LES MÊMES, BENJAMIN
Il entre rapidement. Ses vêtements sont couverts de charbon et déchirés en plusieurs endroits. Son désordre ne doit rien avoir de comique. Il a au front, au-dessus de la tempe, une blessure saignante. Holmes qui commençait à ôter sa robe de chambre, en rattache la cordelière.
BENJAMIN, très maître de lui, les pieds sur ta même ligne, les mains au corps, attitude militaire. – Rien de nouveau depuis votre départ, monsieur… sauf ce matin, un peu après neuf heures…
HOLMES, l'arrêtant. – Une minute ! Se tournant vers Thérèse et lui montrant la porte à droite. Mademoiselle, voulez-vous me faire le plaisir d'entrer dans cette chambre, et de vous y reposer un instant.
THÉRÈSE, que le récit de Benjamin semble intéresser. – Mais je ne suis pas fatiguée…
HOLMES. – Alors, promenez-vous de long en large. Je viendrai vous chercher quand j'aurai besoin de vous.
THÉRÈSE. – Ah ! bien, monsieur.
Elle sort. Holmes ferme la porte derrière elle, puis il se tourne vers Watson, et pendant tout le reste de la scène, il demeure l'oreille au guet, épiant tous les bruits qui peuvent venir du dehors.
HOLMES. – Donnez donc un coup d'œil à cette blessure, Watson.
BENJAMIN. – Ce n'est rien, monsieur.
HOLMES. – Regardez tout de même, cher ami !
WATSON, examinant la blessure de Benjamin. – Un mauvais coup… mais heureusement peu dangereux.
HOLMES. – Bon ! … Alors ? Pendant que Benjamin parle, Holmes jette de temps en temps un coup d'œil sur la porte par laquelle Thérèse est sortie, mais sans que ce jeu de scène détourne son attention du récit du maître d'hôtel.
BENJAMIN. – Orlebar et sa femme sont sortis… Je les ai vus prendre une voiture presque devant la porte… Elle, est revenue deux heures après toute seule. Quelques instants plus tard, un vieux bonhomme avec l'accent étranger a sonné et l'a demandée… Elle l'a reçu et s'est enfermée avec lui dans la bibliothèque où ils se sont mis à mijoter quelque chose ensemble… Je les ai observés par la fente que j'avais pratiquée à la porte… Ils étaient occupés à confectionner un paquet en tous points semblable à la liasse de lettres qui est entre les mains de miss Brent. Il faut vous attendre, de ce côté, à quelque piège, monsieur ! … Merci, monsieur le docteur.
HOLMES. – Piège dans lequel nous essaierons de prendre ceux qui veulent nous le tendre, mon brave Forman… Et Orlebar, à quel moment est-il rentré ?
BENJAMIN. – Dans l'après-midi, vers trois heures.
HOLMES. – Semblait-il irrité contre vous ?
BENJAMIN. – Il faisait ce qu'il pouvait pour ne pas en avoir l'air, mais, au fond, je suis sûr qu'il l'était.
HOLMES, après une seconde de réflexion. – Il a dû avoir une consultation au dehors, avec quelque conseiller… Et sa femme, quel sentiment vous témoignait-elle ?
BENJAMIN. – Maintenant que j'y songe, je me rappelle qu'en entrant elle m'a lancé un mauvais regard.
HOLMES. – C'est qu'elle était présente à la consultation… On a dû les engager à se débarrasser de vous. Orlebar vous a envoyé à la cave sous un prétexte quelconque ! Et vous avez été attaqué dans l’obscurité par deux hommes, peut-être trois… Vous avez reçu sur la tête un coup d'un de ces boudins remplis de sable qui sont l'arme favorite des malfaiteurs d'aujourd'hui… Vous avez eu la chance de trouver à votre portée pour vous défendre un de ces morceaux de bois qui servent à mettre les tonneaux de bière sur chantiers… Mouvement d'étonnement de Benjamin. Oui, vous avez encore une écharde coin de votre ongle… Et vous êtes parvenu à vous échapper dans obscurité, en vous faufilant à travers les tas de charbon…
BENJAMIN, avec admiration. – C'est exactement ce qui s'est passé, monsieur.
WATSON. – Quel homme !
HOLMES, réfléchissant. – Sûrement, ils se sont adjoints un associé… Un homme dangereux à ce que je vois… Non seulement c'est lui qui a ourdi contre vous ce petit complot, mais la confection de ce second paquet dont vous me parlez est certainement due à son inspiration… Il est probable que d'ici peu de temps je recevrai une proposition d'Orlebar pour me vendre les fameuses lettres, pas les vraies bien entendu… Il prétendra que miss Brent a changé d'avis et se décide à les négocier. Un rendez-vous me sera offert pour en causer, dans lequel il s'efforcera de me faire payer le plus cher possible son petit travail de faussaire… Après quoi…