LA MORT DU SILENCE

Dans mon âme aux tendresses folles,

À l’enthousiasme étoilé,

Est un grand bienfait de paroles,

Et je n’ai pas encor parlé…

Oh ! la caresse toujours prête

Des mots qu’on n’a pas dits encor,

La grande et bienheureuse fête

De voir demain comme un trésor…

Les gloires encor mal acquises,

Les chants encor mystérieux,

Toutes les promesses exquises

Par lesquelles je vivrai vieux…

C’est mon orgueil fou de vaillance,

C’est l’avenir ivre de foi,

C’est la splendeur de mon absence

Quand l’homme rêvera de moi.

L’espérance sage et bénie

Est radieuse au fond de moi,

Et ma gratitude infinie

Attend l’heure où je serai roi.

Sûr d’une vague apothéose,

Je suis le sage aux arbres noirs

Qui se sourit et se repose

Au paradis perdu des soirs !…

Mon rêve isolé, magnifique

Tressaille, écoute, attend en chœur

Quand l’avenir n’est que musique

Dans l’ombre adorable du cœur.

Cette paix étroite et bénie

Cette paix qui va s’en aller,

Qui va jeter mon harmonie

À la victoire de parler !

La sombre et grise mélodie

Qui doit éclairer les vivants

Attend le soir de l’incendie,

Le soir ébauché par les vents !

Quand l’heure viendra qu’on y croie,

Mes vœux, mes vertus, ma bonté

Jailliront pour mourir de joie

Dans l’implacable vérité.

Je n’aurai plus, seul, sans histoire,

Que mon élan pour m’appuyer…

Hélas, ô sacrifice, ô gloire,

Ô silence qui va saigner.