XXXIII Histoire du Saint Graal : Conversion de la Bretagne : Le roi méhaigné

“Ils l’accueillirent à grande joie, et le cinquième jour, faute de vivres, ils partirent tous ensemble, emportant l’arche du Saint Graal, et arrivèrent sur l’heure de tierce à la ville de Galafort.

“Quand le duc de ce pays, qui avait nom Ganor, les vit ainsi venir nu-pieds, vêtus de pauvres habits, il fut tout ébahi, et bien plus encore quand il apprit qu’ils étaient riches hommes en leur pays et qu’ils avaient tout laissé pour l’amour de Jésus-Christ. Il manda ses clercs et maîtres ès-lois sarrasinoises et dit à l’évêque Josephé qu’il voulait entendre défendre sa foi contre eux. Alors Josephé pria la Glorieuse Vierge Marie de ne pas laisser parler ceux qui oseraient s’élever contre elle : en sorte que les païens ne purent que crier et braire, prendre leur langue à deux mains, la dépecer et l’arracher. Le duc, à cette vue, fut si touché de la grâce de Dieu qu’il requit chrétienté sur-le-champ et avec lui tous ceux qui étaient dans la salle. Josephé les baptisa, tant hommes que femmes, dans une grande cuve pleine d’eau qu’il bénit de sa main, et il n’y eut bientôt plus personne dans la ville qui n’eût reçu la foi de Notre Seigneur.

“À cette nouvelle, le roi de Northumberland, qui était le seigneur lige de Ganor, fut très courroucé. Il assembla ses barons et fut assiéger Galafort. Mais le duc fit une sortie, où, avec l’aide du chevalier Jésus, Nascien trancha la tête au roi de Northumberland dont les hommes s’enfuirent. Et en mémoire de leur première victoire en Bretagne, les Chrétiens bâtirent une église à Notre Dame. Le dernier fils de Joseph d’Arimathie, qui naquit durant qu’on la parfaisait, y fut baptisé, et on l’appela Alain.

“Alors, l’évêque Josephé partit avec son père et ses cent cinquante compagnons, emportant le Saint Graal, et ils furent prêcher ça et là, tant qu’ils convertirent les gens de Northumberland : après quoi ils entrèrent au royaume de Norgalles. Mais le roi Crudel, qui fut le plus félon et déloyal païen de tout l’univers, les fit prendre et enfermer dans une chartre, sous terre, où il défendit de leur donner rien à boire ni à manger.

“Or, la même nuit, le roi Mordrain, qui était demeuré à Sarras, eut un songe : il lui fut avis qu’il voyait Notre-Seigneur tout dolent et souffrant, qui lui commandait de s’embarquer avec sa famille, la femme de Nascien et tous ses hommes, et d’aller en Bretagne la Grande pour le venger du roi Crudel. Ainsi fit-il, et, quand il aborda près de Galafort avec son armée, il rencontra Nascien qui venait au-devant de lui, ayant été averti de sa venue. Tous deux marchèrent avec les chevaliers de Sarras, de Galafort et de Northumberland contre le roi Crudel qui fut défait et tué. Et ils trouvèrent Josephé et son père Joseph avec leur compagnie en fort bon point dans leur chartre : car Dieu avait voulu qu’ils vécussent de la grâce du Graal durant les quarante jours de leur prison, en toute aise et confort.

“Mais, peu après, il arriva une grande merveille. Une nuit qu’il ne pouvait dormir, le roi Mordrain fut pris d’une curiosité si vive de voir le Graal, qu’il n’y put résister. Il se rendit dans la chambre où le saint vase était conservé, et il lui sembla entendre autour de lui mille voix qui rendaient grâce à Notre Seigneur et un bruit d’ailes aussi fort que si tous les oiseaux du monde eussent volé là. Il avança vers le Graal et souleva la patène pour regarder le précieux sang. Mais, dans le même moment, il aperçut devant lui un ange au visage ardent comme la foudre, qui lui perça les deux cuisses d’un coup de lance.

“– Roi Mordrain, tu es trop hardi. Jamais les merveilles du Saint Graal ne seront vues par aucun homme mortel, hors un seul, qui sera le vrai chevalier de Jésus-Christ et par qui la chevalerie terrienne deviendra céleste. Et sache que lui seul te pourra guérir en t’oignant du sang qui coulera de cette lance, lorsqu’il sera entré ici.”

“Désormais Mordrain fut nommé le roi méhaigné.

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