I La vie belle

Le roi Arthur séjournait tour à tour dans ses bonnes villes, menant sage vie entre la reine et la dame de Malehaut, qui étaient toujours ensemble (car amour les tenait liées de court), honorant ses chevaliers, donnant tout ce qu’il pouvait et bien accompagné de barons, de valets, d’écuyers et de sergents qui conduisaient ses sommiers chargés de riches draps, de robes, d’armes, d’écuelles, de hanaps, de cuillers, de pots d’argent et de tout ce qui convient à des prud’hommes. Il faisait beau temps et l’été était bon et doux, car il avait plu longuement ; sur toute la terre le soleil resplendissait, et la rose fleurissait, le loriot chantait avec le merle et la pie, toute chose vivante avait recouvré beauté, force et vertu, si bien que chacun en avait le cœur gai. Au matin, les chevaliers et les dames se paraient de robes parfumées en satin, drap d’outremer ou soie brochée, puis ils allaient s’enjouer au bois ; alors on décousait les grandes manches flottantes que les pucelles savaient bien recoudre, pour le retour, avec le fil qu’elles emportaient dans leur aumônières ; on se baignait aux fontaines les mains, les yeux, le visage ; on chantait des chansons nouvelles :

Hier, je sortis d’Angers :
Ah ! que l’air était léger !
Je trouvai dame au cœur gai,
Au corps bien joli,
Belle et blonde, je le sais,
Qui chantait ainsi :

“Amour, amour, amour,

Me démène, démène,

Tout ainsi démène

Mon cœuret joli.

Ah ! celui qui m’épousa
Soit de Dieu honni !
Jamais mon cœur n’aimera
Ce vilain failli !
Amour, amour, amour,

Me démène, démène,

Tout ainsi démène

Mon cœuret joli.

Dieu ! pourquoi demeure tant
Mon beau doux ami
Que j’aime si joliment ?
Mon cœur y ai mis.

Amour, amour, amour,

Me démène, démène,

Tout ainsi démène

Mon cœuret joli.

La dame cria plus haut :
Certes aucun bien ne vaut
Celui d’aimer de cœur beau
Dame son ami.
Aussi ferai-je le saut
Et j’irai à lui.

Amour, amour, amour,

Me démène, démène,

Tout ainsi démène

Mon cœuret joli.”

Ah ! que de plaisirs ! Au soir, en rentrant au logis, les dames et les chevaliers chantaient encore des sonnets.

Étoilette, je te vois,

Que la lune attire à soi ;

Nicolette est avec toi :

Notre Sire veut l’avoir

Pour la lumière du soir…

Que ne suis-je auprès de toi !

Ah ! si j’étais fils de roi,

Nicolette, Nicolette,

Je te baiserais étroit !

La reine Guenièvre, cependant, toujours songeait à monseigneur Lancelot.

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