NOUVELLE PREMIÈRE LE MAUVAIS CONTEUR

Il n’y a pas longtemps qu’il y avait dans notre bonne ville de Florence une dame de condition, très-aimable et parlant bien, nommée Horette, et femme de messire Geri Spina. Pendant son séjour à la campagne, où elle passait six mois de l’année, elle fit la partie, avec plusieurs dames et plusieurs messieurs qu’elle avait eus la veille à dîner chez elle, d’aller voir un sien parent ou ami dont la maison de plaisance était voisine de la sienne. La moitié de la bande était à pied, et l’autre à cheval. Comme elle était du nombre des premiers, et qu’elle paraissait un peu fatiguée, un des cavaliers lui offrit de la prendre en croupe, et de lui conter, chemin faisant, la plus jolie histoire du monde. La dame accepte l’offre, et voilà mon homme qui commence son récit. Or, vous saurez que ce gentilhomme était aussi propre à raconter des histoires qu’à porter une épée au côté. Il s’embrouille, il se répète, il se reprend, il veut recommencer, il s’embarrasse de nouveau, confond les noms ; en un mot, il ne sait ni ce qu’il dit, ni ce qu’il doit dire. Madame Horette, qui à travers ce galimatias comprit que le fait dont il s’agissait était intéressant, souffrait cruellement de le voir estropié de la plus étrange manière. Elle patienta quelque temps ; mais, voyant enfin que le conteur s’embarrassait de plus en plus, et désespérant de le voir sortir du désordre où il s’était jeté, elle ne put se contenir, et prit le parti de lui dire brusquement : « Je vous prie, monsieur, de vouloir bien me laisser descendre ; votre cheval est trop rude pour moi. » Le cavalier, qui ne manquait pas d’intelligence, quoiqu’il sût mal raconter, comprit fort bien ce que cela voulait dire : il laissa là l’histoire qu’il avait si mal commencée et plus mal continuée, parla d’autres choses, et finit par amuser la dame qu’il avait d’abord si fort ennuyée.

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