XXV Paix du roi et de la reine

Au bout de ce temps, l’apostole de Rome apprit que le roi Arthur avait quitté sa femme et qu’il se proposait de la faire mourir, bien qu’il ne l’eût pas prise sur le fait. Aussi manda-t-il aux évêques et archevêques d’interdire et excommunier la terre de Logres jusqu’à temps que le roi eût repris la reine Guenièvre et se fût résolu à la traiter comme un mari doit faire avec sa prude femme et épouse. Et quand il sut ce mandement, le roi fut d’autant plus dolent qu’il aimait encore la reine : c’est pourquoi il déclara devant tous ses barons qu’il ferait très volontiers sa paix avec elle pour obéir au pape. Et sur-le-champ l’évêque de Rochester monta sur son palefroi et s’en fut parlementer.

– Dame, dame, dit-il à la reine Guenièvre lorsqu’on l’eut conduit devant elle, il faut que vous retourniez à votre seigneur : notre père le pape le commande. Le roi jurera devant sa cour de vous traiter comme sa prude femme.

Mais la reine lui demanda un délai pour répondre ; et, ayant appelé Lancelot, Hector et Lionel, elle leur répéta ce que l’évêque avait dit. C’est alors que vous auriez pu voir Lancelot du Lac baisser la tête !

– Dame, dit-il enfin, si je faisais ce que mon cœur désire, je vous supplierais de rester céans. Mais, pour ce que je préfère votre honneur à mon amour, je vous conseille de mander au roi que vous retournerez auprès de lui demain. Hélas ! si vous n’acceptiez l’offre qu’il vous a faite, tout le monde parlerait de votre honte et de ma déloyauté !

Là-dessus, il se mit à pleurer, et sa dame de même, et aussi Hector et Lionel. Enfin la reine s’essuya les yeux et vint dire à l’évêque qu’elle consentirait à retourner auprès du roi son Seigneur, pourvu qu’il promît de laisser Lancelot gagner la Gaule sans lui faire tort d’un denier. Ce que le roi octroya de bonne grâce, dès que l’évêque le lui eut demandé.

“Par Dieu, songeait-il, si Lancelot aimait la reine de fol amour comme on a voulu me le faire accroire, il ne la laisserait point partir de la sorte, car je vois bien qu’il pourrait continuer la guerre pendant des mois encore et que son château ne craint guère l’assaut !”

Cette nuit-là, à la Joyeuse Garde, il n’y eut cœur si dur qui ne se fût ému à voir le merveilleux deuil que menèrent Lancelot du Lac et sa parenté. Et quand l’aube parut par la volonté de Dieu, Lancelot rendit à la reine qu’il ne devait plus voir, comme ce conte le dira, l’anneau qu’elle lui avait donné lorsqu’il s’était pour la première fois accordé avec elle, et il la pria de le porter pour l’amour de lui. Après quoi, suivi des siens, tous aussi richement vêtus qu’ils avaient pu et montés sur des chevaux couverts de soie, il reconduisit sa dame au roi.

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