PRÉFACE DE L’AUTEUR

Je croyais, mes chères et aimables dames, que le vent brûlant et furieux de l’envie n’exerçait sa violence que sur les lieux élevés, ainsi que je l’avais toujours entendu dire à des personnes très-éclairées, et que je l’avais moi-même lu dans les meilleurs auteurs ; mais aujourd’hui, que j’ai fait la triste expérience du contraire, je pense tout différemment. J’ai eu beau suivre le droit chemin, et chercher les lieux les plus bas et les plus retirés, il ne m’a pas été possible d’échapper à ses fureurs : j’ai eu beau ne publier que de misérables nouvelles, et ne les écrire qu’en prose très-simple et très-familière, je n’ai pas laissé d’exciter les clameurs de cette implacable furie. Mais en vain a-t-elle déchaîné ses serpents contre moi, leurs sifflements ni leurs morsures n’ont pu ni arrêter, ni suspendre mon entreprise ; j’ai continué l’ouvrage que j’avais commencé. Je trouve même une espèce de consolation dans les persécutions odieuses que mon travail m’a attirées, puisque, selon la remarque des hommes sages, il n’y a guère que les auteurs sans talent et sans mérite qu’on laisse en repos.

Croiriez-vous, mesdames, que plusieurs de mes critiques me font un crime de vous trouver aimables, et qu’ils soutiennent qu’il n’y a aucun honneur à vous amuser, à vous plaire, et à célébrer vos charmes ? Rien n’est cependant plus vrai. D’autres, plus circonspects, prétendent qu’il ne convient nullement à un homme de mon âge de se livrer à de semblables bagatelles, et que ce n’est qu’à des jeunes gens tout au plus qu’il appartient de causer si longtemps de galanterie et de vous faire la cour. Quelques-uns, feignant de s’intéresser à ma réputation et à ma gloire, disent que je ferais beaucoup mieux d’aller avec les Muses sur le Parnasse que de perdre le temps avec vous. Quelques autres, moins prudents et plus aigres, n’ont pas craint de dire qu’au lieu d’employer le temps à composer des niaiseries, je devrais plutôt songer à amasser de quoi vivre. Il y en a qui, pour décrier mon travail et le dépriser à vos yeux, ont cherché à vous persuader que les événements que je vous ai racontés se sont passés d’une autre manière, et qu’ils sont devenus méconnaissables sous ma plume.

C’est ainsi, mesdames, que, pendant que je travaille pour vous, l’envie me poursuit de tous côtés sans aucun ménagement ; mais Dieu sait avec quelle patience et quel courage je supporte ses sifflements et ses morsures, lorsqu’il s’agit de vous plaire ! Quoiqu’il n’appartienne qu’à vous de me défendre avec succès, je ne crois cependant pas devoir garder le silence dans cette occasion. Ce n’est pas que je veuille répondre en forme, et traiter mes ennemis comme ils le mériteraient ; non, une réponse courte et sans préparation me suffira pour les mettre à la raison ; encore même m’épargnerai-je ce soin, si je ne craignais qu’ils ne prissent mon silence pour un effet de ma timidité. Mais avant de répondre à aucune de leurs critiques en particulier, permettez que je raconte une nouvelle qui cadre avec mon sujet on ne peut pas mieux. Je ne l’achèverai point, et n’en rapporterai qu’une partie, pour qu’on ne la mette point au rang de celles qui vous sont spécialement consacrées. Je m’adresse à mes censeurs.

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