Chapitre VIII Malveillance

Le lundi, Mirabel était de retour à Monksmoor et la discorde reparaissait avec lui.

Alban avait passé la matinée à faire le croquis d’une échappée du parc, qu’il destinait à Émily. Son travail achevé, il vint au salon et y trouva Cécilia et Francine.

« Miss Brown n’est pas là ? » demanda-t-il.

Sa question s’adressait à Cécilia ; ce fut Francine qui répondit.

« Il ne faut pas déranger Émily, dit-elle.

– Pourquoi ?

– Elle est avec M. Mirabel, dans le jardin des roses. Je les ai vus causer ensemble ; ils m’ont paru fort animés et tout à fait absorbés par leur entretien. Ne troublons pas leur doux tête-à-tête. »

Cécilia reprit, en haussant les épaules :

« Ne faites pas attention, monsieur Morris, aux malices de cette jeune folle. Allons, si vous voulez, retrouver nos amis ; ils seront, j’en suis sûre, charmés de nous voir.

– Eh bien, risquez-en l’épreuve, dit Francine en se levant, et vous verrez si j’avais tort. »

Sur ce trait du Parthe, elle sortit d’un air de dédain.

« Francine dit parfois, à propos de rien, de véritables méchancetés, reprit paisiblement Cécilia. Croyez-vous qu’elle comprenne la portée de ses paroles, monsieur Morris ?

– Permettez-moi de ne pas vous dire ma pensée là-dessus, miss Cécilia. Je ne serais peut-être pas impartial pour miss de Sor ; elle m’est fort peu sympathique. »

Alban se respectait trop pour tenter l’épreuve malignement suggérée par Francine ; et cependant ses pensées, plus difficiles à réprimer, erraient dans la direction du parterre. Il n’était pas jaloux, mais il se sentait triste. Émily n’aurait-elle pas dû se souvenir que les femmes sont à la merci des apparences ? Si Mirabel avait réellement quelque chose d’important à lui confier, il lui eût été bien facile d’éviter les venimeux commentaires de Francine en mettant Cécilia en tiers dans leur causerie.

Il paraissait contrarié, il avait jeté son album avec dépit. Cécilia, fort embarrassée, cherchait ce qu’elle pourrait bien dire pour le distraire. La pensée lui vint de parler de miss Jethro et de cette lettre énigmatique d’Alban dont Émily et elle s’étaient si fort préoccupées.

« Monsieur Morris, fit-elle, Émily vous a-t-elle dit qu’elle m’avait montré votre première lettre ? »

Il tressaillit comme un homme brusquement réveillé.

« Je vous demande pardon ! de quelle lettre s’agit-il ?

– De celle où vous faisiez part à Émily de l’étrange démarche de miss Jethro. Émily était si intriguée, si surprise qu’elle me l’a fait lire et que nous avons fini par consulter mon père. Avez-vous reparlé de miss Jethro à Émily ?

– Oui, mais ce sujet m’a paru lui être pénible.

– Et vous n’avez découvert rien de nouveau ?

– Non, le mystère est plus impénétrable que jamais. »

Comme il parlait encore, il aperçut au fond de la serre Mirabel qui se dirigeait vers le salon. La vue de celui que miss Jethro avait désiré si vivement éloigner d’Émily lui suggéra une idée soudaine ; il éleva la voix de façon à être entendu de la serre.

« La seule chance qui reste d’obtenir là-dessus un éclaircissement serait de nous adresser à M. Mirabel.

– Je serai trop heureux, dit Mirabel en s’approchant, s’il m’est possible d’être utile à miss Wyvil et à M. Morris. »

Ce disant, Mirabel entrait dans le salon en adressant à Cécilia le plus irrésistible de ses sourires.

Surprise de le voir surgir ainsi à l’improviste, la jeune fille ne trouva pas un mot à lui répondre, ce qui servait à merveille les intentions d’Alban.

« Nous causions, dit-il tranquillement, d’une dame de votre connaissance.

– Vraiment ? Puis-je vous demander son nom ?

– Miss Jethro. »

Il n’échappa à Mirabel ni une exclamation ni un tressaillement ; mais son visage devint subitement livide, et sa pâleur révélait aux yeux les moins exercés, à ceux mêmes de Cécilia, un homme en proie à une folle épouvante.

« Asseyez-vous, monsieur, lui dit Alban ; vous paraissez souffrir. »

Mirabel repoussa la chaise d’un geste silencieux.

« Je crains, reprit Alban, d’avoir inconsciemment touché à un sujet pénible pour vous. Excusez-moi, je vous prie. »

Ces paroles tirèrent Mirabel de sa torpeur ; il fallait de toute nécessité qu’il s’expliquât. Il était bien trop fin pour songer à nier ce qui sautait aux yeux, c’est-à-dire la violente émotion que lui avait causée le nom de miss Jethro.

« Ce nom que vous avez prononcé, dit-il d’une voix lente, m’a ramené à une phase cruelle de ma vie ; je regrette l’impressionnabilité nerveuse que je vous ai laissé voir.

– Si j’avais su ! dit Alban, qui ne le quittait pas des yeux.

– Oh ! cher monsieur, je ne saurais vous en vouloir ! dit Mirabel de son air le plus aimable. Mais serait-il indiscret de ma part de vous demander comment vous avez connu miss Jethro ?

– Je l’ai vue d’abord à la pension de miss Ladd, répondit Alban. Elle y a été employée, quoique fort peu de temps, comme sous-maîtresse ; son départ a été très brusque et quelque peu mystérieux… »

Il s’interrompit ; mais Mirabel ne disant pas un mot, il dut poursuivre.

« Au bout de quelques mois, miss Jethro a reparu à Netherwoods, ou plutôt aux environs. Elle est venue alors me voir.

– Simplement pour renouer connaissance avec vous ? » demanda Mirabel avec une vivacité anxieuse.

Avait-il donc quelque raison de redouter les renseignements que miss Jethro avait pu donner sur son compte ?

Alban ne se croyait nullement tenu au secret ; de plus, il était décidé à user de tous les moyens pour connaître le mot de l’énigme. Il répéta donc en quelques phrases ce que sa lettre avait appris à Émily : miss Jethro avait manifesté la plus vive appréhension à la pensée d’une rencontre possible entre Mirabel et miss Émily.

Mirabel écouta Morris sans faire une seule observation.

« À présent, conclut Alban, pouvez-vous m’expliquer ce que signifie tout ce mystère ?

– En vérité, monsieur Morris, je n’en sais absolument rien.

– Ah ! en vérité ? » fit Alban.

Il semblait prendre son parti de ne rien savoir. Mais la curiosité des femmes ne se résigne pas si facilement.

Cécilia avait, de plus, une autre raison pour intervenir : l’intérêt qu’elle portait à Émily.

« Ainsi, dit-elle au clergyman, vous ne pouvez nous expliquer pourquoi miss Jethro voulait à toute force prévenir un rapprochement entre vous et Émily Brown ?

– Je suis aussi ignorant de ses raisons que vous pouvez l’être vous-même, miss Wyvil. »

À son tour, Alban revint à la charge.

« En me quittant, dit-il, miss Jethro a manifesté l’intention où elle serait de vous engager à décliner l’invitation de M. Wyvil. Est-ce qu’elle l’a fait ?

– Elle l’a fait, dit Mirabel. Mais, ajouta-t-il, le nom de miss Brown n’a point été prononcé. En me priant de remettre ma visite, elle me le demandait comme un service personnel, pour des raisons qui ne concernaient qu’elle. Seulement, reprit-il en s’inclinant devant Cécilia, j’avais moi-même des raisons pour ne pas retarder l’honneur d’être présenté à M. Wyvil et à sa fille, et, comme vous savez, j’ai passé outre. »

Disait-il la vérité ? Rien n’était moins certain ; mais on ne pouvait non plus affirmer le contraire.

« Maintenant, reprit Mirabel avec quelque hésitation, voulez-vous me permettre de vous faire une question à mon tour ? Est-ce que miss Émily est informée de cette étrange affaire ?

– Certainement, répondit Morris.

– Ah ! fort bien, » dit Mirabel.

Et, tout à coup, se frappant le front :

« Ah ! fit-il, j’avais oublié la commission dont miss Brown m’avait chargé près de vous. Elle désirait savoir si votre croquis était terminé. Je vais aller lui dire que vous êtes de retour. »

Il s’inclina et sortit précipitamment.

Le premier mouvement d’Alban fut de le suivre, mais il vint se rasseoir à côté de Cécilia. « Non, pensait-il, je ne dois pas paraître douter de la loyauté d’Émily. »

Mirabel était déjà au jardin des roses. Émily continuait d’arranger une guirlande de fleurs que Cécilia devait porter le soir même dans ses cheveux. Seulement, tout à l’heure elle était seule ; à présent Francine était auprès d’elle.

« Pardonnez-moi de vous avoir fait faire des pas inutiles, dit Émily à Mirabel. Miss de Sor vient de m’apprendre que M. Morris a terminé son croquis et qu’il est en ce moment au salon. Pourquoi ne l’avez-vous pas ramené ?

– Il causait avec miss Wyvil. »

Mirabel répondait distraitement, les yeux fixés sur Francine. Il lui avait d’abord jeté un de ces regards qui disent clairement aux importuns : « Qu’êtes-vous venu faire ici ? » Mais Francine ne bougeait pas.

« Vous ne faites pas un tour de jardin, miss de Sor ? » demanda-t-il.

La question était impertinente ; Francine resta impassible.

« Non, je reste auprès d’Émily, » dit-elle.

Mirabel ne pouvait que se soumettre. Mais son inquiétude était telle qu’il se résigna à dire en présence de Francine ce qui n’était destiné qu’aux seules oreilles d’Émily.

Il reprit hardiment :

« Au moment où j’ai rejoint miss Wyvil et M. Morris, savez-vous, miss Émily, de qui ils parlaient ?

– De qui ?

– De miss Jethro. »

Émily eut un tressaillement et laissa tomber les fleurs sur ses genoux.

Mirabel poursuivit :

« Oui, M. Morris m’a conté l’étrange intervention de cette personne, mais je me demande s’il m’a bien tout dit. Peut-être s’est-il montré plus confiant avec vous. Ne vous a-t-il répété aucune parole de miss Jethro de nature à m’aliéner votre estime ?

– Non, vraiment, monsieur. Je ne crois pourtant pas que M. Morris m’ait rien caché… Mais, ajouta-t-elle en se levant, voici ma coiffure fleurie achevée, et je vais le lui demander à lui-même.

– Oh ! merci ! » dit Mirabel.

Et il lui baisa la main avec effusion.

Émily s’éloigna rapidement dans la direction du château.

Dès qu’elle fut hors de vue, Francine se rapprocha de Mirabel, toute frémissante de rage comprimée.

« Je suis là, vous savez, monsieur Mirabel, » dit-elle.

Mirabel ne daigna pas lui répondre.

« Je voulais vous dire qu’il ne faut pas m’en vouloir si je vous ai vu baiser la main d’Émily. »

Mirabel restait debout, les yeux fixés sur cinq ou six roses qu’Émily avait laissées sur sa chaise avec un air aussi profondément absorbé que s’il eût été seul.

« Est-ce que je ne vaux pas même la peine qu’on s’aperçoive que j’existe ? » demanda Francine.

Elle le prit par le bras et éclata d’un rire aigre.

« Dites-moi, mon cher monsieur, êtes-vous donc si certain qu’Émily soit éprise de vous ? »

Mirabel, encore sous l’impression de la bonne grâce d’Émily, n’était guère disposé à subir les insolences de Francine.

« Me faire aimer d’Émily, dit-il, serait le plus cher de mes vœux.

– À merveille ! reprit-elle, et voilà que toutes les chances se déclarent pour vous ; M. Morris part demain et va vous laisser le champ libre. »

Il reprit imperturbablement :

« Sa présence est-elle pour moi un si terrible obstacle ? Émily ménage l’excellent jeune homme et ne voudrait pour rien au monde le blesser ; mais elle ne l’aime pas. Son cœur est entièrement libre. Elle peut disposer d’elle-même… Qu’avez-vous donc, miss de Sor ? » dit-il en s’interrompant.

Les traits, ordinairement assez durs, de Francine, avaient pris une telle expression de menace qu’il en fut épouvanté.

« Prenez garde, monsieur ! murmura-t-elle entre ses dents.

– Francine, qu’avez-vous ? que voulez-vous dire ?

– Je veux dire, non pas : Prenez garde à vous ! mais seulement : Prenez garde à elle ! »

Il fut véritablement effrayé, effrayé de l’accent, du sourire, du regard, qui commentaient ces sombres paroles. Il était allé trop loin. Il était évident qu’il avait exposé Émily à des représailles qui, de la part de cette fille farouche, iraient peut-être aussi loin qu’on pouvait le craindre.

« Eh bien, vous vous taisez ? reprit-elle.

– En vérité, dit-il changeant de ton, je me demande s’il est possible que vous ayez pu prendre au sérieux, et presque au tragique, une simple plaisanterie ?

– Comment ? ce que vous me disiez d’Émily ?…

– Avez-vous pu admettre, une seule minute, que j’aurais la fatuité d’affirmer avec cet aplomb l’amour éperdu d’Émily pour ma personne ? Quand vous m’avez demandé si je croyais à cet amour, j’ai pensé que vous vous moquiez de moi et je vous ai répondu sur le même ton en l’exagérant encore.

– Est-ce bien vrai, cela ? dit Francine en se radoucissant. – Elle ne demandait qu’à être trompée. – Pourquoi lui avez-vous baisé la main, alors ?

– Permettez-moi, Francine, de baiser la vôtre, et sachez que baiser la main d’une femme ne tire pas à conséquence ; c’est une simple forme de remerciement et de politesse.

– Ainsi vous n’aimez pas Émily ?

– Pas plus qu’elle ne m’aime ; je pense.

– Non, elle ne vous aime pas, mais elle ne vous en fait pas moins des avances, et si vous lui demandiez d’être votre femme, j’imagine qu’elle ne refuserait pas.

– Je me garderai bien de lui adresser une telle requête.

– Pourquoi ? Elle est assez jolie, et les hommes sont attirés et charmés par les façons engageantes de filles avides de plaire qui se laissent si volontiers adorer.

– Pourquoi je ne ferais pas d’elle ma femme ? Par cette raison que je suis pauvre et qu’elle est pauvre, qu’il serait insensé à moi de marier nos deux misères.

– Est-ce donc elle qui vous a avoué sa pauvreté ? Oui, peut-être, en vous peignant la vie triste et solitaire qu’elle mène dans sa pauvre petite maison.

– Elle ne m’a rien dit d’elle-même. Ce que je sais, je l’ai appris par M. Wyvil.

– Ah ! vous étiez bien informé !… Et qu’est-ce que M. Wyvil vous a dit ?

– Qu’elle avait perdu sa mère tout enfant, et que son père était mort subitement d’une maladie de cœur, il y a quelques années.

– Oh ! c’est là ce qu’il sait, M. Wyvil ! Il est joliment informé !… Mais qui vient là ? »

Celui qui venait là, c’était un simple garçon jardinier.

« Que voulez-vous ? lui demanda Mirabel.

– Monsieur, c’est une commission pour vous.

– De qui ?

– De miss Brown. Elle rentre au château avec miss Cécilia et M. Morris, et elle vous prie de venir la rejoindre au petit salon. »

L’enfant salua gauchement et se retira.

« Ah ! c’est par trop d’effronterie ! s’écria Francine. Ne peut-elle vous laisser tranquille ?

– Quelle mouche vous pique ? Elle veut me faire part de ce que lui a dit M. Alban. »

Il se leva, point fâché de se dérober à l’irritable Francine. Mais elle ne lâchait pas ainsi sa proie.

« Après ce que vous m’avez dit, vous n’allez pas obéir au premier signe de cette péronnelle, je suppose ?

– Eh mais ! la simple courtoisie…

– Non ! vous n’irez pas, vous dis-je !

– Et que va-t-elle penser ?

– Soyez tranquille. J’y vais, moi, et je lui porterai vos excuses. Moi aussi, j’ai à lui parler. »

Et, laissant sur le banc Mirabel interdit, Francine s’éloigna à grands pas dans la direction du château.

Retournons avant elle près d’Émily.

« Ah ! la voici enfin ! s’écria Cécilia en la voyant entrer. Qu’est-ce qui a donc pu vous retenir si longtemps dans le jardin des roses ?

– Il faut, reprit en riant Morris, que M. Mirabel ait été plus palpitant que jamais ! À deux reprises, il vous a accaparée !

– Et il est probable que je vais le rappeler tout à l’heure pour la troisième fois, ajouta gaiement Émily.

– Et ne peut-on savoir, demanda Cécilia, quel est le sujet de ces intéressantes causeries ?

– Rien de plus simple, repartit Émily. Il a commencé par m’entretenir d’une parente qu’il affectionne vivement, sa sœur. »

Cécilia parut quelque peu surprise. « Il a une sœur ! Pourquoi ne nous en parle-t-il jamais, à nous ?

– C’est qu’il ne pense à elle qu’avec tristesse. Sa sœur endure une vie de souffrances ; depuis des années la maladie la retient prisonnière dans sa chambre. M. Mirabel lui écrit constamment. Ses lettres de Monksmoor semblent l’avoir intéressée, la pauvre âme. Il lui a parlé de moi, et elle lui a répondu en m’engageant de la façon la plus aimable à l’aller voir un de ces jours.

– Et dites-moi, cette sœur de M. Mirabel est-elle plus jeune ou plus âgée que lui ?

– Plus âgée.

– Est-elle mariée ?

– Elle est veuve.

– Est-ce qu’elle vit chez son frère ? demanda Alban.

– Non, elle habite une maison qu’elle possède dans le Northumberland.

– Serait-elle voisine de sir Jervis Redwood ?

– Je ne crois pas. Sa propriété est située près des côtes.

– A-t-elle des enfants ? fit Cécilia.

– Non, elle est seule. »

Émily reprit :

« Maintenant, je passe à ce que m’a dit M. Mirabel quand il est venu me retrouver en vous quittant. Il était inquiet. M. Morris lui avait parlé de miss Jethro, et il craint qu’elle n’ait porté contre lui quelque accusation qu’on n’ait pas voulu lui répéter. Est-ce que cela est, monsieur Alban ?

– Pas le moins du monde, dit Alban. Je n’ai rien dissimulé à M. Mirabel.

– C’est bien ce que je pensais ; mais je lui ai promis de venir m’en assurer. Et, avec votre permission, Cécilia, je vais l’envoyer chercher par ce garçon qui passe là dans l’allée. »

Elle appela le jeune jardinier et le dépêcha à Mirabel.

Alban et Cécilia se disposaient à monter dans leurs chambres pour changer de toilette. Émily retint encore Alban.

« Un mot encore, monsieur Alban, dit-elle. Et, – à moi, – est-ce que vous n’avez rien caché de ce que vous a dit miss Jethro ?

– Non vraiment, dit Alban, qui ne put s’empêcher de rougir.

– Ah !… il est fâcheux alors que vous l’ayez laissé partir sans vous donner plus d’explications. Je veux absolument tâcher d’en obtenir par moi-même.

– Comment ferez-vous ? demanda Alban troublé.

– Je peux m’adresser directement à miss Jethro.

– Vous ne savez seulement pas où elle demeure.

– Je le saurai. Je ne peux pas supporter l’idée d’être abusée. M. Mirabel me donnera peut-être cette adresse de miss Jethro. »

En ce moment, Francine avait ouvert la porte du petit salon. Elle avait entendu les derniers mots d’Émily.

« Encore miss Jethro ! s’écria-t-elle. Qu’est-ce donc, bon Dieu ! que cette miss Jethro dont tout le monde parle ici ?

– Vous voilà, Francine, dit Émily ; eh bien, et M. Mirabel ? Il ne vient pas ?

– Ne vous impatientez pas, il va venir. Mais auparavant j’ai quelques mots à vous dire. »

Alban et Cécilia, assez satisfaits de se soustraire aux interrogations trop pressantes d’Émily, laissèrent les deux jeunes filles.

« Vous avez quelque chose à me dire, Francine ? demanda Émily.

– Oui, je voulais d’abord vous engager à vous montrer un peu moins coquette et moins légère, ma chère amie.

– Plaît-il ? fit Émily avec hauteur.

– Vous auriez pourtant, continua Francine, des sujets de réflexions moins frivoles et plus graves. Je vous entendais dire à l’instant que vous ne pouviez supporter la pensée qu’on vous abusât. Eh bien, sans vous en douter, vous êtes, depuis des années, la victime d’un cruel mensonge, sous le masque de la compassion.

– Que voulez-vous dire ? S’agit-il de miss Jethro ? Vous ne la connaissez pas, vous demandiez tout à l’heure qui elle était.

– Je ne parle pas de miss Jethro, je ne sais rien d’elle et me soucie peu d’en savoir quelque chose.

– De qui parlez-vous alors ?

– De votre père. »

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