ÉPILOGUE

Les marins de l’Éclair avaient pu échapper à l’inondation qui envahissait rapidement les galeries, mais un grand nombre de ces braves avaient, hélas ! déjà payé de leur existence cette victoire trop chèrement achetée.

Le commandant, bien certain que nul n’avait pu s’enfuir, que toutes les galeries étaient noyées, que l’instrument des Bandits était brisé, résolut de revenir le plus vite en Europe.

Il fallait frapper à la tête cette infâme association et agir rapidement.

L’état de son navire ne lui permettait malheureusement pas de tenter la traversée. Il ne pouvait raisonnablement, avec une pareille avarie, affronter les passes dangereuses du détroit de Torrès.

Il dut revenir à Sydney, où le vaillant croiseur subit dans un des bassins de la rade d’indispensables réparations. Puis, l’heure du départ sonna enfin pour l’équipage, et pour les héros de ces véridiques et terribles aventures.

Quarante-deux jours après avoir quitté Sydney, l’Éclair, qui avait pris la route de Suez, s’arrêtait en vue de Toulon, ramenant en France, Friquet, – à tout seigneur tout honneur, – son inséparable Majesté le négrillon, André, le docteur Lamperrière, le matelot Bernard et le gendarme Barbanton.

L’équipage du cuirassé fut rigoureusement consigné en rade, et le commandant, accompagné des personnages précités prit l’express de Paris.

Sa première visite fut pour le procureur général. Après une longue conversation avec ce magistrat, il se rendit près du ministre de la marine auquel il rendit un compte détaillé de sa mission.

Pendant ce temps, le procureur général, en vertu de son pouvoir discrétionnaire, décerna un mandat d’amener contre le comte de Javercy, le riche financier dont la culpabilité ne pouvait faire l’ombre d’un doute.

Une vingtaine d’agents de police se rendirent isolément à la maison du parc Monceau, dont toutes les issues furent étroitement gardées. Le financier était chez lui, les agents l’avaient vu rentrer ; puis un commissaire de police, ceint de son écharpe, se fit ouvrir la porte, en prononçant le sacramentel : « Au nom de la loi. »

La somptueuse demeure du millionnaire fut, au grand scandale de la valetaille, fouillée de fond en comble. On sonda les murailles, on leva les lames de parquet ; les placards, les armoires, furent, rigoureusement inventoriés, les cheminées explorées, bref, la maison fut, de la cave aux greniers, méthodiquement et minutieusement visitée.

Peine inutile, recherches infructueuses, le comte demeura introuvable. La fameuse cachette du deuxième étage était vide. La comptabilité des Bandits de la mer avait disparu.

Les serviteurs de la maison furent gardés à vue pendant deux jours et deux nuits, sans qu’il fût possible d’en tirer aucun renseignement. Ils ignoraient vraisemblablement à quel infâme commerce se livrait leur patron.

Le commissaire désespérait désormais de mettre la main sur le hardi brigand, quand un de ses agents, un vrai limier, au flair subtil, finit par découvrir qu’une des glaces de la chambre à coucher du fugitif pivotait sur elle-même, grâce à un mécanisme ingénieux, dont le ressort moteur était habilement dissimulé dans les moulures du cadre.

La glace, intérieurement garnie d’une épaisse plaque de tôle aciérée, fermait un étroit escalier communiquant avec le réseau des égouts parisiens.

Le comte avait dû s’enfuir par là.

Or, le jour même où le commissaire avait fait son apparition, une terrible pluie d’orage s’était abattue sur la capitale ; une de ces pluies qui grossissent les ruisseaux et les transforment en torrents.

Les petits égouts, trop étroits, furent instantanément remplis jusqu’à la voûte. Plusieurs égoutiers, surpris par l’inondation, n’eurent pas le temps de se réfugier dans les grandes galeries et furent noyés.

Leurs cadavres furent retrouvés peu de temps après. Or, par un phénomène étrange, l’un d’eux, vêtu du costume traditionnel, portait en dessous de ses habits sordides, du linge d’une finesse peu en rapport avec ses fonctions, et ses mains étaient fort soignées. Malheureusement, les rats qui pullulent dans ce cloaque souterrain, avaient totalement rongé la face, au point que le cadavre était complètement méconnaissable.

Ces restes mutilés étaient-ils ceux de l’ancien chef des naufrageurs ?…

La justice ne put éclaircir ce point important.

Friquet avait enfin revu Paris, son cher Paris, et retrouvé son ami Boileau, qu’il n’espérait plus rencontrer. Il fallait le voir, plus fier et plus heureux que tous les monarques du monde, se pavaner dans les rues de « sa ville » et initier Majesté complètement ébahi, à toutes les subtilités de l’existence parisienne.

Après quelques jours donnés à cet agréable, passe-temps, notre ami pensa à se mettre au travail. Il désirait faire son instruction, et ne voulait pas, comme il le disait, être à charge à qui que ce soit.

C’est en vain que ses bons amis, le docteur et André, voulurent continuer à Paris, comme à travers le monde, leur existence commune. Le petit homme ne voulait pas vivre en parasite. André finit pourtant par lui faire comprendre qu’il ne pouvait pas étudier et travailler en même temps à gagner son pain quotidien.

Et d’ailleurs, il y avait Majesté, qui, quoique bien débrouillard en pays sauvage, n’aurait pu trouver à Paris quoique ce fût à se mettre sous la dent.

Il fut convenu que le gamin noir et le gamin blanc recevraient, à titre de prêt, les fonds nécessaires tant à leur subsistance matérielle qu’aux besoins de leur instruction.

Le docteur demanda et obtint un congé illimité, afin de pouvoir se consacrer exclusivement à ses enfants d’adoption, et André, qui n’avait aucune préférence pour telle résidence, resta près de ses amis.

Deux mois après les événements que nous venons de raconter, une touchante cérémonie avait lieu au siège de la Société de géographie commerciale.

Notre excellent confrère Jules Gros, l’éminent et sympathique écrivain, dont la collaboration est si précieuse au Journal des Voyages, secrétaire de la Société, présentait aux membres réunis, les cinq amis, – Boileau n’avait eu garde d’y manquer, – dont les aventures avaient produit une si profonde sensation.

Après une relation sommaire des divers incidents qui s’étaient accomplis pendant cette odyssée qui s’appelle le Tour du monde d’un gamin de Paris, le président se leva, et au milieu d’un tonnerre d’applaudissements, décerna à Friquet la grande médaille d’or !

Friquet, de son vrai nom Victor Guyon, travaille à se courbaturer le cerveau.

Ses progrès sont étonnants, il est passionné pour les sciences. Il mord admirablement aux mathématiques et il est déjà d’une jolie force en physique et en chimie.

Majesté a la tête horriblement dure. Le pauvre petit est plein de bonne volonté ; mais il a toutes les peines à apprendre à lire.

Comme Fliki veut qu’il étudie, il passe des journées entières sur ses livres, uniquement pour faire plaisir à Fliki.

M. Victor Guyon est resté le brave garçon que nous avons connu. Il a toujours le diable au corps, mais après les séances consacrées à l’étude.

Il partage ses loisirs entre ses trois amis, Boileau, André et le docteur, sans oublier le bon gendarme dont il est le favori.

Deux mots à propos de ce dernier. L’excellent homme a pris sa retraite. Riche des libéralités anglaises, il s’est fixé à Paris. Si le gouvernement de Sa très gracieuse Majesté Britannique s’est montré généreux à son égard, sa pairie n’a pas été ingrate.

Il est titulaire d’un bureau de tabac, fort bien achalandé, dans un des quartiers les plus fréquentés de Paris.

Il l’exploite lui-même, en compagnie de son épouse. Barbanton a convolé dès son arrivée. Il est superbe, quand, de temps à autre, il raconte à ses clients, les aventures bizarres qui ont agrémenté son existence cosmopolite.

Il cligne de l’œil, se redresse fièrement, tourne sur le fourneau de sa pipe d’écume son pouce incombustible, expectore deux ou trois hum ! hum ! hum ! sonores, et commence invariablement par la phrase suivante :

– Du temps que j’étais bon Dieu chez les sauvages, il m’est arrivé un drôle de tour…

« J’ai dressé, procès-verbal à des genses qui voulaient se manger… Eh bien, c’est moi que j’ai payé l’amende… »

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