CCXXVIII

PAR toute l'armée ils font retentir leurs tambours et les buccines et les cors haut et clair : les païens mettent pied à terre pour revêtir leurs armes. L'émir n'entend pas se montrer le plus lent. Il endosse une brogne dont les pans sont safrés, il lace son heaume paré d'or et de pierreries. Puis, à son flanc gauche il ceint son épée ; en son orgueil il lui a trouvé un nom : à cause de l'épée de Charles, dont il a entendu parler, [il nomme la sienne Précieuse], et « Précieuse ! » est son cri d'armes en bataille. Il le fait crier par ses chevaliers, puis il pend à son cou un sien grand écu large : la boucle en est d'or, parée d'une bordure de cristal ; la courroie est d'un bon drap de soie où des cercles sont brodés. Il saisit son épieu, qu'il appelle Maltet : la hampe en est grosse comme une massue ; son fer suffirait à la charge d'un mulet. Sur son destrier Baligant est monté ; Marcules d'outremer lui a tenu l'étrier. Le preux a l'enfourchure très grande, les flancs étroits et les côtés larges, la poitrine vaste et bien moulée, les épaules fortes, le teint très clair, le visage fier ; son chef bouclé est aussi blanc que fleur de printemps, et, sa vaillance, il l'a souvent prouvée. Dieu ! quel baron, s'il était chrétien ! Il pique son cheval : le sang sous l'éperon jaillit tout clair. Il prend le galop, saute un fossé : on y peut bien mesurer cinquante pieds de large. Les païens s'écrient : « Celui-là est fait pour défendre les marches ! Il n'est pas un Français, s'il vient jouter contre lui, qui n'y perde, bon gré mal gré, sa vie ! Charles est bien fou qui ne s'en est allé ! »

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