I

Or Gitche Manito, le Maître de la vie,

Le Puissant, descendit dans la verte prairie,

Dans l’immense prairie aux coteaux montueux ;

Et là, sur les rochers de la Rouge Carrière,

Dominant tout l’espace et baigné de lumière,

Il se tenait debout, vaste et majestueux.

Alors il convoqua les peuples innombrables,

Plus nombreux que ne sont les herbes et les sables

Avec sa main terrible il rompit un morceau

Du rocher, dont il fit une pipe superbe,

Puis, au bord du ruisseau, dans une énorme gerbe,

Pour s’en faire un tuyau, choisit un long roseau.

Pour la bourrer il prit au saule son écorce ;

Et lui, le Tout-Puissant, Créateur de la Force,

Debout, il alluma, comme un divin fanal,

La Pipe de la Paix. Debout sur la Carrière

Il fumait, droit, superbe et baigné de lumière.

Or, pour les nations c’était le grand signal.

Et lentement montait la divine fumée

Dans l’air doux du matin, onduleuse, embaumée.

Et d’abord ce ne fut qu’un sillon ténébreux ;

Puis la vapeur se fit plus bleue et plus épaisse,

Puis blanchit ; et montant, et grossissant sans cesse,

Elle alla se briser au dur plafond des cieux.

Des plus lointains sommets des Montagnes Rocheuses,

Depuis les lacs du Nord aux ondes tapageuses,

Depuis Tawasentha, le vallon sans pareil,

Jusqu’à Tuscaloosa, la forêt parfumée,

Tous virent le signal et l’immense fumée

Montant paisiblement dans le matin vermeil.

Les Prophètes disaient : « Voyez-vous cette bande

De vapeur, qui, semblable à la main qui commande,

Oscille et se détache en noir sur le soleil ?

C’est Gitche Manito, le Maître de la Vie,

Qui dit aux quatre coins de l’immense prairie :

Je vous convoque tous, guerriers, à mon conseil ! »

Par le chemin des eaux, par la route des plaines,

Par les quatre côtés d’où soufflent les haleines

Du vent, tous les guerriers de chaque tribu, tous,

Comprenant le signal du nuage qui bouge,

Vinrent docilement à la Carrière Rouge

Où Gitche Manito leur donnait rendez-vous.

Les guerriers se tenaient sur la verte prairie,

Tous équipés en guerre, et la mine aguerrie,

Bariolés ainsi qu’un feuillage automnal ;

Et la haine qui fait combattre tous les êtres,

La haine qui brûlait les yeux de leurs ancêtres

Incendiait encor leurs yeux d’un feu fatal.

Et leurs yeux étaient pleins de haine héréditaire.

Or, Gitche Manito, le Maître de la Terre,

Les considérait tous avec compassion,

Comme un père très bon, ennemi du désordre,

Qui voit ses chers petits batailler et se mordre.

Tel Gitche Manito pour toute nation.

Il étendit sur eux sa puissante main droite

Pour subjuguer leur cœur et leur nature étroite,

Pour rafraîchir leur fièvre à l’ombre de sa main ;

Puis il leur dit avec sa voix majestueuse,

Comparable à la voix d’une eau tumultueuse

Qui tombe, et rend un son monstrueux, surhumain !

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