II. – Le Léthé

Viens sur mon cœur, âme cruelle et sourde,

Tigre adoré, monstre aux airs indolents ;

Je veux longtemps plonger mes doigts tremblants

Dans l’épaisseur de ta crinière lourde ;

Dans tes jupons remplis de ton parfum

Ensevelir ma tête endolorie,

Et respirer, comme une fleur flétrie,

Le doux relent de mon amour défunt.

Je veux dormir ! dormir plutôt que vivre !

Dans un sommeil aussi doux que la mort,

J’étalerai mes baisers sans remord

Sur ton beau corps poli comme le cuivre.

Pour engloutir mes sanglots apaisés

Rien ne me vaut l’abîme de ta couche ;

L’oubli puissant habite sur ta bouche,

Et le Léthé coule dans tes baisers.

À mon destin, désormais mon délice,

J’obéirai comme un prédestiné ;

Martyr docile, innocent condamné,

Dont la ferveur attise le supplice,

Je sucerai, pour noyer ma rancœur,

Le népenthès et la bonne ciguë

Aux bouts charmants de cette gorge aiguë

Qui n’a jamais emprisonné de cœur.

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