XXV La dame de Malehaut : le baiser

Il était retourné à Malehaut tout droit. Là, s’étant fait désarmer, il rentra dans sa geôle où il se coucha, si dolent qu’il ne put rien manger. Peu après lui revinrent les chevaliers que la dame de Malehaut avait envoyés au combat. Ils contèrent les prouesses du champion aux armes vermeilles, et elle songea que ce pouvait bien être son prisonnier ; aussi, elle appela sa cousine germaine et lui dit tout bas :

– Si c’est lui ce grand vainqueur, nous le verrons bien à son corps et à ses armes.

– Dame, c’est facile.

– Certes, mais gardez, si vous tenez à vos membres, que personne ne sache ce que je vais faire, hors nous deux.

Elle se débarrassa de ses gens et de ses demoiselles le plus tôt qu’elle put ; puis, faisant prendre à la pucelle plein poing de chandelles, toutes deux furent à l’étable. Là, elles virent que le cheval du prisonnier était recouvert de plaies à la tête, au cou, à la poitrine, aux jambes ; il était en si mauvais point qu’il ne voulait pas seulement manger.

– Dieu m’aide ! s’écria la dame, vous semblez bien le cheval d’un prud’homme !

– Dame, dit la pucelle, m’est avis que ce destrier a eu plus de peine que de repos. Et pourtant ce n’est point celui qu’avait votre chevalier quand il partit.

– C’est qu’il en a usé plus d’un. Mais allons regarder ses armes.

Toutes deux furent à la chambre où on les avait rangées : et elles trouvèrent le haubert faussé et coupé sur les épaules et sur les bras, l’écu tout écartelé, le heaume fendu et décerclé. Enfin elles vinrent à la geôle et, par la porte qui était restée entr’ouverte, la dame de Malehaut passa la tête sans bruit.

Lancelot gisait sans son lit. Il avait tiré la couverture dessus sa poitrine, mais, à cause de la chaleur, ses bras étaient tout dehors, et il dormait profondément. La dame aperçut qu’il avait le visage enflé et tuméfié, le nez et les sourcils écorchés, le col meurtri par les mailles du haubert, les épaules tailladées, les bras tout bleus des coups qu’il avait reçus, les poings gros et pleins de sang.

Alors elle se tourna vers sa cousine en souriant, et prenant les chandelles :

– Regardez, fit-elle, et vous verrez merveilles !

Puis, tandis que la pucelle passait la tête et examinait curieusement le blessé, elle entra tout doucement dans la geôle et fit un pas vers le lit en murmurant :

– Je serais bien bien aise de lui donner un baiser !

– Ha, dame, qu’avez-vous dit ! s’écria la pucelle à voix basse. Ne le faites pas, car s’il s’éveillait, il en priserait moins et vous et toutes les femmes. Ne soyez pas si folle qu’ensuite vous ayez honte !

– Dieu m’aide ! Comment pourrait-on avoir honte de ce que l’on aurait fait pour un si prud’homme ?

– Et s’il refusait ? Le plus preux de corps n’a pas toujours toutes les bontés de cœur.

La pucelle en dit tant qu’elle détourna sa cousine de rien tenter, et toutes deux revinrent dans les chambres, où la dame commença de parler de son prisonnier, s’émerveillant qu’il eût fait tant d’armes :

– Ce doit être qu’il aime d’amour en très haut lieu, disait-elle.

La pucelle s’efforçait de changer de propos car elle devinait bien le cœur de sa cousine ; mais elle ne put y réussir. Et toutes deux passèrent la nuit à causer ainsi.

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