe, après ce mutisme invincible de Lasthénie.

« Puisqu'elle ne veut pas me dire le nom du coupable – se dit-elle, – c'est donc qu'il ne peut pas l'épouser. » Et alors la pensée lui revenait de cet effrayant capucin qui lui fascinait la pensée et dont elle n'aurait pas osé prononcer le nom devant sa fille, ni dans sa conscience, à elle-même, quand elle y pensait. Ce nom seul, les lettres de ce nom seul à prononcer lui faisaient peur… Assembler les lettres de ce nom et le prononcer tout bas lui paraissait un monstrueux sacrilège. C'en était un pour elle que de mal penser d'un religieux et d'un prêtre qui, tout le temps qu'il avait vécu auprès d'elle, lui avait paru irrépréhensible. Ce qu'elle frémissait de penser, mais cependant ce qu'elle pensait, était bien possible sans doute – humainement possible ; – mais elle, la pieuse femme, qui croyait à la vertu surnaturelle des sacrements, repoussait le possible, qu'elle regardait comme l'impossible pour un prêtre nourri chaque jour de la substance de Dieu. – « Ah ! Seigneur ! – s'écriait-elle dans ses prières – faites, Seigneur, que ce ne soit pas lui ! » Elle ne l'appelait plus que LUI, – même mentalement… D'ailleurs, à quel moment (se disait-elle quand elle voulait raisonner contre son épouvante) le crime aurait-il été consommé, ce crime encore plus contre Dieu que contre sa fille ?… Lui n'avait jamais vu l'une sans l'autre de ces deux femmes qui l'avaient hébergé quarante jours. Excepté à l'heure des repas, il n'était jamais descendu de sa chambre, dont il avait fait une cellule. C'était donc absurde, c'était donc insensé, ce qu'elle pensait ! Mais ce qu'elle pensait et ce qu'elle chassait comme une pensée de l'Enfer, revenait en elle avec un acharnement infernal, malgré son évidente absurdité. Obsession, hallucination, vision terrifiante qu'elle fixait des yeux infatigables de son esprit, comme ce fou dont la folie était de regarder fixement le soleil et de se faire manger les yeux par l'astre dévorant de lumière ; mais, plus malheureuse que ce fou bientôt aveuglé qui n'eut plus que deux trous saignants à la place de ses yeux dévorés, elle ne devint pas intellectuellement aveugle à regarder l'horrible soleil intérieur qui la brûlait et qu'elle fixait et qu'elle voyait toujours ! Cela finissait par la plonger dans des silences comme ceux de Lasthénie… Et si elle se détournait une minute de cette fascination absorbante dont elle demandait vainement à Dieu de la délivrer, c'est qu'une autre pensée non moins puissante, non moins impérieuse, se dressait en elle, – la pensée du temps qui marchait !

Il marchait, en effet, comme le temps va, – impitoyable, – et il allait tout apprendre de la honte des dames de Ferjol à cette bourgade où elles avaient vécu, dix-huit ans, respectées. Le terme de Lasthénie approchait. Ah ! il fallait partir ! il fallait s'en aller ! il fallait disparaître ! Mme de Ferjol, qui ne voyait personne, fit répandre, un matin, par Agathe, au marché du bourg, qu'elle retournait en son pays… C'était la seule chose qui pouvait amoindrir le chagrin d'Agathe, affligée de l'état inexplicable, et peut-être sans remède de Lasthénie, qu'elle croyait toujours la proie d'un Démon, que de quitter ce pays qu'elle avait en horreur, ce cul-de-basse-fosse où depuis dix-neuf ans elle étouffait… Elle allait donc revoir son Cotentin et ses herbages ! Pour s'en aller, Mme de Ferjol avait prétexté la santé de sa fille. Il était nécessaire de lui faire changer d'air. Elle avait naturellement choisi l'air du pays qui était le sien et où elle avait une grande fortune. Elle donna à Agathe toutes les raisons bêtes qui cachaient la vraie et spirituelle raison de son départ, et que, ravie de son retour en Normandie, Agathe n'examina pas, ne discuta pas, mais accepta avec une indicible joie. Elle était folle de revenir au pays où elle était née ! Or, tout autant avec Agathe qu'avec personne, Mme de Ferjol voulait garder le secret de sa fille, qui était le sien, puisque au regard de sa conscience la grossesse de Lasthénie la déshonorait presque autant qu'elle. Pour cela, Mme de Ferjol avait tourné et retourné sous toutes les faces la pensée de ce qu'elle pouvait faire dans la circonstance d'une grossesse, pour la cacher sans crime. Car le crime, ce crime de l'avortement et de l'infanticide qui est devenu d'une si abominable fréquence dans l'état actuel de nos misérables mœurs, et qu'on pourrait appeler : Le Crime du XIX e siècle, l'idée n'en effleura même pas cette âme droite, religieuse et forte.

Excepté à celui-là, Mme de Ferjol s'était heurtée et déchirée à tous les angles de la question terrible. Elle avait fait et défait bien des projets… Elle aurait pu s'en aller avec sa fille, par exemple, dans cet immense Paris où tout se noie et disparaît, ou dans quelque ville, à l'étranger, et en revenir, sa fille délivrée. Elle était riche. Avec de l'argent, beaucoup d'argent, on parvient à sauver tout, jusqu'aux apparences. Mais, aux yeux d'Agathe, comment justifier de s'en aller, avec sa fille malade, on ne sait où, et de laisser à la maison la vieille et fidèle servante, à laquelle, dans la plus grande et la plus périlleuse circonstance de sa vie, Mme de Ferjol lors de son enlèvement, avait promis par reconnaissance de ne jamais se séparer d'elle, quoi qu'il pût advenir ?… Elle le lui avait juré. D'ailleurs, ce parti, si elle l'avait pris, aurait certainement donné à Agathe le soupçon dont elle ne voulait pas que sa fille fût flétrie dans la pensée de qui la croyait un ange d'innocence pour avoir été le témoin de la pureté de toute sa vie. C'est alors que l'idée de son pays lui était venue, qu'elle s'y était arrêtée. Elle pensa qu'après vingt ans d'absence elle devait y être bien profondément oubliée, et que tous ceux-là qui l'avaient connue dans sa jeunesse devaient être morts ou dispersés, et elle se dit :

« Nous irons nous engloutir là. Agathe, ivre de son pays retrouvé, ne verra rien de ce qui doit mourir entre moi et Lasthénie. Nous mettrons l'épaisseur de la sensation de son pays entre elle et nous. » Dans ses projets, la solitude que Mme de Ferjol devait se créer serait d'un tout autre isolement que celle dont elle avait vécu au bourg des Cévennes. Elle n'habiterait en Normandie ni ville, ni bourgade, ni village, mais son vieux château d'Olonde, situé dans ce coin de pays perdu qui est entre la côte de la Manche et une des extrémités de la presqu'île du Cotentin. Il n'y avait pas alors de grande route tracée allant de ce côté. Le château était gardé par de mauvais chemins de traverse, aux ornières profondes, et aussi, une partie de l'année, par ces vents du sud-ouest qui y soufflent la pluie, comme s'il avait été bâti en ces chemins perdus, par quelque misanthrope ou quelque avare qui aurait voulu qu'on n'y vînt jamais. C'est là qu'elles s'enfonceraient toutes deux, comme des taupes, sous terre, ces deux Hontes !… La résolue Mme de Ferjol s'était bien promis que même au dernier jour, – au jour fatal, – elle n'appellerait pas de médecin, et qu'elle suffirait bien, elle toute seule, à cette besogne sacrée d'accoucher sa fille de ses mains maternelles ! Mais c'est ici que le frisson la prenait, cette héroïque et malheureuse femme, et qu'une voix lui criait du fond de son être :

« Eh bien, après ?... après qu'elle sera délivrée ? …

Il y aura l'enfant ! Ce ne sera plus la mère, mais l'enfant, qu'il faudra cacher ; l'enfant, dont la vie pourrait tout trahir et rendre les précautions prises jusque-là, inutiles ! » Et alors elle recommençait de se débattre dans le problème qu'elle voulait résoudre et qui l'étranglait comme un nœud. Mais il n'y avait plus à délibérer. Le temps s'en venait jour par jour, comme la mer s'en vient, flot par flot. On ne pouvait plus attendre. Le plus pressé, c'était de partir ! C'était de s'arracher à cette bourgade qui les dévisageait ! Mme de Ferjol fit comme tous les désespérés, sous l'empire d'une idée qui ne les sauvera pas, mais qui recule la catastrophe inévitable dans laquelle ils doivent périr. Elle se paya de ce mot, qu'on dit sans y croire : « Qu'on trouvera peut-être un moyen de salut au dernier moment », et elle se jeta, elle et sa fille, comme dans un gouffre, dans la chaise de poste qui les emporta.

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