Avant-dire (dépêche retardée)

Si déjà, au cours de ce livre, l’acte d’écrire, plus encore de publier toute espèce de livre est mis au rang des vanités, que penser de la complaisance de son auteur à vouloir, tant d’années après, l’améliorer un tant soit peu dans sa forme ! Il convient toutefois de faire la part, en bien ou mal venu dans celui-ci, de ce qui se réfère au clavier affectif et s’en remet tout à lui – c’est, bien entendu, l’essentiel – et de ce qui est relation au jour le jour, aussi impersonnelle que possible, de menus événements s’étant articulés les uns aux autres d’une manière déterminée (feuille de charmille de Lequier, à toi toujours !) Si la tentative de retoucher à distance l’expression d’un état émotionnel, faute de pouvoir au présent la revivre, se solde inévitablement par la dissonance et l’échec (on le vit assez avec Valéry, quand un dévorant souci de rigueur le porta à réviser ses « vers anciens »), il n’est peut-être pas interdit de vouloir obtenir un peu plus d’adéquation dans les termes et de fluidité par ailleurs.

Il peut tout spécialement en aller ainsi de Nadja, en raison d’un des deux principaux impératifs « anti-littéraires » auxquels cet ouvrage obéit : de même que l’abondante illustration photographique a pour objet d’éliminer toute description – celle-ci frappée d’inanité dans le Manifeste du surréalisme –, le ton adopté pour le récit se calque sur celui de l’observation médicale, entre toutes neuro-psychiatrique, qui tend à garder trace de tout ce qu’examen et interrogatoire peuvent livrer, sans s’embarrasser en le rapportant du moindre apprêt quant au style. On observera, chemin faisant, que cette résolution, qui veille à n’altérer en rien le document « pris sur le vif », non moins qu’à la personne de Nadja s’applique ici à de tierces personnes comme à moi-même. Le dénuement volontaire d’un tel écrit a sans doute contribué au renouvellement de son audience en reculant son point de fuite au-delà des limites ordinaires.

Subjectivité et objectivité se livrent, au cours d’une vie humaine, une série d’assauts, desquels le plus souvent assez vite la première sort très mal en point. Au bout de trente-cinq ans (c’est sérieux, la patine), les légers soins dont je me résous à entourer la seconde ne témoignent que de quelque égard au mieux-dire, dont elle est seule à faire cas, le plus grand bien de l’autre – qui continue à m’importer davantage – résidant dans la lettre d’amour criblée de fautes et dans les « livres érotiques sans orthographe ».

Noël 1962.

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