VIII

Papa s'en est donc allé comme il était venu. Je ne l'ai point conduit à la gare, peu curieuse des tempêtes du départ, que je devine : drapé dans une nuée d'orage, il invectivera, sans moi, la « tourbe immonde » des employés, les gavera, méprisant, de somptueux pourboires, et oubliera de payer son omnibus.

Mélie me regrette, sincèrement, mais la permission d'emmener Fanchette panse « à c't'heure » tous ses regrets. Pauvre Mélie, sa guéline lui demeure incompréhensible ! Comment, j'ai épousé l'ami que j'ai choisi ; comment, je couche avec lui tant que je veux – et même davantage – j'habite une jolie méson, j'ai un domestique mâle, une voiture au mois, et je ne suis pas plus faraude que ça ? Pour Mélie, la farauderie doit se porter à l'extérieur.

D'ailleurs… aurait-elle un brin raison ? En présence de Renaud, je ne songe à rien, – qu'à lui. Il est plus absorbant qu'une femme choyée. La vie intense qu'il porte en lui s'extériorise en sourires, en paroles, en fredonnements, en exigences amoureuses ; tendrement, il m'accuse de ne pas lui faire la cour, de pouvoir lire en sa présence, d'avoir trop fréquemment les yeux accrochés à un point dans l'espace… Hors de sa présence, je sens la gêne d'une situation anormale, illicite. L'« état de mariage » n'est-il point fait pour moi ? Je devrais pourtant m'y habituer. Après tout, Renaud n'a que ce qu'il mérite. Il n'avait qu'à ne pas m'épouser…

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