II Le Blanc cortège

Or, le vendredi avant la Saint-Jean, le roi chassa tout le jour dans la forêt de Camaaloth ; vers le soir, comme il regagnait la ville avec ses gens, il vit venir à lui une belle compagnie.

En tête, deux garçons à pied menaient deux sommiers blancs, dont l’un portait un léger pavillon de campement, le plus riche qu’on eût jamais fait, et l’autre deux beaux coffres pleins de robes de chevaliers. Puis avançaient, deux par deux, quatre écuyers montés sur des roussins et tenant qui un écu à boucle d’argent, qui un heaume argenté, qui une lance, qui une grande épée, claire, tranchante et légère à merveille ; et après eux d’autres écuyers et sergents ; puis trois pucelles ; enfin une dame accompagnée d’un damoisel beau comme le jour et de deux gentils valets avec lesquels elle causait. Et les robes, les armes, les écus, les chevaux, tout le cortège était couleur de neige.

Le roi s’arrêta, émerveillé. Cependant la dame, l’ayant aperçu, pressait son palefroi et, dépassant son escorte, s’avança vers lui en compagnie du beau damoisel. Et sachez encore qu’elle était vêtue d’une cotte et d’un manteau de samit blanc, fourré d’hermine, et qu’elle chevauchait un petit palefroi ambiant, si bien taillé qu’on n’en vit jamais de plus beau, dont la housse de soie traînait jusqu’à terre ; son frein et son poitrail étaient subtilement gravés d’images où l’on voyait des dames et des chevaliers. Dès que la dame arriva devant le roi, elle écarta son voile et, après lui avoir rendu le salut qu’il se hâta de lui faire le premier, en gentilhomme courtois et bien appris qu’il était, elle lui dit :

– Sire, Dieu vous bénisse comme le meilleur des rois de ce monde ! Je viens de bien loin pour vous demander un don que vous ne me refuserez point, car il ne peut vous causer nul mal et ne coûtera rien.

– Demoiselle, répondit le roi, dût-il m’en coûter beaucoup, pourvu qu’il ne me soit honte et qu’il ne cause dommage à mes amis, je vous l’octroierai, quel qu’il soit.

– Sire, grand merci ! Je vous requiers donc de faire chevalier ce mien écuyer, lorsqu’il vous le demandera.

– Belle amie, grâces vous soient rendues de m’avoir amené ce beau jouvenceau. Je lui donnerai ce qui est de moi : ses armes et la colée ; Dieu ajoutera le surplus : c’est la prouesse.

La Dame remercia le roi et lui apprit qu’on l’appelait la Dame du Lac ; après quoi, quelque prière qu’il lui fit de demeurer, elle prit congé, le laissant fort étonné, car il n’avait jamais entendu prononcer ce nom.

Share on Twitter Share on Facebook