Quand le pequeno Pablo fut éloigné, Barraou rentra dans la case. Amada préparait la cène ; lui se lava et s’endimancha. Décrochant ensuite l’escopette suspendue à la muraille, au-dessus de quelques figurines et images de saint Jacques de Galice et de Madones caparaçonnées, il se prit à la nettoyer avec une espèce de joie sombre : Amada le remarquait.
– À quel propos, lui demanda-t-elle, t’occuper de cette escopette ?
– Pour rien, mon amie, seulement pour enlever la rouille qui la ronge.
– Ah ! seulement pour enlever la rouille ; à quoi bon alors mettre cette pierre neuve ? Hélas ! Santa Virgen ! que fais-tu là ? de la poudre ! des balles ! voudrais-tu la charger ? C’est imprudence, non, je t’en prie ; il arrivera malheur, cette arme est à la portée de tout venant.
– Il arrivera malheur… peut-être !…
– Mais à quoi bon ? réponds-moi.
– À quoi bon ? tu veux savoir ? – Eh bien ! demain, je dois partir pour l’intérieur des terres, j’ai à faire des achats de bois ; des bandes de marrons infestent les routes ; je pense qu’il est bon de ne point marcher sans armes. – Amada, où est donc mon cuchillo ? il était là, je ne le retrouve plus.
– Le voici, mon bon, mais qu’avez-vous besoin de ce poignard sur vous ?… est-ce pour les marrons de demain ?…
– Plaise à Dieu !…
Après la bourrasque de Barraou, Amada, sans dire mot, acheva sa cuisine et prépara la table de la cène. Pour lui, se promenant à grands pas devant la case, de temps en temps il regardait au loin avec un air d’impatience. Tout en s’occupant du ménage, Amada, intérieurement agitée et bouleversée, avait l’âme meurtrie de cent pensées diverses ; elle jetait cent conjectures, la plupart étranges et absurdes. Elle aurait donné sa plus belle nuitée de plaisir, ou son chapelet d’or indulgencié pour être au lendemain, ou pour lire au plus petit coin du cœur de Barraou. Souventes fois, elle laissait tomber de gros soupirs.
– Alma de Dios ! protégez votre servante. Mon bon ange, arrêtez le bras de Barraou, comme vous retîntes le bras de notre père Abraham !…
Pablo trouva Juan Cazador prêt à partir pour la danse, et tirant avec transport quelques sons nasillards d’une mandoline fêlée.
– Mon maître m’envoie à votre grâce, lui dit-il, pour lui offrir ce tabac de la plantation royale, et pour l’inviter à souper ; il m’est enjoint de ne point repartir sans elle.
Cazador, joyeux et surpris, remercia Pablo de sa bonne visite, et se mit en route.
Chemin faisant, il ne pouvait contenir son hilarité, et, se questionnant en lui-même : – Qui, disait-il, a pu porter Jaquez à me faire pareille politesse ? lui, si ombrageux, qui depuis si long-temps fait tout pour m’éloigner ; ce ne peut être qu’Amada ? Mais, si c’était sous son influence ? oh ! non, cela ne se peut ! Elle aurait donc quelque amour pour moi ? de l’amour…, de l’amour…, non, je suis trop malheureux !