III Bohor au vigoureux cœur

Quand la pucelle de la Dame du Lac fut arrivée à Camaaloth, elle se mit en quête de son logis, et tous deux eurent grande joie à se retrouver. Ensuite Saraide fit le message de Lancelot. Et Bohor reçut l’épée volontiers, mais, lorsqu’il entendit les paroles, il devint tout honteux et morne.

– Vous dites vrai, fit-il : à trop demeurer céans, je ne conquerrai jamais ni prix, ni louange !

Et le lendemain, sitôt que l’alouette chanta et que le jour eut vie, il se fit armer ; puis il alla prendre congé du roi et de la reine, qui le recommandèrent à Dieu, et il s’éloigna par la forêt de la Sapinoie.

C’était en mai, quand la rose est fleurie et que sous les hauts arbres feuillus les oiselets font : « Oci ! oci ! » : alors les tourterelles se répondent. Bohor et son écuyer chevauchaient, chacun tenant une fleur à la main, sans se soucier de rien, tant qu’enfin, à la nuit tombée, ils s’égarèrent et qu’il leur fallut coucher sous un arbre. Et certes, s’ils manquèrent des viandes qui conviennent à des corps d’hommes, leurs chevaux purent paître à leur aise, ce soir-là. Mais le lendemain, quand le soleil abattit la rosée, ils se remirent en route, aussi enjoués que la veille. Et le valet chantait :

Une donzelle

Légère et belle,

Gente pucelle

Bouchette riant,

Qui me rappelle :

« Viens çà ! me dit-elle.

Dessus ta vielle

Ma joue en chantant

Tant mignotement ! »

J’allai la voir dans le bosquet

Avec la vielle, avec l’archet,

Et je lui chantai un muset

Par grand amour !

Et Bohor répondait :

L’on connaît à son regard

Femme qui sait de barat ;

Elle a tôt un fol trouvé

Et lorsqu’il est dans ses lacs,

Il n’en échappera pas ;

S’il a deniers apporté,

L’une sur ses reins le trousse,

L’autre lui vide la bourse.

N’est-ce là déloyauté ?

De par tous les saints du monde

On devrait leur faire honte

Et hors d’ici les jeter !

En nom Dieu, a dit Gobin,

La femme, plus que le vin,

Commet de déloyauté.

Pour un pâté de lapin

Ou pour l’aile d’un poussin

On en fait sa volonté.

Ce n’est marchandise vile ;

Or, pour un pâté d’anguilles

On peut faire le marché.

Bien fou qui met là vingt livres !

Il faut le tenir pour ivre !

Il mérite d’en porter !

Car Bohor fut l’un des chevaliers du monde qui aimèrent, le moins les femmes. Si parfois, en chevauchant par les rues d’une ville, un de ses compagnons lui disait :

– Regardez, sire, regardez ! Par sainte Marie, la belle dame !

– La belle bête que mon cheval ! répondait-il. Je ne connais point de destrier qu’on lui puisse comparer.

Ainsi fait, il demeura longtemps pur de cœur et vierge de corps, et s’il tomba une fois dans le péché, il s’en repentit tant par la suite que Notre Sire lui pardonna ; le conte parlera de cela quand le moment sera venu, mais il faut laisser venir chaque chose en son temps.

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