Sûrement, il y a dans notre ménage quelque chose qui ne va pas. Renaud n'en sait rien encore ; comment le saurait-il ?
Depuis six semaines nous sommes de retour. Fini, ce vagabondage de flemme et de fièvre qui, durant quinze mois, nous mena, trôleurs, de la rue de Bassano à Montigny, de Montigny à Bayreuth, de Bayreuth à un village badois, que je crus d'abord, à la grande joie de Renaud, s'appeler « Forellen-Fischerei » parce qu'une affiche énorme proclame, au-dessus de la rivière, qu'on y pêche des truites, et parce que je ne sais pas l'allemand.
L'hiver dernier, hostile et serrée au bras de Renaud, j'ai vu la Méditerranée qu'un vent froid rebrousse et qu'éclaire un soleil pointu. Trop d'ombrelles, trop de chapeaux et de figures m'ont gâté ce Midi truqué, et surtout la rencontre inévitable d'un ami, de dix amis de Renaud, de familles qu'il fournit de billets de faveur, de dames chez qui il dîna. Cet affreux homme se fait aimable à tous, surtout en frais pour ceux qu'il connaît le moins, car les autres, les vrais amis, explique-t-il avec une douceur impudente, ce n'est pas la peine de s'exterminer le tempérament pour leur plaire, on est sûr d'eux…
Ma simplicité inquiète n'a jamais pu comprendre ces hivers de la Côte d'Azur où les robes de dentelle frissonnent sous des collets de zibeline !
Et puis, l'abus que je fis de Renaud, l'abus qu'il fit de moi, força mes nerfs et me donna une âme mal résignée aux petits cailloux de la route. Et ballottée, entraînée, en un état, mi-pénible, mi-délicieux, d'ivresse physique et de quasi-vertige, j'ai fini par demander grâce, et repos, et le gîte définitif. M'y voici rentrée ! Que me faut-il donc ? Que me manque-t-il encore ?
Tâchons de mettre un peu d'ordre dans cette salade de souvenirs encore tout proches, déjà si lointains…