En parlant du sépulcre dans notre religion, le ton s’élève et la voix se fortifie : on sent que c’est là le vrai tombeau de l’homme. Le monument de l’idolâtre ne vous entretient que du passé ; celui du chrétien ne vous parle que de l’avenir. Le christianisme a toujours fait en tout le mieux possible ; jamais il n’a eu de ces demi-conceptions si fréquentes dans les autres cultes. Ainsi, par rapport aux sépulcres, négligeant les idées intermédiaires, qui tiennent aux accidents et aux lieux, il s’est distingué des autres religions par une coutume sublime ; il a placé la cendre des fidèles dans l’ombre des temples du Seigneur, et déposé les morts dans le sein du Dieu vivant.
Lycurgue n’avait pas craint d’établir les tombeaux au milieu de Lacédémone ; il avait pensé, comme notre religion, que la cendre des pères, loin d’abréger les jours des fils, prolonge en effet leur existence, en leur enseignant la modération et la vertu, qui conduisent à une heureuse vieillesse. Les raisons humaines qu’on a opposées à ces raisons divines sont bien loin d’être convaincantes. Meurt-on moins en France que dans le reste de l’Europe, où les cimetières sont encore dans les villes ?
Lorsque autrefois parmi nous on sépara les tombeaux des églises, le peuple, qui n’est pas si prudent que les beaux esprits. qui n’a pas les mêmes raisons de craindre le bout de la vie, le peuple s’opposa à l’abandon des antiques sépultures. Et qu’avaient en effet les modernes cimetières qui pût le disputer aux anciens ? Où étaient leurs lierres, leurs ifs, leurs gazons nourris depuis tant de siècles des biens de la tombe ? Pouvaient-ils montrer les os sacrés des aïeux, le temple, la maison du médecin spirituel, enfin cet appareil de religion qui promettait, qui assurait même une renaissance très prochaine ? Au lieu de ces cimetières fréquentés, on nous assigna dans quelque faubourg un enclos solitaire abandonné des vivants et des souvenirs, et où la mort, privée de tout signe d’espérance, semblait devoir être éternelle.
Qu’on nous en croie : c’est lorsqu’on vient à toucher à ces bases fondamentales de l’édifice que les royaumes trop remués s’écroulent. Encore si l’on s’était contenté de changer simplement le lieu des sépultures ! mais, non satisfait de cette première atteinte portée aux mœurs, on fouilla les cendres de nos pères, on enleva leurs restes, comme le manant enlève dans son tombereau les boues et les ordures de nos cités.
Il fut réservé à notre siècle de voir ce qu’on regardait comme le plus grand malheur chez les anciens, ce qui était le dernier supplice dont on punissait les scélérats, nous entendons la dispersion des cendres ; de voir, disons-nous, cette dispersion applaudie comme le chef-d’œuvre de la philosophie. Et où était donc le crime de nos aïeux, pour traiter ainsi leurs restes, sinon d’avoir mis au jour des fils tels que nous ! Mais écoutez la fin de tout ceci, et voyez l’énormité de la sagesse humaine : dans quelques villes de France, on bâtit des cachots sur l’emplacement des cimetières ; on éleva les prisons des hommes sur le champ où Dieu avait décrété la fin de tout esclavage ; on édifia des lieux de douleur pour remplacer les demeures où toutes les peines viennent finir ; enfin, il ne resta qu’une ressemblance, à la vérité effroyable, entre ces prisons et ces cimetières : c’est là que s’exercèrent les jugements iniques des hommes, là où Dieu avait prononcé les arrêts de son inviolable justice.