LES MÊMES, BILLY
Billy entre encourant, sa livrée est complètement en lambeaux, le devant de sa veste n'existe pour ainsi dire plus. Geste de colère de Moriarty à sa vue.
BILLY. – Excusez-moi, monsieur, mais tandis que je courais chez le pharmacien, un ivrogne qui marchait en sens inverse m'a heurté et je suis tombé par terre…
HOLMES. – Et vous avez mis si longtemps à vous relever ?
BILLY. – C'est qu'au même moment une automobile descendait la rue à toute vitesse… Le conducteur n'a pas eu le temps d'arrêter…
HOLMES. – Et ? …
BILLY, souriant. – Et la voiture m'a passé sur le corps… Mais quand on est agile, il faut que ça serve… Je me suis allongé vivement dans le sens de l'automobile et je m'en suis tiré comme monsieur voit… Par exemple, ma livrée a été plus endommagée que moi.
HOLMES. – Je suis heureux, Billy, que vous ayez pu échapper à ce danger… Et je suis certain que monsieur qui semblait s'intéresser à votre aventure partage le plaisir que j'éprouve…
BILLY, à Moriarty. – Merci bien, monsieur.
HOLMES. – Justement, Billy ! Monsieur désirerait que vous lui rendiez le service de prendre quelque chose dans la poche droite de son vêtement… Holmes a désigné Moriarty en étendant sa main droite qui est toujours armée de son revolver. Mouvement de Moriarty encore une fois calmé à la vue de l'arme. Il n'est pas tout à fait dans son assiette aujourd'hui et le moindre mouvement le fatigue… Ayez donc la complaisance de faire celui-là pour lui… Dans la poche… droite.
Billy obéissant à Holmes va à Moriarty et tire de la poche de celui-ci un revolver.
BILLY. – Est-ce cela, monsieur ?
HOLMES. – Parfaitement !… Veuillez poser cette arme sur la table… Pas là, Billy… un tout petit peu plus près de moi.
BILLY, après avoir mis le revolver sur la table à portée de Holmes. – Faut-il voir s'il y en a un autre ?
HOLMES. – Inutile de vous donner cette peine ! Les tentatives réitérées de monsieur pour tirer cette arme de sa poche me font croire qu'il ne doit avoir que celle-là sur lui.
BILLY. – C'est tout ce que monsieur désire ?
HOLMES. – Maintenant que vous avez votre… carnet, professeur, je ne pense pas que les services de mon groom vous soient nécessaires plus longtemps ? Non ?… Vous pouvez vous retirer, Billy.
Pendant que Billy sort, Holmes joue négligemment avec le revolver de Moriarty.
MORIARTY, les dents serrées. – Parlons peu et parlons bien ! … Le 4 janvier dernier, vous avez commencé à vous occuper de moi… Le 23, vous m'avez gêné, et aujourd'hui, à la fin d'avril, vous semblez décidément vouloir vous attaquer à ma liberté…
HOLMES. – À quelle conclusion en arrivez-vous ?
MORIARTY. – À celle que je vais vous notifier… Si vous ne vous décidez pas à me laisser tranquille, monsieur Holmes, à partir de la minute présente, je ne donnerai plus ça de votre vie. Jeu de scène en faisant claquer son ongle sur ses dents.
HOLMES. – Eh bien, mon cher monsieur Moriarty, je vais entrer dans vos vues. Mouvement de Moriarty. Je suis décidé à ne plus m'occuper de vous à compter de demain soir dix heures…
MORIARTY. – Pourquoi ce délai ?
HOLMES. – Parce qu'à cette heure-là, cher monsieur, vous signerez vous-même votre écrou à la prison de Newgate… Et que moi non plus, je ne donnerai pas ça de votre vie… Même jeu de scène que plus haut.
MORIARTY. – J'avais raison tout à l'heure de dire que vous ne me connaissez pas… Il y a vingt-quatre heures d'ici à demain, c'est-à-dire vingt-quatre fois plus de temps qu'il n'en faut pour déblayer ma route de tout ce qui la gêne… J'avais provoqué cet entretien pour vous offrir une chance de salut, en renonçant à une lutte qu'aucune police du monde n'est de taille à soutenir… Votre intelligence m'intéressait, car je sais apprécier le talent et j'hésite à le supprimer quand je peux faire autrement… Vous ne l'avez pas compris ! Tant pis pour vous !
HOLMES. – Quand j'étais tout petit, monsieur Moriarty, ma nourrice m'a appris à ne pas trembler devant les fantômes et les loups-garous…
MORIARTY. – Votre nourrice était une femme de bon sens, monsieur Holmes… Mais elle aurait dû vous dire qu'il y a des loups-garous qui mordent et des fantômes qui tuent…
Tous les deux se bravent du regard.
HOLMES. – Je suis désolé, professeur, mais le plaisir de votre conversation me fait oublier des affaires importantes auxquelles je dois mes soins…
Il se tourne du côté de la cheminée et semble chercher une allumette. Moriarty se lève doucement, prend son chapeau les yeux fixés sur Holmes. À la vue du revolver qui est resté sur la table, il fait lentement un pas de côté et dépose son chapeau à côté du pistolet pour rajuster son foulard. Holmes enflamme une allumette et allume nonchalamment sa pipe. Moriarty en reprenant son chapeau dirige doucement la main vers son revolver qu'il parvient à saisir.
MORIARTY. – Je vous ai averti du danger que vous courriez… Mes conseils ne vous ont pas persuadé… Ceci vous convaincra peut-être…
Rapidement, il lève son arme vers Holmes, et appuie sur la gâchette pour faire feu. Holmes s'est retourné tranquillement sur lui, continuant à allumer sa pipe, de telle sorte, que l'arme est dirigée en plein sur son visage. On entend le claquement du chien répété trois ou quatre fois de suite, sans que le revolver parte.
HOLMES. – Excusez-moi… Il jette son allumette et prend dans la poche de sa robe de chambre plusieurs cartouches qu'il jette dans le chapeau que tient Moriarty. Je ne supposais pas que vous auriez encore besoin de votre revolver… J'avais retiré les cartouches et je les avais mises dans ma poche. Mais vous les trouverez là au complet.
MORIARTY, maîtrisant son dépit et avec dédain. – C'est de l'escamotage, cela, monsieur Holmes !
HOLMES, souriant. – Dans notre métier, il faut bien faire un peu de tout.
Il va à la cheminée et sonne.
Mouvement de rage de Moriarty.
BILLY, entrant. – Monsieur a sonné ?
HOLMES. – Reconduisez monsieur, Billy, avec tous les égards qui lui sont dus.
BILLY. – Par ici, monsieur.
MORIARTY, il regarde Holmes avec rage et lui tendant le poing. – Nous nous reverrons, Sherlock Holmes !
HOLMES. – J'en serai toujours enchanté, professeur Moriarty !
Il continue à allumer sa pipe et lance presque au visage de Moriarty une longue bouffée de fumée. Celui-ci avec un geste de fureur se dirige vers la porte que lui indique Billy.
RIDEAU