LA CHANSON DU SOIR

Sois la grandeur, la grandeur même…

Tandis que tu chantes, j’écoute

L’éternel adieu d’autrefois,

Tout ce qui tremble dans ta voix

Du bonheur laissé sur la route.

Plaintive, tu chantes toujours ;

Comme notre soir est docile…

Notre divinité tranquille

C’est la longueur de tous les jours.

C’est de porter, très monotone,

Le sceptre de ne croire à rien,

C’est les soirs où l’on se souvient,

Où l’on frissonne, où l’on pardonne.

C’est le mal qu’hier soit passé,

Que l’aube ne t’a point suivie,

C’est le silence de la vie

À la prière du passé.

C’est pourquoi, calme enfant qui cueilles

Ce passé qui fut de l’espoir,

Dans ta pauvre chanson du soir

Les mots tremblent comme des feuilles.

Le cœur finit par s’endormir

De la tristesse de chaque heure,

Puisque c’est la loi que tout meure

Et que tout pleure de mourir.

Au crépuscule qui te noie,

Ô toi qui ne souris jamais,

Tes yeux purs sont toute la paix,

Ton cœur est grand comme la joie !

Que ton âme sans horizon,

Accueillante à tout, triste et pure,

Soit le calme de la nature

Et la souffrance des maisons.

Oh ! sois douce, grave et bénie,

Toi qui m’as chanté la chanson

Où j’ai senti comme un frisson

Que la douleur est infinie.

Que nous importe l’avenir,

Moi, vieux cœur que le temps affame,

Et toi, grande âme et pauvre femme,

Qui n’attendons plus rien venir !

Tu hantes la vieille demeure

Parmi le soir paisible et doux,

Et tu chantes : autour de nous

Rien n’écoute et pourtant tout pleure.