XVI Quête de Bohor : la tentation

Or, quand les lumières furent éteintes et que Bohor se fut endormi dans son lit, il advint qu’il fut réveillé par une main qui se posait sur son épaule, et il vit la dame du logis, en sa pure chemise, qui lui dit :

– Sire chevalier, faites-moi place, afin que je me couche auprès de vous.

Il repartit qu’il lui laisserait le lit ; et, ce disant, il se leva en chemise et en braies.

– Beau sire, reprit-elle, recouchez-vous : je vous promets que je ne vous toucherai que si vous le voulez. Mais faites-moi droit comme il sied à un chevalier.

– Je ne fis jamais tort ni vilenie à dame ou demoiselle et je ne commencerai point par vous.

– Grand merci. Vous savez bien que, selon, la coutume du royaume de Logres, un chevalier doit secourir toute demoiselle qui requiert son aide, sous peine de perdre son honneur. Secourez-moi donc.

– Et comment ?

– En couchant avec moi.

– Êtes-vous demoiselle ? On croirait que non, tant vous semblez ribaude. Aimassiez-vous un chevalier plus que tout, vous ne devriez pas lui dire de semblables paroles, ni à plus forte raison le requérir ainsi la première ! D’ailleurs je ne puis vous croire si folle : vous voulez sans doute m’éprouver ?

– Ha, Bohor, si je ne vous aimais pas plus que jamais femme n’aima, vous ferais-je une telle requête ? Je vous prie de me secourir comme je vous l’ai demandé. Si vous y manquez, je vous tiendrai pour failli et vaincu.

– Je me tiendrais pour vaincu bien davantage, dit Bohor, si je faisais ce que vous voulez !

– Remettez-vous donc au lit, sire chevalier ; je ne voudrais pas faire mon ami d’un honni, d’un recréant.

Bohor s’étendit entre les draps : aussitôt la félonne s’élança à ses côtés, et, le tirant par sa chemise, elle feignait d’être bien désireuse de l’embrasser. Mais lui, il la prit et la posa à terre où il la maintint quelque temps si rudement qu’elle ne pouvait bouger. Alors elle se mit à se plaindre, disant qu’elle se sentait malade, et à l’implorer.

– Pour Dieu, accordez-moi ce que je vais vous demander ! Ce ne sera pas contre votre honneur ! Mais il faut que je vous le dise à l’oreille.

Bohor se baisse : elle prend son temps et le baise sur la bouche. Irrité, il saute sur son épée, jurant qu’il lui couperait la tête si elle n’était femme. “C’est ce qu’on verra !” dit-elle en courant encore à lui, les bras tendus. Il s’enfuit de la chambre, essuyant, frottant ses lèvres, et gravit jusqu’au faite de la tour. Mais la demoiselle l’y suit bientôt, accompagnée de douze pucelles, et s’écrie :

– Voyez donc comme je mourrai pour l’amour de vous !

À quoi l’une des pucelles ajoute en pleurant :

– Ha, sire, faites ce que veut madame ou bien nous nous laisserons toutes tomber d’ici, car nous ne pourrions souffrir sa mort ! Jamais chevalier ne fit si grande déloyauté que de laisser mourir des femmes pour si peu de chose !

Bohor les prenait en grande pitié ; pourtant il aimait mieux qu’elles perdissent leurs âmes que lui la sienne, et il répondit qu’il ne ferait pas ce que voulait la dame, ni pour leur mort ni pour leur vie. Aussitôt la femme et les douze pucelles se laissèrent choir, l’une après l’autre, du sommet de la tour : dont il fut si émerveillé, qu’il leva la main pour se signer. Et dans le même instant le château et la fausse chapelle et le prétendu corps de son frère, tout disparut au milieu d’un si grand bruit qu’on eût cru que tous les diables de l’enfer hurlaient autour de lui ; et sans faute il y en avait plusieurs.

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