Nouvelle X Le calendrier des vieillards

Il y avait à Pise un juge plein d’intelligence et de capacité, mais d’une complexion tout à fait faible et délicate. Il était extrêmement riche, et se nommait Richard de Quinzica. Malgré sa vieillesse et ses infirmités, il lui prit envie de se marier, croyant qu’il serait en état de remplir les devoirs du mariage avec le même honneur qu’il remplissait ceux de la magistrature. Il s’empressa de chercher une femme qui réunît en elle les avantages de la jeunesse et de la beauté. Il eût dû, au contraire, redouter ce double mérite, s’il eût été sage, et qu’il eût pris pour lui d’aussi bons conseils qu’il en donnait aux autres. Il trouva la personne qu’il désirait dans une des filles de messire Lotto Galandi, nommée Bartholomée. C’était effectivement une des plus belles et des plus aimables demoiselles qui fussent dans Pise. Elle avait le plus beau teint du monde, quoique, à dire le vrai, il y en ait peu dans cette ville qui ne pèchent par la couleur, comme si elles avaient la jaunisse. Les noces furent célébrées avec beaucoup de gaieté et de magnificence. La consommation du mariage ne se ressentit point de la splendeur de la fête : le bonhomme ne caressa la jeune mariée qu’une seule et unique fois ; il ne s’en fallut même de rien qu’il ne pût consommer l’œuvre. Cette triste unité ne laissa pas de le fatiguer beaucoup : aussi le lendemain, pour réparer ses forces épuisées, eut-il recours au vin de Malvoisie, aux consommés et à d’autres semblables restauratifs. Voyant, par cet essai, qu’il avait trop compté sur sa vigueur et voulant se conserver, il commença, dès le premier jour, à soupirer après le repos. Mais pour déguiser sa faiblesse et son impuissance à sa jeune moitié, il s’avisa de lui remontrer qu’il y avait des jours dans l’année où l’on ne pouvait pas légitimement goûter les plaisirs du mariage. Il lui remit, pour cet effet, un de ces calendriers qu’on imprimait autrefois à Ravenne, à l’usage des enfants qui apprennent à lire. Ce petit livre lui fournissait presque chaque jour un nouveau saint, en révérence duquel il s’efforçait de lui prouver que le mari et la femme devaient s’abstenir de coucher ensemble. À ces jours de fête, il ajoutait les solennités, les jours de jeûne, les quatre-temps, les vigiles, le vendredi, le samedi, le dimanche et tout le carême. En un mot, il grossissait le plus qu’il pouvait le catalogue de ces jours où les joies du mariage devaient être interdites aux bons chrétiens. Peut-être imaginait-il que le lit conjugal devait avoir ses vacances ainsi que le palais. Quoi qu’il en soit, toutes ces raisons n’étaient rien moins que du goût de la dame, car à peine ce bonhomme trouvait-il un jour dans le mois où il pût sans scrupule s’acquitter du devoir marital : encore quand cela lui arrivait, n’en pouvait-il plus de fatigue et d’épuisement. Ce qu’il y avait de plus fâcheux pour la belle, c’est qu’elle était tenue de court, de peur que quelque dégourdi ne lui fît connaître les jours ouvrables, comme son vieux mari lui avait appris les jours de fête.

Cependant Quinzica, pour la dédommager des abstinences qu’il lui faisait faire, lui procurait de temps en temps quelques divertissements. Il la menait souvent à une belle maison de campagne, qu’il avait près de la montagne Noire, à peu de distance de la mer. Un jour qu’il y était allé pour changer d’air et dans l’intention d’y passer plus de temps qu’à l’ordinaire, il voulut, pour varier ses plaisirs, lui donner le divertissement de la pêche. Il invite à cette partie plusieurs personnes de connaissance. Il se mit dans la barque des pêcheurs, et pour que sa femme pût jouir à son aise de ce spectacle, il l’engagea à se mettre sur une autre barque, avec plusieurs dames de ses amies. Le plaisir de la conversation, joint à celui de la pêche, fut si grand, qu’ils avaient insensiblement fait plusieurs lieues en mer avant de s’en être aperçus. Mais un fameux corsaire de ce temps-là, nommé Pagamin de Monègue, vint interrompre leur divertissement, dans le temps qu’ils en étaient le plus occupés. Il n’eut pas plutôt aperçu les barques qu’il tourna de leur côté pour s’en emparer. On se mit promptement à la rame pour l’éviter ; mais il n’était plus temps. Le corsaire eut bientôt atteint la barque des dames, qui était la plus avancée. À peine eut-il jeté les yeux sur ce groupe de femmes, qu’il fut frappé de la beauté de Bartholomée. Il trouva les autres femmes si désagréables, qu’il ne voulut qu’elle pour tout butin, et il la fit passer sur son vaisseau, à la vue du mari qui avait presque gagné le rivage. Le corsaire dédaigna de le poursuivre, de peur de trop s’approcher des terres, et s’enfuit avec sa capture.

Il ne faut pas demander si M. le juge, qui poussait la jalousie jusqu’à l’excès, fut chagrin de cette aventure. Il était furieux et jetait les hauts cris, ne sachant de qui sa femme était devenue la proie, ni en quel endroit du monde son ravisseur l’avait menée. Il se plaignit amèrement à Pise et ailleurs du brigandage des corsaires, et les aurait volontiers tous exterminés, s’il eût été en son pouvoir.

Cependant Pagamin, charmé de la beauté et de la jeunesse de sa captive, se félicitait de s’en être rendu maître. Comme il n’était pas marié, il résolut, dès le premier moment, de la garder toujours, pour lui tenir lieu de femme. Il employa les soins, les égards, les attentions et tout ce qu’il avait d’éloquence pour la consoler ; car elle se désolait et fondait en larmes. Quand la nuit fut venue, il eut recours à des consolations plus énergiques que les discours les plus flatteurs. Elles furent si efficaces, que la belle oublia bien vite son calendrier. Il n’y eut plus de fête, plus de vigile ; tous les jours étaient bons. Ce changement plut si fort à la dame, qu’avant d’être arrivée à Monègue, le juge, les lois et la légende de ses saints furent entièrement effacés de son souvenir. Elle était au comble de la joie, tant ce nouveau genre de vie lui plaisait. Quand le corsaire l’eut conduite à Monègue, il lui fit présent d’une riche garde-robe, lui donna tout ce qu’il jugea pouvoir lui faire plaisir, et continua de lui prouver qu’il n’y avait dans son calendrier ni saint ni fête portant abstinence. Mais s’il la traitait la nuit comme sa maîtresse, le jour il avait pour elle les mêmes égards qu’il aurait eus pour sa femme.

À force de recherches, Richard de Quinzica, étant parvenu à découvrir le lieu qu’habitait sa chère Bartholomée, résolut d’aller la chercher lui-même, ne croyant pas qu’aucun autre fût digne ou capable d’une négociation aussi importante. Quelque forte que fût la rançon qu’on lui demanderait, il était déterminé à la payer généreusement, sans marchander. Il s’embarqua donc, après avoir pris ses sûretés ; et arrivé à Monègue sans avoir couru le moindre danger, il aperçut sa femme qui, l’ayant elle-même aperçu, en avertit le soir Pagamin, en lui disant ce qu’elle se proposait de faire lorsqu’il viendrait la demander. Le lendemain matin, Richard alla voir le corsaire ; il l’aborde civilement, et en est accueilli avec la même civilité. Pagamin feignit d’ignorer qui il était, afin de le faire expliquer sur les motifs de sa visite. Notre juge trouva enfin le moment de lui découvrir ce qui l’amenait, et il le fit dans les termes les plus honnêtes et les plus affectueux, en le suppliant de lui rendre sa femme, pour la rançon de laquelle il lui payerait sur-le-champ tout ce qu’il demanderait. « Soyez le bienvenu, monsieur, lui répondit Pagamin avec un front riant et serein : il est bien vrai que j’ai chez moi une jeune femme ; mais j’ignore si elle est à vous ou à quelque autre ; car je n’ai pas l’honneur de vous connaître, et ne la connais elle-même qu’autant qu’elle a demeuré quelque temps avec moi. Comme vous me paraissez un très-honnête gentilhomme, tout ce que je puis faire pour vous obliger, c’est de vous la faire voir. Si vous êtes son mari ; elle vous reconnaîtra sur-le-champ, et si elle convient qu’elle est votre femme et qu’elle veuille retourner avec vous, je vous permets de grand cœur de l’emmener ; je vous laisserai même le maître du prix de sa rançon ; je dois ce retour à votre honnêteté. Mais si elle ne convient pas que vous soyez son mari, ou qu’elle refuse de vous suivre, vous auriez grand tort de vouloir m’en priver, parce que, jeune et vigoureux tel que je suis, je puis tout aussi bien qu’un autre entretenir une femme, surtout celle dont il s’agit : car je n’en connais ni de plus jolie ni de plus aimable. – Oh ! je vous jure, s’écria Richard, qu’elle est ma femme ; et si vous voulez bien me conduire vers elle, vous en serez aussitôt convaincu ; vous verrez comme elle se jettera à mon cou ; ainsi j’accepte volontiers les conditions que vous me proposez. – Eh bien, suivez-moi, reprit le corsaire, vous allez la voir. » Il le conduit dans un salon, et fait avertir la dame. Celle-ci, s’étant vêtue et ajustée promptement, sortit d’une chambre voisine, et parut dans le salon brillante comme un astre. Elle salue et regarde son mari d’un air aussi indifférent que si c’eût été un étranger qu’elle n’eût jamais vu, et ne daigne seulement pas lui dire un mot. M. le juge, qui s’attendait à être reçu avec les plus vives caresses, fut on ne peut pas plus surpris de cette froideur. Peut-être, disait-il en lui-même pour se consoler, peut-être que la douleur et les chagrins qui ne m’ont pas quitté depuis que j’ai eu le malheur de la perdre, m’ont si fort changé, qu’elle ne me reconnaît plus. D’après cette idée : « Ah ! ma chère amie, lui dit-il, qu’il m’en coûte cher de t’avoir menée à la pêche ! Jamais douleur n’a été aussi sensible que celle que j’ai soufferte depuis l’instant fatal que je t’ai perdue ; et tu es assez barbare pour garder le silence, comme si tu ne me connaissais point ! Ne vois-tu pas que je suis ton mari Richard, qui suis venu pour te reprendre et te ramener à Pise, en payant ta rançon à cet honnête homme qui veut bien avoir la bonté de te rendre pour la somme que je voudrai lui donner ? » Bartholomée, se tournant vers lui en souriant un peu : « Est-ce bien à moi, monsieur, lui dit-elle, que vous en voulez ? Regardez-moi bien, vous me prenez sans doute pour une autre. Pour moi, je ne me souviens seulement pas de vous avoir vu. – Pense bien, ma chère, à ce que tu dis ; regarde-moi bien toi-même, et si tu veux t’en souvenir, tu ne douteras plus que je ne sois ton Richard de Quinzica. – Vous me pardonnerez, monsieur, mais il n’est pas décent que je vous regarde beaucoup. Je vous ai cependant assez envisagé pour être certaine que c’est pour la première fois que je vous vois. »

Le pauvre juge était décontenancé : il s’imagina ensuite qu’elle ne parlait ainsi en la présence de Pagamin que parce qu’elle craignait le corsaire ; c’est pourquoi il pria celui-ci de vouloir bien lui permettre d’avoir avec elle un entretien particulier dans sa chambre, pour entendre ce qu’il avait à lui dire, et pour répondre ce qu’elle jugerait à propos. Dès qu’ils y furent entrés, ils s’assirent, et le bonhomme, se voyant vis-à-vis de sa femme, qui tenait toujours ses yeux baissés, lui parla en ces termes : « Eh ! mon cher cœur, ma chère, ma bonne amie, ma plus douce espérance, ne connais-tu plus ton Richard, qui t’aime plus que sa vie ? Comment peut-il se faire que tu l’aies sitôt oublié ? Suis-je donc si défiguré ? Pour Dieu, ma mignonne, regarde-moi ; je suis sûr qu’avec un peu d’attention tu me reconnaîtras aussitôt. »

La dame, à ces mots, part d’un éclat de rire ; et sans lui donner le temps de continuer ses douceurs : « Il faut, lui dit-elle, que vous soyez bien simple pour penser que j’aie assez peu de mémoire pour ne pas voir du premier coup d’œil que vous êtes Richard de Quinzica, mon mari. Mais si j’ai fait semblant de ne pas vous connaître, pouvez-vous vous en plaindre ? N’est-ce pas vous qui, pendant tout le temps que nous avons demeuré ensemble, avez fait voir que vous ne me connaissiez pas ? Si vous m’aimiez, comme vous voulez me le faire entendre, si je vous avais été chère, vous m’auriez traitée de la même manière qu’une jeune femme, fraîche et qui aime le plaisir, veut qu’on la traite. Avez-vous pu ignorer qu’elle a besoin de quelque chose que la pudeur naturelle à mon sexe m’empêchait de vous demander ? Avez-vous oublié la manière ridicule dont vous vous y preniez pour vous dispenser de contenter mes besoins à cet égard ? Si l’étude des lois vous était plus agréable qu’une femme, il ne fallait pas vous marier. Mais que dis-je ? je ne vous ai jamais regardé comme un juge ; vous me paraissiez plutôt un crieur de fêtes et de confréries, tant vous connaissiez bien les jeûnes et les vigiles. Convenez, monsieur, que si vos fermiers et vos laboureurs avaient chômé autant de fêtes qu’en a chômé celui qui avait mon petit jardin à cultiver, vous n’auriez jamais recueilli un grain de blé. Or, comme le bon Dieu ne veut pas que les bonnes terres restent en friche, il a jeté un regard de pitié sur moi ; et, par un coup de sa providence, il m’a fait tomber entre les mains du seigneur Pagamin, avec qui il n’est jamais question de fêtes ; j’entends de ces fêtes que vous chômiez si religieusement, ayant plus de vocation et plus de zèle sans doute pour le service des saints que pour celui des dames. On ne connaît dans cet asile ni vendredi, ni samedi, ni vigiles, ni quatre-temps, ni le carême qui est si long ; mais jour et nuit on y laboure, on y est infatigable à l’ouvrage ; cette nuit même, depuis qu’on a sonné matines, j’en ai fait la douce expérience. Ainsi ne trouvez pas mauvais, monsieur, que je veuille toujours demeurer avec un si bon ouvrier. J’ai du goût pour le travail, et je suis déterminée à travailler avec lui tant que je serai jeune : pour les fêtes, les jeûnes et les abstinences, je me réserve de les observer quand je serai vieille. Ce que vous pouvez donc faire de mieux, monsieur, c’est de vous en retourner bien vite. Partez sans délai, et que Dieu vous conduise. Vous n’avez aucunement besoin de moi pour célébrer vos fêtes tant qu’il vous plaira d’en imaginer, ni moi de vous pour connaître les jours ouvrables. »

Ce discours perçait le cœur au pauvre Richard, qui en était tout interdit. Il fut cent fois tenté de l’interrompre ; mais comme il se trouvait chez un étranger, et chez un corsaire, il crut devoir patienter. Mais quand elle eut cessé de parler : « Quoi ! ma chère amie, lui dit-il d’un ton affectueux, peux-tu bien me tenir de pareils propos ? Fais-tu donc si peu de cas de ton honneur et de celui de ta famille ? Est-il possible que tu aimes mieux demeurer avec cet homme, pour être sa catin et vivre toujours en état de péché mortel, que de retourner à Pise, pour y vivre avec ton mari, comme une honnête femme ? Songe que si tu viens à déplaire à Pagamin, il ne fera pas la moindre difficulté de te mettre à la porte, tandis que si tu veux venir avec moi, je ne cesserai de t’aimer ; et si je viens à mourir, tu seras toujours dame et maîtresse de ma maison. Faut-il qu’un appétit désordonné, une passion honteuse et criminelle, te fasse renoncer à ton honneur et à ton époux qui t’aime si tendrement ? De grâce, mon cher cœur, ne me tiens plus ces propos offensants et n’hésite point à t’en revenir avec moi. Je te promets, puisque je connais à présent ton humeur, de faire désormais des efforts pour contenter ton appétit. Je ne consulterai plus si souvent le calendrier, puisque cela te déplaît. Ainsi, ma mignonne, je t’en prie, change de résolution et consens à partir avec ton mari, qui, depuis l’instant que tu lui as été enlevée, n’a pas cessé d’être en proie à l’ennui, à la tristesse et à la douleur.

– Vous me parlez de mon honneur, répondit la dame, quand il n’est plus temps. Mes parents devaient y prendre garde, lorsque, sans me consulter, ils me donnèrent à vous. S’ils parurent alors s’en soucier fort peu, je me soucie aujourd’hui fort peu de ménager le leur. Pour vous, ne vous inquiétez ni du mien ni du leur ; et, puisqu’il faut tout dire, sachez que je me regarde ici comme étant véritablement la femme de Pagamin, au lieu qu’à Pise il me semblait n’être effectivement que votre catin, qu’une femme de parade que vous méprisiez, que vous faisiez souffrir sans pitié. Pagamin est bien un autre homme ! c’est pour moi un véritable mari ; il me tient toute la nuit entre ses bras, il me serre, il me mord, il me caresse de cent manières différentes : jugez si je dois vous regretter.

« Vous dites encore que vous ferez vos efforts pour me satisfaire un peu mieux que par le passé ; mais je voudrais bien savoir comment vous vous y prendriez. Seriez-vous devenu par hasard un vaillant champion, depuis que je vous ai perdu de vue ? Allez-vous-en, vous dis-je, et ne songez qu’à vivre ; car on dirait, à voir votre faiblesse, votre pâleur, votre maigreur, qu’on a oublié de vous enterrer. Au reste, je suis bien aise de vous dire que si Pagamin me chasse, ce ne sera jamais chez vous que je retournerai. On aurait beau vous pressurer, on ne tirerait pas de tout votre individu une goutte de suc, comme je ne l’ai que trop éprouvé pour mon malheur. Soyez donc persuadé que je chercherais fortune partout ailleurs que chez vous. Mais je n’ai pas peur que Pagamin me congédie jamais ; je connais ses sentiments et le cas qu’il fait de moi. Je vous le dis encore une fois, mon parti est pris, je veux et je dois demeurer ici, où l’on ne connaît ni fêtes, ni vigiles, ni carême. Partez donc sans plus tarder, sinon je crierai que vous voulez me faire violence. »

Messire Richard, se voyant si maltraité de Bartholomée, reconnut alors la faute qu’il avait faite d’épouser une jeune femme dont l’âge était si fort disproportionné au sien. Il sortit de la chambre confus, humilié, le désespoir dans le cœur. Il trouva Pagamin sur ses pas, et lui marmotta quelques paroles auxquelles ce bon redresseur des torts des maris ne daigna pas faire la moindre attention.

C’est ainsi que le bonhomme Richard, voyant son projet échoué et n’ayant pu rien gagner sur l’esprit de sa femme, sortit de cette maison où il aurait voulu n’avoir jamais mis les pieds. Il s’en retourna à Pise sans délai, désespéré du mauvais succès de son voyage, et dévoré du chagrin que lui causait l’infidélité de sa femme. Ses concitoyens, bien loin de le plaindre, se faisaient un plaisir de se moquer de lui. S’il allait quelque part, ou qu’on allât chez lui pour des affaires, on débutait toujours par lui dire : Le méchant trou, monsieur le juge, ne veut point de fête. Ces railleries augmentèrent si fort son chagrin, qu’il mourut quelque temps après.

Le bon Pagamin ne fut pas plutôt instruit de sa mort que, connaissant toute la tendresse que la dame avait pour lui, il se détermina à l’épouser. Le sacrement n’apporta aucun changement à leur manière de vivre. Ils travaillèrent et bêchèrent le petit jardin tant qu’ils eurent de forces, et menèrent joyeuse vie, sans jamais observer ni fête, ni vigile, ni carême.

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