LV Gauvain guéri

Quand il traversa la forêt où il avait croisé la demoiselle qui lui avait jeté ce mauvais sort, il craignit si fort de la rencontrer et de ne pas la saluer, qu’il ôta son heaume pour mieux voir. Il aperçut ainsi à travers les buissons deux chevaliers à pieds qui avaient attaché les rênes de leurs chevaux à leurs lances fichées en terre ; ils tenaient sur le sol par les jambes et les mains une demoiselle qui se tordait pour leur échapper, et faisant semblant de la vouloir forcer. Aussitôt, il avança, lance sur feutre, et leur cria :

– Vous méritez la mort de faire ainsi violence à une demoiselle sur la terre du roi Arthur ! Ne savez-vous qu’elles y sont assurées contre tous ?

– Ha ! Gauvain, s’écria la pucelle, maintenant je verrai s’il y a assez de prouesse en vous pour que vous me délivriez de cette honte !

À ces mots, les chevaliers lacèrent leurs heaumes.

– Par Dieu, fol nain contrefait, vous êtes mort !

– Si ridicule que je sois, montez, car il me semblerait vil d’attaquer à cheval des hommes à pieds.

– Vous fiez-vous donc tant à votre force ?

– Je me fie tant en Dieu, que je m’assure que vous n’outragerez plus jamais ni dame ni demoiselle en la terre du roi Arthur.

En ce disant, il se jette sur eux et les combat si adroitement que bientôt l’un d’eux gît à terre ; déjà il courait sus à l’autre, lorsque la demoiselle lui cria :

– Messire Gauvain, n’en faites pas plus !

– Pour l’amour de vous, je m’arrêterai donc, répondit-il, et que Dieu vous donne bonne aventure, à vous et à toutes les demoiselles du monde ! Mais, si n’était votre prière, je les tuerais, car ils vous ont fait trop de honte et à moi trop de vilenie en m’appelant nain contrefait.

À ces mots, la demoiselle et les deux chevaliers se mirent à rire, et elle lui dit :

– Qui vous guérirait, que lui donneriez-vous ?

– Ha ! si c’était possible, moi-même premièrement et ensuite tout ce que je peux avoir au monde.

– Je ne vous en demande pas tant, mais seulement que vous fassiez serment de toujours aider et secourir les dames, et de les saluer quand vous les rencontrerez.

– Je le jure sur ma foi, de bon cœur.

– Eh bien, je prends votre serment ; mais sachez que si vous y manquez jamais vous reviendrez en l’état où vous êtes présentement.

Et comme elle disait ces mots, messire Gauvain sentit ses membres s’allonger, les courroies dont il avait lié son haubert et ses chausses se rompirent, et il reprit sa forme première. Aussitôt, il descendit de son destrier et s’agenouilla devant la demoiselle en lui disant qu’il serait son chevalier désormais. Dont elle le remercia en le relevant par la main.

Après quoi tous se séparèrent en se recommandant à Dieu.

Share on Twitter Share on Facebook