Avertissement

Les Mémoires [2]  sur la vie de M. Turgot, qui ont paru en 1783, auraient dû sans doute m’empêcher d’écrire. Mais quelque bien faits que soient ces Mémoires, et malgré la connaissance approfondie des principes de l’économie politique et des opérations exécutées ou projetés par M. Turgot, qui rend cet ouvrage aussi intéressant qu’instructif, j’ai espéré qu’on me pardonnerait d’avoir envisagé le même objet sous un point de vue différent, et d’avoir cherché à faire connaître dans M. Turgot le philosophe plutôt que l’homme d’Etat. Si j’avais songé aux intérêts de mon amour-propre, j’aurais gardé le silence : je sentais combien il y avait de danger à paraître après un ouvrage qui avait obtenu un succès si général et si mérité ; et je ne pouvais me dissimuler la supériorité que l’auteur avait sur moi. Mais je n’aurais pu me pardonner de n’avoir pas rendu ce faible hommage à la mémoire d’un grand homme que j’ai tendrement chéri, dont l’amitié m’a été si douce et si utile, et dont le souvenir sera toujours pour moi un de ces sentiments délicieux et tristes qui deviennent une partie de notre existence, et ont le pouvoir de nous la rendre plus chère. C’est à ce sentiment que j’ai cédé ; et j’ose espérer qu’en me donnant quelques droits à l’indulgence de ceux qui pourront jeter les yeux sur cet ouvrage, il obtiendra grâce pour ses défauts.

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