CHAPITRE VIII.

Les chasseurs d'hommes.

Élisa avait miraculeusement traversé le fleuve aux dernières lueurs du crépuscule. Les grises vapeurs du soir, s'élevant lentement des eaux, la dérobèrent bientôt aux yeux. Le courant grossi et les monceaux de glaces flottantes mettaient une infranchissable barrière entre elle et son persécuteur. Haley, fort désappointé, retourna à la petite auberge pour réfléchir sur le parti qu'il avait à prendre. L'hôtesse lui ouvrit la porte d'un petit salon dont le plancher était couvert d'un tapis déchiré. Quant au tapis de la table, il brillait de taches d'huile. Tout était mesquin et dépareillé: des chaises avec de hauts dossiers de bois; des figurines de plâtre aux vives enluminures décoraient la cheminée. Un banc également en bois et d'une longueur désespérante s'étendait devant l'âtre. C'est là que Haley s'assit pour méditer sur l'instabilité des espérances et du bonheur des humains.

«Qu'avais-je besoin de ce marmot? se demandait-il à lui-même. Me fourrer dans un tel guêpier! Sot que je suis!» Et Haley, pour retrouver un peu de calme, se récita des litanies d'imprécations contre lui-même. Nous reconnaissons volontiers qu'elles étaient assez bien méritées; nous demandons seulement la permission de ne pas les rapporter ici.

Haley fut tiré de sa rêverie par la grosse voix discordante d'un homme qui venait de s'arrêter à la porte de l'auberge. Il courut à la fenêtre.

«Ciel et terre! s'écria-t-il; si ce n'est point là un tour de ce que les gens appellent la Providence! Oui, en vérité.... Tom Loker.»

Haley descendit en toute hâte.

Auprès du comptoir, dans un coin de la salle, un homme se tenait debout: teint bronzé, formes athlétiques, six pieds de haut, gros en proportion. Il était habillé d'une peau de buffle, le poil tourné en dehors, ce qui lui donnait un aspect sauvage et féroce, en complète harmonie avec l'air de son visage. Sur le front, sur la face, tous les traits, toutes les saillies qui indiquent la violence brutale et emportée, avaient pris le plus vaste développement.

Que nos lecteurs s'imaginent un boule-dogue changé en homme, et se promenant en veste et en chapeau: ils auront une assez juste idée de Tom Loker. Il avait un compagnon de voyage qui, sous beaucoup de rapports, offrait avec lui le contraste le plus frappant. Il était petit et mince; il avait dans les mouvements la souplesse doucereuse du chat; ses yeux noirs et perçants semblaient toujours guetter la souris: tous ses traits anguleux visaient pourtant à la sympathie. On eût dit que son nez long et fin voulait pénétrer toute chose. Ses cheveux noirs, rares et lisses, descendaient fort bas sur son front. On devinait dans tous ses gestes une finesse cauteleuse. Le premier de ces deux hommes se versa un grand verre d'eau-de-vie et l'avala sans mot dire; l'autre, debout sur la pointe des pieds, avançant la tête de tous côtés et flairant toutes les bouteilles, demanda avec circonspection, d'une voix maigre et chevrotante, un verre de liqueur de menthe. Quand on eut versé, il prit le verre, l'examina avec une attention complaisante, comme un homme content de ce qu'il a fait et qui vient de «frapper juste sur la tête du clou;» il se disposa ensuite à savourer à petites gorgées.

«Pardieu! je ne comptais pas sur tant de bonheur, dit Haley en s'avançant; comment va, Loker? Et il tendit la main au gros homme.

—Diable! qui vous amène ici?» telle fut la réponse polie de Loker.

Le chafouin, qui répondait au nom de Marks, s'arrêta au milieu d'une gorgée, avança la tête et jeta à notre nouvelle connaissance le regard subtil du chat qui suit le mouvement d'une feuille morte.

«Je dis, Tom, reprit Haley, que voilà tout ce qui pouvait m'arriver de plus heureux en ce monde. Je suis dans un embarras du diable, et vous pouvez m'aider à en sortir.

—Ah! ah! très-bien, murmura l'autre. On peut être sûr, quand vous vous réjouissez de voir les gens, que vous avez besoin d'eux. Qu'est-ce encore?

—Vous avez un ami, un associé, peut-être? dit Haley regardant Marks avec défiance.

—Oui, c'est Marks,... avec qui j'étais aux Natchez.

—Enchanté de faire votre connaissance, dit Marks en avançant sa longue main noire et maigre comme une patte de corbeau. Monsieur Haley, je crois?

—Lui-même, monsieur, dit Haley; et maintenant, messieurs, puisque nous avons le bonheur de nous rencontrer, il me semble que nous pouvons causer un peu d'affaires. Là, dans cette salle.... Allons, vieux drôle, dit-il à l'homme du comptoir, de l'eau chaude, du sucre, des cigares et beaucoup d'aff...[7], et nous allons jaser.»

Les flambeaux furent allumés, le feu poussé jusqu'au degré convenable; nos dignes compagnons s'assirent autour d'une table garnie de tous les accessoires que nous venons d'énumérer.

Haley commença le récit pathétique de ses infortunes. Loker l'écouta bouche close, l'œil terne et morne, avec la plus profonde attention. Marks, qui préparait avec grand soin un verre de punch à son goût, s'interrompit plusieurs fois dans cette grave occupation, et vint mettre le bout de son nez jusque dans la figure d'Haley.

Il avait également suivi le récit avec un vif intérêt; la fin parut l'amuser beaucoup. Ses côtes et ses épaules s'abandonnaient à un mouvement significatif, quoique silencieux. Il pinçait ses lèvres fines avec tous les signes d'une grande jubilation intérieure.

«Ainsi vous voilà tout à fait dedans?... Hé! hé! c'est très-drôle!... Hé! hé! hé!

—Ces maudits enfants causent bien des embarras dans le commerce, reprit Haley d'un ton piteux.

—Si nous pouvions, dit Marks, avoir une race de femmes qui n'eussent pas souci de leurs petits, ce serait le plus grand progrès de la civilisation moderne.»

Et Marks accompagna sa plaisanterie d'un rire calme et presque sérieux.

«Vrai, dit Haley, je n'ai jamais rien pu comprendre à cela. Ces petits sont pour elles une source d'ennuis. On croirait qu'elles devraient être enchantées de s'en débarrasser.... Eh bien, non; plus le petit leur cause de mal, plus il n'est bon à rien, plus elles s'y attachent!

—Eh! monsieur Haley, passez-moi donc l'eau chaude! dit Marks.... Oui, monsieur, continua-t-il, vous dites là ce que j'ai souvent pensé moi-même, ce que nous avons pensé tous. Jadis, quand j'étais dans les affaires, j'achetai une femme solide, bien tournée, fort habile; elle avait un petit bonhomme malingre, souffreteux, bossu, contrefait. Je le donnai à un homme qui pensa pouvoir gagner dessus, parce qu'il ne lui coûtait rien. Vous ne vous imaginerez jamais comment la mère prit cela! Si vous l'eussiez vue, Dieu! je crois vraiment qu'elle l'aimait mieux encore parce qu'il était malade et qu'il la tourmentait! Elle se démenait, criait, pleurait, cherchait partout, comme si elle eût perdu tous ses amis. C'est vraiment étrange! On ne connaîtra jamais les femmes!

—Pareille chose m'est arrivée, dit Haley. L'été dernier, au bas de la Rivière-Rouge, j'achetai une femme avec un enfant assez gentil: des yeux aussi brillants que les vôtres. Quand je vins à le regarder de plus près, je m'aperçus qu'il avait la cataracte. La cataracte, monsieur! Bon! vous voyez que je n'en pouvais tirer parti. Je ne dis rien, mais je l'échangeai contre un baril de wisky. Quand il s'agit de le prendre à la mère, ce fut une tigresse! Nous étions encore à l'ancre: les nègres n'étaient point enchaînés; elle grimpa comme une chatte sur une balle de coton, s'empara d'un couteau, et, je vous le jure, pendant une minute elle mit tout le monde en fuite. Elle vit bien que c'était une résistance inutile: alors elle se retourna et se précipita tête devant, elle et son enfant, dans le fleuve. Elle coula et ne reparut jamais.

—Bah! fit Tom Loker, qui avait écouté toutes ces histoires avec un dédain qu'il ne songeait même pas à cacher; vous ne vous y connaissez ni l'un ni l'autre. Mes négresses ne me jouent jamais de pareils tours, je vous en réponds bien!

—Vraiment! et comment faites-vous? dit Marks avec une grande vivacité.

—Comment je fais?... Quand j'achète une femme, et qu'elle a un enfant que je dois vendre, je m'approche d'elle, je lui mets mon poing sous le nez et je lui dis: Regarde cela! Si tu dis un mot.... je t'aplatis la figure! Je ne veux pas entendre un mot, le commencement d'un mot! Je lui dis encore: Votre enfant est à moi et non à vous!... Vous n'avez plus à vous en occuper. Je vais peut-être le vendre.... Tâchez de ne pas me jouer de vos tours.... ou il vaudrait mieux pour vous n'être jamais née!... Voilà, messieurs, comme je leur parle: elles voient bien qu'avec moi ce n'est point un jeu. Je les rends muettes comme des poissons.... Si l'une d'elles s'avise de crier, alors....»

Tom Loker frappa la table de son poing lourd. Ce fut le commentaire très-explicite de sa phrase elliptique.

«Voilà ce que nous pouvons appeler de l'éloquence, dit Marks en poussant Haley du coude, et en recommençant son petit ricanement. Êtes-vous original, Tom! Eh! eh! eh! vous vous faites bien comprendre des têtes de laine, vous! Les nègres savent toujours ce que vous voulez dire.... Si vous n'êtes pas le diable, Tom, vous êtes son jumeau. J'en répondrais pour vous.»

Tom reçut le compliment avec une modestie convenable, et sa physionomie exprima toute l'affabilité compatible «avec sa nature de chien,» pour nous servir des expressions poétiques de Jean Bunyan.

Haley, qui, toute la soirée, avait fait d'assez fréquentes libations, sentit se développer considérablement toutes ses facultés morales sous l'influence de l'eau-de-vie.... C'est, du reste, l'effet assez commun de l'ivresse sur les hommes d'un caractère concentré et réfléchi.

«Eh bien, Tom, eh bien, oui! vous êtes réellement trop dur.... Je vous l'ai toujours dit. Vous savez, Tom, nous avions coutume de parler de cela, aux Natchez, et je vous prouvais que nous réussissions aussi bien dans ce monde en traitant les nègres doucement.... et que nous avions une chance de plus d'entrer dans le royaume de là-haut, quand la poussière retourne à la poussière.... et que le ciel est tout ce qui nous reste.

—Boum! fit Tom; ne me rendez pas malade avec vos bêtises.... j'ai l'estomac un peu fatigué....» Et Tom avala un demi-verre de mauvaise eau-de-vie.

Haley se renversa sur sa chaise, et il reprit avec des gestes éloquents:

«Je dis, je dirai, j'ai toujours dit que j'entendais faire mon commerce, primo d'abord, de manière à gagner de l'argent autant que qui que ce soit. Mais le commerce n'est pas tout, parce que nous avons une âme. Peu m'importe qui m'écoute. Malédiction! Il faut que je fasse vite mes affaires, car je crois à la religion, et, un de ces jours, dès que j'aurai mon petit magot, bien comme il faut, je m'occuperai de mon âme. A quoi bon être plus cruel qu'il n'est utile? Cela ne me semble pas d'ailleurs très-prudent....

—Vous occuper de votre âme! fit Tom avec mépris.... Il faut y voir clair pour vous en trouver une! Épargnez-vous ce souci! Le diable vous passerait à travers un crible, qu'il ne vous en trouverait pas. Vous avez un peu plus de soin, vous paraissez avoir un peu plus de sentiment; c'est de la ruse et de l'hypocrisie.... Vous voulez tromper le diable et sauver votre peau: je vois cela! et la religion, que vous aurez plus tard, comme vous dites.... qui s'y laissera prendre? Vous faites un pacte avec le diable toute votre vie.... et vous ne voulez pas payer à l'échéance.... Chansons!

—Vous prenez mal la chose, Tom. Comment pouvez-vous plaisanter, quand ce que l'on vous en dit est dans votre intérêt?

—Tais ton bec! dit Tom brutalement. Je ne puis supporter davantage tous ces discours d'idiot. Cela me jugule. Après tout, quelle différence y a-t-il entre vous et moi?

—Allons, allons, messieurs, ce n'est pas là la question, dit Marks: chacun voit les choses à sa manière. M. Haley est un très-aimable homme, sans aucun doute; il a sa conscience à lui, c'est un fait. Quant à vous, Tom, vous avez aussi votre manière d'agir, qui est excellente. Oui, excellente, mon cher Tom. Mais les querelles, vous le savez, n'aboutissent à rien. A l'œuvre donc, à l'œuvre! Voyons, monsieur Haley, vous avez besoin de nous pour reprendre cette femme?

—La femme? non, elle ne m'est de rien. Elle est à Shelby. Je n'ai que l'enfant. J'ai eu la bêtise de vouloir acheter ce petit singe.

—Vous êtes toujours bête, lui cria brutalement Thomas Loker.

—Allons, Tom, pas de vos rebuffades aujourd'hui, dit Marks en passant sa langue sur ses lèvres. Vous voyez que M. Haley nous met sur la voie d'une bonne affaire, je le reconnais. Ainsi, soyez calme; tout cela me regarde; laissez-moi faire. Voyons, monsieur Haley, cette femme, comment est-elle? quelle est-elle?

—Eh bien! blanche et belle, bien élevée. J'en offrais huit cents ou mille dollars à Shelby.

—Blanche et belle, bien élevée!» reprit Marks.

Ses yeux perçants, son nez, sa bouche, tout s'anima rien qu'à la pensée d'une bonne affaire.

«Attention, Loker; voilà une belle perspective.... Nous allons travailler ici pour notre compte. Nous les reprenons; l'enfant, tout naturellement, revient à M. Haley; nous autres, nous emmenons la mère à Orléans pour la vendre: n'est-ce pas superbe?»

Tom, qui, pendant tout ce discours, était resté bouche béante, rapprocha soudainement ses mâchoires comme fait un dogue à qui l'on montre un morceau de viande. Il parut digérer lentement l'idée.

«Voyez-vous, dit Marks à Haley, en remuant son punch, voyez-vous, dans ce pays, nous avons toujours le moyen de bien nous entendre avec les tribunaux. Tom ne sait qu'agir au dehors. Moi, quand il faut jurer, j'arrive en grande tenue, bottes vernies, toilette premier choix; il semble que je suis là dans tout l'éclat de l'orgueil professionnel. Un jour, je suis M. Twickem de la Nouvelle-Orléans. Un autre jour, j'arrive à l'instant de ma plantation, sur la rivière des Perles, où je fais travailler sept cents nègres. Une autre fois, je suis un parent éloigné de Henri Clay ou de toute autre illustration du Kentucky. Chacun a ses talents. Tom est bon quand il faut se battre et assommer. C'est son caractère; mais il ne sait pas mentir. Pour mon compte, s'il y a dans le pays un homme qui sache mieux que moi faire un serment sur quelqu'un ou sur quelque chose, et mieux imaginer les particularités et circonstances.... je serais curieux de le voir. Je ne dis que cela. Je glisse comme un serpent à travers les difficultés. Je voudrais parfois que la justice y regardât de plus près; cela serait plus amusant, vous comprenez!»

Tom Loker, dont la pensée, comme les mouvements, avait toujours une certaine lenteur, interrompit Marks en laissant tomber sur la table son poing pesant, qui fit tout retentir.

«Cela sera! dit-il.

—Dieu vous bénisse, Tom! mais il n'y a pas besoin de casser tous les verres; gardez votre poing pour la prochaine occasion.

—Mais, messieurs, n'aurai-je point ma part du profit? dit Haley.

—Et n'est-ce pas assez que nous vous rattrapions l'enfant? répondit Tom. Qu'est-ce qu'il vous faut donc?

—Mais, reprit Haley, puisque c'est moi qui vous fournis l'occasion, je mérite bien quelque chose. Dix pour cent sur les produits.... la dépense payée?

—Ah çà! dit Loker avec un épouvantable serment et en frappant la table de son poing pesant, est-ce que je ne vous connais pas, Daniel Haley? Croyez-vous m'enfoncer? Pensez-vous que Marks et moi nous ayons pris le métier de chasseurs d'esclaves pour obliger des gentlemen comme vous, sans profit pour nous? Non pas, certes! Nous aurons la femme à nous, et vous ne direz mot; ou nous aurons la mère et l'enfant. Vous nous avez montré le gibier, il nous appartient maintenant comme à vous. Si Shelby et vous avez l'intention de nous donner la chasse, voyez où sont les perdrix de l'an passé. Si vous les trouvez.... elles ou nous.... bravo!

—Eh bien, soit! c'est bien! reprit Haley tout tremblant, vous me reprendrez l'enfant pour prix de l'affaire. Vous avez toujours loyalement agi avec moi, Tom, toujours vous avez fidèlement tenu votre parole.

—Vous le savez, dit Tom, je ne donne dans aucune de vos sensibleries; mais je ne mentirais pas dans mes comptes avec le diable lui-même. Vous savez cela, Daniel Haley!

—Très-bien, Tom, très-bien! C'est ce que je disais moi-même. Si vous me dites que vous m'aurez l'enfant dans une semaine, quelque rendez-vous que vous vouliez me fixer.... c'est bien, je ne demande rien de plus.

—Nous sommes loin de compte, dit Loker. Vous savez qu'aux Natchez, quand je travaillais pour vous, ce n'était pas gratis. Je sais tenir une anguille quand je l'ai prise. Vous allez avancer cinquante dollars, argent sur table, ou vous ne reverrez jamais l'enfant.... je vous connais!

—Quoi! lorsque je vous donne l'occasion de faire un bénéfice de mille à quinze cents dollars! Ah! Tom! vous n'êtes pas raisonnable.

—Nous avons de la besogne assurée pour cinq semaines. Nous allons la quitter pour courir après votre marmot, et, si nous ne prenons pas la mère.... les femmes, c'est le diable à prendre! qui nous indemnisera, nous? Est-ce vous?

—J'en réponds.

—Non! non! argent bas. Si l'affaire se fait et qu'elle rapporte, je rends les cinquante dollars. Sinon, c'est pour payer notre peine. Hum! Marks, n'est ce pas cela?

—Sans doute, sans doute, dit Marks d'un ton conciliant. Ce ne sont que des honoraires, vous voyez bien.... hi! hi! hi!!! Nous autres gens de loi, vous savez, nous sommes très-bons, très-accommodants, très-conciliants. Vous savez. Tom vous conduira l'enfant où vous voudrez.... n'est-ce pas, Tom?

—Si je le trouve, dit Tom, je le conduirai à Cincinnati, et je le laisserai chez Grany Belcher, au débarcadère.»

Marks tira de sa poche un portefeuille tout gras; il y prit un long papier, il s'assit, et, ses yeux perçants fixés sur le papier, il commença de lire entre ses dents: «Baines, comté de Shelby, le petit Jacques, trois cents dollars, mort ou vivant; Édouard, Dick et Lucy, mari et femme, six cents dollars; Rolly et ses deux enfants, six cents dollars sur sa tête.... Voici que j'examine nos affaires pour voir si nous pouvons nous charger de celle-ci. Loker, dit-il après une pause, il faut mettre Adams et Springer aux trousses de tous ceux-ci; il y a longtemps qu'ils sont enregistrés.

—Non, dit Loker, ils nous prendront trop cher.

—J'arrangerai cela. Il n'y a pas très-longtemps qu'il sont dans les affaires; ils doivent s'attendre à travailler à bon marché.»

Marks continua sa lecture.

«Il y en a trois qui ne donneront pas grand'peine; il suffit de tirer dessus ou de jurer qu'on a tiré. Je ne crois pas qu'ils puissent demander beaucoup pour ceux-là. Mais à demain nos affaires. Voyons l'autre. Vous dites, monsieur Haley, que vous avez vu la fille débarquer?

—Certainement, je l'ai vue comme je vous vois.

—Et un homme l'aidait à gravir le bord escarpé?

—Oui.

—Très-bien, dit Marks; elle a reçu asile: où? c'est la question. Eh bien, Tom, qu'en dites-vous?

—Il faut passer la rivière cette nuit, cela ne fait pas un doute.

—Mais il n'y a pas de bateau, dit Marks; le courant charrie la glace d'une terrible façon.... N'y a-t-il point de danger, Tom?

—Ce n'est pas de cela qu'on doit s'inquiéter; il faut passer, répondit Tom d'un ton décidé.

—Diable! fit Marks qui se démenait dans la chambre. Soit!» ajouta-t-il.

Puis, allant jusqu'à la fenêtre:

«Mais, dit-il, la nuit est noire comme la gueule d'un loup.... et puis, Tom....

—Allons donc! dites tout de suite que vous avez peur, Marks.... Mais je ne puis reculer.... il faut.... Admettons que vous vous arrêtiez ici un jour ou deux, et qu'ainsi la femme arrive aux frontières du Sandusky avant vous....

—Je n'ai pas peur, dit Marks; seulement....

—Seulement quoi? reprit Tom.

—C'est pour le bateau. Vous voyez bien qu'il n'y a pas de bateau.

—L'aubergiste a dit qu'il en viendrait un ce soir, et qu'un homme allait passer la rivière. Tout ou rien! nous allons passer avec lui.

—Je suppose que vous avez de bons chiens, dit Haley.

—Première qualité. Mais à quoi bon? Vous n'avez rien d'elle à leur faire sentir!

—Si fait! dit Haley triomphant. Voilà son châle que, dans sa précipitation, elle a laissé sur le lit. Voilà aussi son chapeau.

—Quelle chance! dit Locker. En avant!

—Les chiens pourront l'endommager s'ils se jettent sans précaution sur elle, dit Haley.

—Ceci, répondit Marks, est bien une considération. Là-bas, à Mobile, nos chiens ont mis un esclave en pièces avant que nous ayons eu le temps de les retirer.

—Vous voyez! cela ne convient pas pour un article dont la beauté fait tout le prix, dit Haley.

—C'est vrai, dit Marks. De plus, si elle est entrée dans une maison, les chiens sont encore inutiles; ils ne servent que dans les plantations où se cachent les nègres errants qui n'ont pas trouvé d'asile.

—Allons, dit Locker, qui était descendu au comptoir pour demander quelques renseignements, le bateau est là. Ainsi, Marks....»

Le digne Marks jeta un regard de regret sur le confortable gîte qu'il abandonnait, puis il se leva lentement pour obéir. On échangea les derniers mots qui terminaient le marché; Haley donna d'assez mauvaise grâce cinquante dollars à Tom, et le digne trio se sépara.

Si quelques-uns de nos lecteurs civilisés et chrétiens nous blâment de les avoir introduits dans une telle compagnie, qu'ils veuillent bien s'efforcer de vaincre les préjugés de leur siècle.

La chasse aux nègres, qu'on nous permette de le rappeler, est en train de s'élever à la dignité d'une profession légale et patriotique. Si le vaste terrain qui s'étend entre le Mississipi et l'océan Pacifique devient le grand marché des corps et des âmes, si l'esclavage suit la progression rapide de toute chose en ce siècle, le chasseur et le marchand d'esclaves vont prendre rang parmi l'aristocratie américaine.

Pendant que cette scène se passait à la taverne, Samuel et André, se félicitant mutuellement, regagnaient le logis.

Samuel était dans un état de surexcitation extraordinaire: il exprimait son allégresse par toutes sortes de hurlements et de cris sauvages, par les grimaces et les contorsions de toute sa personne. Quelquefois il s'asseyait à l'envers, le visage tourné vers la queue de son cheval, et puis, avec une culbute et une cabriole, il se remettait en selle; prenant alors une contenance grave, il se mettait à prêcher en termes emphatiques, ou bien à faire le fou pour amuser André. Quelquefois, se battant les flancs à tour de bras, il éclatait en rires bruyants qui faisaient retentir l'écho des vieux bois. Malgré ces excentricités, il maintint les chevaux à leur plus vive allure, si bien que, entre onze heures et minuit, le bruit de leurs sabots résonna sur les petits cailloux de la cour, au pied du perron de Mme Shelby.

Mme Shelby vola à leur rencontre.

«Est-ce vous, Sam? Eh bien?

—M. Haley est resté à la taverne; il est bien fatigué, madame.

—Mais Élisa, Samuel?

—Ah! elle a passé le Jourdain. Elle est, comme on dit, dans la terre de Chanaan.

—Quoi! Samuel!.... que voulez-vous dire? s'écria Mme Shelby hors d'elle-même, près de se trouver mal en songeant à ce que ces mots-là pouvaient vouloir dire.

—Oui, madame, le Seigneur protége les siens. Lisa a passé l'Ohio miraculeusement, comme si le Seigneur l'eût enlevée dans un char de feu avec deux chevaux.»

En présence de sa maîtresse, la veine religieuse de Samuel ne tarissait jamais, et il faisait un riche emploi des figures et des images de l'Écriture.

«Venez ici, Samuel, dit M. Shelby, qui était arrivé à son tour sur le perron; venez ici, et dites à votre maîtresse ce qu'elle veut savoir. Venez, venez, Émilie, dit-il à sa femme en passant un bras autour d'elle. Vous avez froid, vous tremblez, vous vous livrez beaucoup trop à vos impressions....

—Eh! ne suis-je point une femme, une mère? Ne sommes-nous point responsables devant Dieu de cette pauvre fille? Seigneur, que ce péché ne nous soit point imputé!

—Mais quel péché, Émilie? vous savez que nous étions obligés à faire ce que nous avons fait.

—Cependant je me sens coupable, dit Mme Shelby. Je ne puis pas raisonner là-dessus.

—Ici, Andy, ici nègre; du vif! s'écria Samuel; conduis ces chevaux à l'écurie; n'entends-tu pas que monsieur appelle?»

Et Samuel, son chapeau de palmier à la main, apparut à la porte du salon.

«Maintenant, Sam, dites-nous clairement ce que vous savez, dit M. Shelby. Où est Élisa?

—Eh bien, monsieur, je l'ai de mes yeux vue passer sur la glace flottante; elle allait, que c'était une merveille! Oui, ce n'est là rien moins qu'un miracle! J'ai vu un homme lui tendre la main sur l'autre rive de l'Ohio, et puis elle a disparu dans le brouillard.

—Samuel.... je crois que ce miracle est un peu de votre invention. Passer sur la glace flottante n'est pas chose si aisée, reprit M. Shelby.

—Sans doute, m'sieu! personne n'aurait fait cela sans le secours de Dieu. Mais voici: c'était juste sur notre route. M. Haley, Andy et moi nous arrivons à une petite taverne auprès de la rivière. Je marchais un peu en tête (j'avais tant d'envie de reprendre Lisa, que je ne pouvais me modérer); j'arrive auprès de la fenêtre de la taverne. Je suis sûr que c'est elle, elle est en pleine vue, les deux autres sont sur mes talons. Bon! je perds mon chapeau. Je pousse un hurlement à réveiller les morts.... Peut-être Lisa entendit-elle; mais, quand M. Haley arriva près de la porte, elle se rejeta vivement en arrière, et puis, comme je vous dis, elle s'échappa par une porte de côté et descendit jusqu'au bord de l'eau. M. Haley la vit et cria.... Lui, moi et André, nous courûmes après. Elle alla jusqu'au fleuve. Il y avait, à partir du bord, un courant de dix pieds de large, et de l'autre côté, çà et là, comme de grandes îles, des monceaux de glace. Nous arrivons juste derrière elle, et je pensais en moi-même que nous allions la prendre, quand elle poussa un cri comme je n'en ai jamais entendu, et s'élança de l'autre côté du courant, sur la glace, et elle allait criant et sautant. La glace faisait crac, cric, psitt! et elle, elle bondissait comme une biche. Dam! ces sauts-là ne sont pas communs. Voilà mon opinion.»

Pendant le récit de Samuel, Mme Shelby demeura assise dans un profond silence, pâle à force d'émotion:

«Dieu soit loué! elle n'est pas morte, s'écria-t-elle; mais où est maintenant son pauvre enfant?

—Le Seigneur y pourvoira, dit Samuel en tournant de l'œil dévotement. Comme je le disais, c'est sans doute la Providence qui fait tout, ainsi que madame nous l'a appris. Nous ne sommes que des instruments pour faire la volonté de Dieu. Sans moi, aujourd'hui Élisa eût été prise une douzaine de fois.... N'est-ce pas moi, ce matin, qui ai lâché les chevaux et qui les ai fait courir jusqu'à l'heure du dîner? Et ce soir, n'ai-je point égaré M. Haley à cinq milles de sa route? Autrement, il eût repris Lisa comme un chien prend un mouton. Ainsi nous sommes tous des providences!

—Je vous dispense, maître Sam, de jouer ici le rôle de ces providences-là! je n'entends pas qu'on se conduise ainsi avec les gentlemen qui sont chez moi,» dit M. Shelby avec autant de sévérité que les circonstances permettaient d'en montrer.

Il est aussi difficile de feindre la colère avec un nègre qu'avec un enfant. L'un et l'autre voient parfaitement le sentiment vrai à travers les dissimulations dont on l'entoure. Samuel ne fut en aucune façon découragé par ce ton sévère: cependant il prit un air de gravité dolente, et les deux coins de sa bouche s'abaissèrent en signe de profond repentir.

«Maître a raison, tout à fait raison; c'est mal à moi, je ne me défends pas; maître et maîtresse ne peuvent pas encourager de telles choses, je le sens bien; mais un pauvre nègre comme moi est parfois bien tenté de mal faire, surtout quand il voit agir comme M. Haley.... M. Haley n'est pas un gentleman, et un individu élevé comme moi ne peut se retenir en voyant ces choses-là!

—C'est bien, Samuel; puisque vous paraissez avoir maintenant le sentiment de vos erreurs, vous pouvez aller trouver la mère Chloé, elle vous donnera le reste du jambon de votre dîner. Andy et vous, vous devez avoir faim!

—Madame est bien trop bonne pour nous, dit Samuel en faisant vivement son salut;» et il sortit.

On s'apercevra, et nous l'avons déjà dit ailleurs, que maître Samuel avait un talent naturel qui eût pu le mener loin dans la carrière politique: c'était de voir dans toute chose le côté qui pouvait profiter à son honneur et à sa gloire. Ayant fait valoir au salon son humilité et sa piété, il enfonça son chapeau de palmier sur sa tête avec une sorte de crânerie et d'insouciance, et il se dirigea vers le royaume de la mère Chloé, dans l'intention de recueillir les suffrages de la cuisine.

«Je vais faire un discours à ces nègres, pensait Samuel; il faut les frapper d'étonnement!»

Nous devons faire observer qu'une des plus grandes joies de Samuel avait toujours été d'accompagner son maître dans les réunions politiques de toute espèce. Caché dans les haies, perché sur les arbres, il suivait attentivement les orateurs, avec toutes les marques d'une vive satisfaction; puis, redescendant parmi les frères de sa couleur qui se trouvaient dans les mêmes lieux, il les édifiait et les charmait par ses imitations burlesques, qu'il débitait avec un entrain et une gravité imperturbables. Souvent les blancs se mêlaient au sombre auditoire; ils écoutaient l'orateur en riant et en se regardant. Samuel voyait là un juste motif de s'adresser à lui-même ses propres félicitations.

Au fond, Samuel regardait l'éloquence comme sa véritable vocation, et il ne laissait jamais passer une occasion de déployer ses talents.

Entre Samuel et la tante Chloé il y avait, depuis longtemps, une certaine mésintelligence, ou plutôt une froideur marquée. Mais Samuel, ayant un projet sur le département des provisions comme base de ses opérations futures, résolut, dans la circonstance présente, de faire de la conciliation; il savait bien que, si les ordres de madame étaient toujours exécutés à la lettre, cependant il y aurait un immense profit pour lui à ce qu'on en suivît aussi l'esprit.

Il parut donc devant Chloé avec une expression touchante de soumission et de résignation, comme quelqu'un qui aurait cruellement souffert pour soulager un compagnon d'infortune. Il avait déjà pour lui l'approbation de madame, qui lui donnait droit à un extra de solide et de liquide, et semblait ainsi reconnaître implicitement ses mérites. Les choses marchèrent en conséquence.

Jamais électeur pauvre, simple, vertueux, ne fut l'objet des cajoleries et des attentions d'un candidat, comme la mère Chloé des tendresses et des flatteries de Samuel. L'enfant prodigue lui-même n'aurait pas été comblé de plus de marques de bonté maternelle. Il se trouva bientôt assis, choyé, glorieux, devant une large assiette d'étain, contenant, sous forme d'olla podrida, les débris de tout ce qui avait paru sur la table depuis deux ou trois jours. Excellents morceaux de jambon, fragments dorés de gâteaux, débris de pâtés de toutes les formes géométriques imaginables, ailes de poulet, cuisses et gésiers, apparaissaient dans un désordre pittoresque. Samuel, roi de tous ceux qui l'entouraient, était assis comme sur un trône, couronné de son chapeau de palmier joyeusement posé sur le côté. A sa droite était André, qu'il protégeait visiblement.

La cuisine était remplie de ses compagnons, qui étaient accourus de leurs cases respectives et qui l'entouraient, pour entendre le récit des exploits du jour.

Pour Samuel, c'était l'heure de la gloire.

L'histoire fut donc rehaussée de toutes sortes d'ornements et d'enluminures susceptibles d'en augmenter l'effet. Samuel, comme quelques-uns de nos dilettanti à la mode, ne permettait pas qu'une histoire perdît aucune de ses dorures en passant par ses mains.

Des éclats de rire saluaient le récit; ils étaient répétés et indéfiniment prolongés par la petite population qui jonchait le sol ou qui perchait dans les angles de la cuisine. Au plus fort de cette gaieté, Samuel conservait cependant une inaltérable gravité; de temps en temps seulement il roulait ses yeux, relevés tout à coup, et jetait à son auditoire des regards d'une inexprimable bouffonnerie: il ne descendait pas pour cela des hauteurs sentencieuses de son éloquence.

«Vous voyez, amis et compatriotes, disait Samuel en brandissant un pilon de dinde avec énergie, vous voyez maintenant ce que cet enfant, qui est moi, a fait seul pour la défense de tous, oui, de tous. Celui qui essaye de sauver un de vous, c'est comme s'il essayait de vous sauver tous; le principe est le même. C'est clair! Quand quelqu'un de ces marchands d'esclaves viendra flairer et rôder autour de nous, qu'il me rencontre sur sa route, je suis l'homme à qui il aura affaire. Oui, mes frères, je me lèverai pour vos droits, je défendrai vos droits jusqu'au dernier soupir.

—Pourquoi, alors, reprit André, disiez-vous ce matin, que vous alliez aider ce m'sieu à reprendre Lisa? Il me semble que vos discours ne cordent pas ensemble!

—Je vous dirai maintenant, André, reprit Samuel avec une écrasante supériorité, je vous dirai: Ne parlez pas de ce que vous ignorez! Les enfants comme vous, André, ont de bonnes intentions, mais ils ne doivent pas se permettre de collationner les grands principes d'action!»

André parut tout à fait syncopé, surtout par le mot un peu dur collationner, dont la plupart des membres de l'assemblée ne se rendaient pas un compte beaucoup plus exact que l'orateur lui-même.

Samuel reprit:

«C'était par conscience, André, que je voulais aller reprendre Lisa. Je croyais vraiment que c'était l'intention du maître.... Mais, quand j'ai compris que la maîtresse voulait le contraire, j'ai vu que la conscience était plus encore de son côté. Il faut être du côté de la maîtresse.... Il y a plus à gagner. Ainsi, dans les deux cas, je restais fidèle à mes principes et attaché à ma conscience. Oui, les principes! dit Samuel en imprimant un mouvement plein d'enthousiasme à un cou de poulet. Mais à quoi les principes servent-ils.... s'ils ne sont pas persistants.... je vous le demande à tous?... Tenez! André, vous pouvez prendre cet os, il y a encore quelque chose autour!»

L'auditoire, bouche béante, était suspendu aux paroles de Samuel. L'orateur dut continuer.

«Ce sujet de la persistance, nègres, mes amis, dit Samuel de l'air d'un homme qui pénètre dans les profondeurs de l'abstraction, ce sujet est une chose qui n'a jamais été tirée au clair par personne! Vous comprenez! Quand un homme veut une chose un jour et une nuit, et que le lendemain il en veut une autre, on voit tout naturellement dans ce cas qu'il n'est pas persistant!... Passe-moi ce morceau de gâteau, André.... Pénétrons dans le sujet, reprit Samuel!—Les gentlemen et le beau sexe de cet auditoire excuseront ma comparaison usitée et vulgaire. Écoutez! Je veux monter au sommet d'une meule de foin. Bien! je mets mon échelle d'un côté.... Ça ne va pas! alors, parce que je n'essaye pas de ce côté, mais que je porte mon échelle de l'autre, peut-on dire que je ne suis pas persistant? Je suis persistant en ce sens que je veux toujours monter du côté où se trouve mon échelle.... Est-ce clair?

—Dieu sait qu'elle est la seule chose en quoi vous ayez été persistant,» murmura la tante Chloé, qui devenait un peu plus revêche. La gaieté de cette soirée lui semblait, selon la comparaison de l'Écriture, du vinaigre sur du nitre.

«Oui, sans doute, dit Samuel en se levant, plein de souper et de gloire, pour l'effort suprême de la péroraison, oui, amis et concitoyens, et vous, dames de l'autre sexe, j'ai des principes: c'est là mon orgueil! je les ai conservés jusqu'ici, je les conserverai toujours.... J'ai des principes et je m'attache à eux fortement. Tout ce que je pense devient principes! Je marche dans mes principes; peu m'importe s'ils me font brûler vivant! je marcherai au bûcher!... Et maintenant, je dis: Je viens ici pour verser la dernière goutte de mon sang pour mes principes, pour mon pays, pour la défense des intérêts de la société!

—Bien! bien! dit Chloé; mais qu'un de vos principes soit d'aller vous coucher cette nuit, et de ne pas nous faire tenir debout jusqu'au matin. Toute cette jeunesse, qui n'a pas besoin d'avoir le cerveau fêlé, va aller à la paille.... et vite!

—Nègres ici présents, dit Samuel en agitant son chapeau de palmier avec une grande bénignité, je vous donne ma bénédiction. Allez vous coucher, et soyez tous bons enfants!»

Après cette bénédiction pathétique, l'assemblée se dispersa.

Share on Twitter Share on Facebook