II

En observant la baisse persistante du baromètre, le capitaine Mac Whirr pensa donc : « Il doit faire quelque part un sale temps peu ordinaire. » Oui, c’est exactement ce qu’il pensa. Il avait l’expérience des sales temps moyens – le terme sale appliqué au temps n’impliquant qu’un malaise modéré pour le marin.

Une autorité incontestable lui eût-elle annoncé que la fin du monde sera due à un trouble catastrophique de l’atmosphère, il aurait assimilé cette information à la simple idée de « sale temps » et pas à une autre, parce qu’il n’avait aucune expérience des cataclysmes, et que la foi n’implique pas nécessairement la compréhension.

La sagesse de son pays avait décrété, au moyen d’un acte de Parlement, qu’avant d’être jugé digne d’assumer la charge d’un navire on devait avoir été reconnu capable de répondre à quelques simples questions au sujet des orages circulaires tels qu’ouragans, cyclones et typhons ; il faut croire que Mac Whirr avait répondu passablement puisqu’il commandait maintenant le Nan-Shan dans les mers de Chine pendant la saison des typhons. Mais il y avait longtemps de cela et Mac Whirr ne se rappelait plus rien de tout cela aujourd’hui.

Il était cependant conscient du malaise que lui causait cette chaleur moite. Il sortit sur la passerelle mais n’y trouva aucun soulagement à sa gêne. L’air semblait épais. Mac Whirr haletait comme un poisson hors de l’eau, et finit par se croire sérieusement indisposé. La surface circulaire de la mer avait le lustre ondoyant d’une étoffe de soie grise au travers de laquelle le Nan-Shan traçait un sillon fugitif. Le soleil, pâle et sans rayons, répandait une chaleur de plomb dans une lumière bizarrement diffuse. Les Chinois s’étaient couchés tout de leur long sur le pont. Leurs visages jaunes, pincés et anémiques, ressemblaient à des figures de bilieux. Deux d’entre eux furent spécialement remarqués par le capitaine Mac Whirr ; étendus sur le dos en dessous de la passerelle, ils semblaient morts dès qu’ils avaient les yeux fermés. Trois autres, par contre, se querellaient âprement, là-bas, à l’avant ; un grand individu, à demi nu, aux épaules herculéennes, était indolemment penché sur un treuil tandis qu’un autre, assis par terre, les genoux relevés et la tête penchée de côté dans une attitude de petite fille, tressait sa natte ; les mouvements de ses doigts étaient lents et toute sa personne respirait une extraordinaire langueur. La fumée luttait péniblement pour sortir de la cheminée, et, au lieu de flotter au loin, elle s’étendait comme un nuage d’enfer qui empestait le soufre et faisait pleuvoir de la suie sur les ponts.

« Que diable faites-vous là, monsieur Jukes ? » demanda le capitaine Mac Whirr.

Bien que marmottée plutôt que prononcée, cette apostrophe insolite fit sursauter M. Jukes comme un coup de stylet sous la cinquième côte. Une glène de filin à ses pieds, un morceau de toile sur les genoux, il poussait vigoureusement son carrelet, installé sur un tabouret bas qu’il s’était fait monter sur la passerelle. Il leva les yeux et la surprise donna à son regard une expression de candeur et d’innocence.

« Je ralingue quelques sacs de ce nouveau lot dont nous nous sommes servis pour le charbonnage, riposta-t-il sans aigreur. Nous en aurons besoin la prochaine fois que nous ferons du charbon, capitaine.

– Que sont donc devenus les anciens sacs ?

– Mais ils sont usés, capitaine. »

Le capitaine Mac Whirr considéra son second d’un air d’abord irrésolu, puis finit par déclarer sa cynique et sombre conviction que plus de la moitié de ces sacs avait dû passer par-dessus bord. « Si l’on pouvait seulement savoir la vérité ! » disait-il. Puis il se retira à l’autre extrémité de la passerelle.

Jukes, exaspéré par cette sortie immotivée, cassa son aiguille au second point, laissa tomber son travail et se leva, en grommelant des imprécations contre cette maudite chaleur.

L’hélice peinait ; les trois Chinois, à l’avant, avaient tout à coup cessé de se chamailler, et celui qui d’abord tressait sa natte, à présent laissait son regard morne glisser par-dessus ses genoux qu’il étreignait.

Le soleil blafard jetait des ombres faibles et comme maladives. La houle s’accentuait, se précipitait incessamment et le navire piquait de lourdes embardées dans les creux profonds et mous de la mer. Jukes chancela :

« Je voudrais savoir d’où vient cette fichue houle, dit-il tout haut en retrouvant son équilibre.

– Nord-est, grogna le positif Mac Whirr, du bord de la passerelle où il se trouvait, il doit faire là-bas quelque sale temps peu ordinaire. Allez regarder le baromètre. »

Quand Jukes sortit de la chambre de veille, l’expression de son visage était soucieuse. Il se cramponna aux rambardes de la passerelle et regarda le large fixement.

Dans la chambre des machines la température s’était élevée à 117°F. Des voix irritées montaient à travers la claire-voie et le caillebotis de la chaufferie ; des clameurs rudes et aigres, mêlées à des raclements et à des grincements métalliques courroucés, comme si des hommes aux membres de fer et aux gorges de bronze se fussent querellés dans les soutes.

Le second mécanicien venait d’entrer en conflit avec les chauffeurs qui avaient laissé tomber la pression. Cet homme aux bras de forgeron était généralement redouté ; mais, cet après-midi, les chauffeurs ripostaient avec audace et claquaient les portes du foyer avec toute la furie du désespoir. Le bruit cessa tout à coup et le second mécanicien apparut, surgissant de la chaufferie ; il était barbouillé de noir, pareil à un ramoneur et trempé comme s’il venait de sortir d’un puits. Sa tête n’eut pas plus tôt émergé du capot qu’il se mit à tempêter contre Jukes, à qui il reprochait de n’avoir pas fait orienter convenablement les manches à air de la chaufferie. Pour toute réponse Jukes fit, de la main, un geste de protestation conciliante et résignée. « Pas de vent ; qu’est-ce que j’y puis ? Regardez vous-même. »

Mais l’autre ne voulait pas entendre raison. Ses dents luisaient hargneusement dans sa figure noircie. Il saurait bien se charger de cogner, là en bas. Mais que le diable l’emporte ! ces matelots d’enfer s’imaginaient-ils qu’on pouvait garder la pression dans ces damnées chambres de chauffe simplement en cognant des gueules ? Non, par saint Georges. On avait tout de même besoin de recevoir aussi un peu d’air. Qu’il soit à tout jamais pris pour un maudit matelot de pont, s’il mentait. Jusqu’au chef qui se démenait devant le manomètre et faisait un raffut de tous les diables dans la chambre des machines, depuis midi. Et Jukes, lui, piqué à son poste sur le pont, à quoi servait-il s’il n’était pas seulement capable d’envoyer un de ces bouffis de propres à rien de matelots de pont pour orienter les manches à air ?

Les relations entre la « chambre des machines » et le « pont » du Nan-Shan étaient, comme on le sait, quasi fraternelles ; aussi Jukes, se penchant sur la rambarde, pria-t-il l’autre, d’un ton contenu, de ne pas faire l’imbécile : le patron était de l’autre côté de la passerelle. Mais le second tout mutiné déclara qu’il se fichait complètement de qui était de l’autre côté de la passerelle. Jukes, perdant alors brusquement son calme altier, invita le second, en termes brutaux et emportés, à monter arranger ces sales appareils à sa guise et à s’envoyer lui-même tout le vent qu’un âne de sa sorte pourrait trouver. Le second se jeta sur le ventilateur de bâbord comme on se précipite au combat ; on eût dit qu’il voulait l’arracher, l’envoyer tout entier par-dessus bord ; mais tous ces efforts ne parvinrent qu’à faire pivoter la bonnette de quelques degrés ; après quoi, tout exténué par l’énorme dépense de forces, il s’appuya au dos de la timonerie et regarda Jukes venir à lui :

« Seigneur ! » fit-il d’une voix faible. Il leva les yeux vers le ciel puis abaissa son regard vitreux sur l’horizon basculé qui, soulevé jusqu’à former un angle de quarante degrés, se maintint là-haut quelque temps, au sommet d’un grand plan incliné tout lisse, puis se remit en place mollement.

« Ouf ! Seigneur ! Qu’est-ce qui se passe donc là-haut ? »

Jukes, qui, pour l’équilibre, écartait en compas sa paire de longues jambes, prit un air de supériorité.

« Cette fois-ci, nous n’y couperons pas, dit-il. Le baromètre dégringole comme je ne sais quoi, Harry. Et vous qui essayez de faire une bête de scène. »

Le mot de « baromètre » sembla raviver la folle animosité du second mécanicien. Rassemblant de nouveau toute son énergie, il pria Jukes, d’une voix sourde et hargneuse, de se renfoncer ce sale instrument dans la gorge. Qu’est-ce qui s’en souciait de son baromètre de malheur ? C’était la vapeur ; la pression de la vapeur qui baissait. Entre les chauffeurs qui se défilaient et un chef qui devenait gâteux, ce n’était plus une vie possible. Tout pouvait bien sauter, après tout ; il s’en fichait comme du juron d’un étameur.

On eût cru qu’il allait pleurer, mais ayant repris son souffle il continua, dans un obscur grognement : « Je vais les faire se barrer, moi. » Et il s’éloigna précipitamment. Un instant encore il s’arrêta sur le sommet de l’échelle et tendit le poing vers le ciel d’où tombait une extraordinaire ombre, puis, avec une imprécation, il s’engouffra dans le trou noir.

Quand Jukes se retourna, ses yeux tombèrent sur le dos voûté et les larges oreilles cramoisies du capitaine qui avait traversé la passerelle.

« C’est un homme très violent, ce second mécanicien, dit Mac Whirr sans regarder Jukes.

– Un fameux second, en tout cas, grommela Jukes. Ils ne peuvent pas maintenir la pression », ajouta-t-il rapidement, se précipitant pour agripper la rambarde en vue du prochain coup de roulis.

Le capitaine Mac Whirr, qui n’y était pas préparé, piqua un petit trot, puis, d’une saccade, se remit d’aplomb près d’un support de tente.

« Un homme grossier, reprit-il. Si cela continue, je serai obligé de m’en débarrasser à la première occasion.

– C’est la chaleur, dit Jukes. Le temps est terrible ; à faire jurer un saint. Même ici, en haut, on se sent la tête comme enveloppée dans une couverture de laine. » Le capitaine Mac Whirr leva les yeux.

« Voulez-vous dire que vous n’avez jamais eu la tête enveloppée dans une couverture de laine, monsieur Jukes ? Pourquoi donc était-ce ?

– C’est une façon de parler, capitaine, dit Jukes platement.

– Comme vous y allez, vous autres ! Et qu’est-ce que c’est aussi que ces saints qui jurent ? Je voudrais bien que vous ne parliez pas si étourdiment. Quel genre de saint cela pourrait-il être, qui jurerait ? Pas plus un saint que vous, j’imagine. Et qu’est-ce qu’une couverture de laine vient faire au milieu de tout ça ? Ou bien le temps… Ce n’est pas la chaleur qui me fait jurer, hein ? C’est la mauvaise humeur et rien d’autre. À quoi cela sert-il que vous parliez comme ça ? »

Ainsi protestait le capitaine Mac Whirr contre l’emploi des figures dans le discours ; il acheva d’électriser Jukes par un grognement méprisant suivi de paroles de violence et de ressentiment.

« Dieu me damne ! je le chasserai du navire s’il ne prend pas garde. »

Et Jukes, incorrigible, pensa : « Bonté divine ! on m’a changé mon vieux. C’est de la colère, s’il vous plaît ; la faute en est au temps, parbleu ! et à quoi d’autre ? Un ange deviendrait grincheux – pour ne plus parler du saint. »

Tous les Chinois sur le pont semblaient prêts à pousser le dernier soupir.

En se couchant, le soleil au diamètre rétréci n’avait plus qu’un restant d’éclat roussâtre et sans rayonnement, comme si des millions de siècles écoulés depuis le matin eussent épuisé sa réserve de vie. Un épais bandeau de nuages apparut du côté du nord ; sa teinte olivâtre était sinistre ; cela gisait tout au ras de la mer ; le navire en continuant de s’avancer allait sûrement buter contre. Le Nan-Shan avançait pesamment comme une bête épuisée qu’on pousse à la mort. Les lueurs cuivrées du crépuscule s’éteignirent lentement, et l’obscurité fit éclore au zénith un essaim de larges étoiles tremblotantes, vacillantes comme si on leur eût soufflé dessus et qui semblaient toutes proches.

À 8 heures, Jukes entra dans la chambre de veille pour mettre au pair le journal de bord. Il copia proprement, d’après les indications du brouillon, le nombre de milles, la route du navire et dans la colonne du « vent » fit courir le mot « calme » du haut en bas de la page, depuis midi jusqu’à 8 heures.

Il était exaspéré par le roulis monotone et obstiné du navire. Le pesant encrier fuyait, éludait la plume ; on eût dit qu’une perverse humeur l’animait. Dans le grand espace au-dessous de la rubrique « remarques », Jukes écrivit : « Chaleur suffocante », puis ayant mis entre ses dents l’extrémité du porte-plume, à la manière d’une pipe, il s’épongea la face soigneusement.

« Forte houle de travers. Le navire fatigue », écrivit-il encore. « Fatigue n’est pas tout à fait le mot qui convient », se dit-il à lui-même. Puis de nouveau, sur le journal du bord : « Couchant menaçant avec une basse bande de nuages au N.-E… Ciel clair au-dessus de nous. »

Il leva la plume et, les coudes étalés sur la table, jeta un coup d’œil au-dehors. Dans ce cadre que formaient les montants en bois de teck de la porte ouverte, il vit un peloton d’étoiles hésiter, prendre élan, puis s’essorer vers le haut du ciel noir ; et il ne resta plus à leur place qu’une obscurité martelée de lueurs blanches ; la mer était noire autant que le ciel, et au loin pommelée d’écume. Puis, le coup de roulis qui avait enlevé les étoiles les ramena avec l’oscillation en retour, précipitant leur troupeau vers la mer ; et chacune d’elles élargie, on eût dit un petit disque luisant d’un éclat moite et clair.

Jukes observa pendant un instant les larges étoiles fuyantes, puis il écrivit : « 8 heures du soir. La houle augmente. Le navire peine et embarque. Enfermé les coolies pour la nuit. Le baromètre descend toujours. »

Il s’arrêta et pensa : « Peut-être, après tout, cela ne donnera-t-il rien. » Puis, à la suite de ses observations il conclut résolument : « Toutes les apparences de l’approche du typhon ».

En sortant, il dut s’effacer pour laisser passer le capitaine Mac Whirr ; celui-ci franchit le seuil de la porte sans dire un mot, ni faire un signe.

« Fermez la porte, monsieur Jukes, voulez-vous ? » cria-t-il de l’intérieur. Jukes se retourna pour la pousser, murmurant ironiquement : « Peur de prendre froid, je suppose. »

C’était son tour de quart en bas ; il aspirait à communiquer avec ses semblables ; aussi dit-il allégrement, en passant, au premier lieutenant :

« Après tout, cela n’a pas l’air si mauvais que ça, hein ? »

Le premier lieutenant arpentait la passerelle, tantôt dégringolant à petits pas, tantôt gravissant péniblement la pente instable du pont. Au son de la voix de Jukes il s’arrêta net, le regard fixé à l’avant mais ne répondit pas.

« Holà ! En voilà une sérieuse ! » dit Jukes qui, pour bien accueillir la lame, prit du ballant jusqu’à toucher le plancher d’une main. Cette fois le premier lieutenant émit du fond de la gorge un bruit de nature peu cordiale.

C’était un petit homme vieillot et minable, aux dents gâtées, à la face glabre. On l’avait embarqué en hâte à Chang-Haï le jour même de l’accident qui avait privé le Nan-Shan du premier lieutenant amené d’Angleterre et retardé de trois heures le départ du navire. Ce malheureux avait trouvé le moyen (d’une façon que le capitaine ne put jamais s’expliquer) de tomber dans un chaland à charbon vide rangé le long du bord, de sorte qu’on avait dû l’envoyer à l’hôpital avec un ou deux membres brisés et une lésion cérébrale.

Jukes ne fut pas découragé par le grognement hargneux du nouveau premier.

« Les Chinois doivent s’en payer là en bas, dit-il ; c’est heureux pour eux que le rafiot ait le roulis le plus doux de tous les navires sur lesquels j’aie jamais navigué. Attention ! Celle-là n’est déjà pas si mauvaise !

– Attendez seulement », répondit hargneusement le lieutenant.

Avec son nez coupant, rouge à l’extrémité, avec ses lèvres minces et pincées, il avait toujours l’air de rager intérieurement et sa façon de parler, à force de concision, frisait l’insolence. Quand il n’était pas de service il passait tout son temps dans sa chambre, la porte close ; il se tenait là si tranquille qu’on eût pu croire qu’il s’y endormait aussitôt entré. Mais l’homme chargé de le réveiller pour le quart le trouvait invariablement les yeux grands ouverts, étendu tout de son long sur sa couchette, la tête enfouie dans un oreiller sale, d’où il braquait ses regards irrités. Il n’écrivait jamais de lettres, ne paraissait attendre de nouvelles de nulle part ; une fois on l’avait entendu parler de Hartlepool, mais avec une extrême amertume et uniquement à propos des prix exorbitants d’une pension de famille où il avait vécu quelque temps.

C’était un de ces hommes comme on en ramasse dans tous les ports du monde à l’heure du besoin, qui ne manquent pas de compétence, mais sont désespérément à court d’argent ; leur aspect ne témoigne d’aucun vice sans doute, mais bien de la faillite irrémédiable de leur vie. Ils viennent à bord un jour d’urgence ; ils n’ont d’attache avec aucun navire, et tous leur sont également indifférents ; ils n’ont que des rapports occasionnels avec leurs camarades, qui ne connaissent rien de leur vie ; puis brusquement, ils décident de vous lâcher, et cela toujours au moment le plus inopportun. Ils s’esquivent sans un mot d’adieu, dans quelque port abandonné du Ciel, où d’autres redouteraient d’échouer ; ils n’emportent avec eux qu’une misérable petite malle ficelée comme une cassette, et fuient avec l’air de secouer vers le navire qu’ils quittent la poussière de leurs souliers.

« Attendez seulement un peu, » reprit-il. Jukes ne voyait de lui qu’un dos buté, que balançait l’énorme lame.

« Alors vous pensez que ça va chauffer ? demanda Jukes avec un intérêt enfantin.

– Si je pense que… Pense rien ! Vous ne m’y prendrez pas ! riposta vivement le petit lieutenant avec un mélange de fierté, de mépris et d’astuce, comme s’il venait d’éventer un piège dans la bénévole question de Jukes. Non ! non ! aucun de vous ici ne se paiera ma tête… À d’autres ! » marmotta-t-il.

Jukes classa tout aussitôt le lieutenant dans la catégorie des sales vilains bougres et se prit à déplorer derechef l’effondrement du pauvre James Allen dans le chaland à charbon.

La noirceur lointaine du ciel, à l’avant du navire, semblait une seconde nuit vue à travers la nuit étoilée de la terre, une nuit sans étoiles, gouffre d’obscurité par-delà l’univers créé, et dont la déconcertante tranquillité apparaîtrait dans une échancrure de l’étincelante sphère dont notre terre forme le noyau.

« Quoi que ce soit qu’il se prépare, dit Jukes, nous y filons tout droit.

– C’est vous qui l’avez dit, releva le lieutenant tournant toujours le dos à Jukes. C’est vous qui l’avez dit, remarquez-le bien ; ce n’est pas moi.

– Oh ! allez au diable », dit Jukes sans ambages ; l’autre fit entendre un petit gloussement de triomphe :

« C’est vous qui l’avez dit ! répéta-t-il.

– Et puis après ?

– J’ai connu des hommes vraiment remarquables qui ont eu à s’expliquer avec leurs patrons pour en avoir dit fichtrement moins, reprit le premier lieutenant fiévreusement. Oh ! non, vous ne m’y prendrez pas !

– Vous semblez diablement préoccupé de ne pas vous couper, dit Jukes qu’aigrissait une telle bêtise. Je n’ai pas peur de dire ce que je pense, moi.

– Oui, oui ; de me le dire à moi. Je ne compte pas, je le sais de reste. »

Le navire, après un temps de stabilité relative, se lança dans une série de balancements renforcés, et Jukes fut d’abord trop occupé à maintenir son équilibre pour ouvrir la bouche.

Mais sitôt que ce violent roulis se fut un peu calmé, il reprit :

« C’est un petit peu trop d’une bonne chose. Quoi qu’il en soit, je trouve qu’on devrait mettre debout à la lame. Le vieux vient de rentrer se coucher. Qu’on me pende si je ne vais pas lui en parler. »

Il ouvrit la porte de la chambre de veille. Non ! le capitaine Mac Whirr n’était pas couché ; il se tenait debout agrippé d’une main au rebord de la tablette ; de l’autre main il maintenait ouvert un gros volume dans lequel son regard plongeait. La lampe du plafond ballottait dans son cardan ; les livres desserrés se culbutaient sur la planchette ; le long baromètre décrivait des cercles saccadés ; la table à chaque instant modifiait sa pente. Au milieu de ce chahut, le capitaine Mac Whirr, toujours ferme, leva les yeux de dessus le livre et demanda :

« Qu’est-ce qu’on me veut ?

– Capitaine, la houle augmente.

– Ça se remarque ici, grommela Mac Whirr ; rien de fâcheux ? »

Jukes, déconcerté par la gravité du regard qui le fixait par-dessus le livre, fit une grimace embarrassée.

« On roule comme de vieilles bottes, dit-il d’un air penaud.

– Oui ! gros temps – très gros temps. Que voulez-vous ? »

À cette demande Jukes perdit pied et commença à patauger.

« C’est rapport à nos passagers, dit-il à la manière d’un homme qui s’accroche à un fétu de paille.

– Passagers ? s’exclama Mac Whirr. Quels passagers ?

– Mais les Chinois, capitaine, expliqua Jukes à qui cette conversation tournait sur le cœur.

– Les Chinois ! Pourquoi ne parlez-vous pas clairement ? Je n’arrive pas à comprendre ce que vous voulez dire. Jusqu’à ce jour, je n’avais pas entendu appeler « passagers » une bande de coolies. Passagers, vraiment ? Mais qu’est-ce qui vous prend ?

Mac Whirr, refermant le livre sur son index, abaissa le bras et parut intrigué.

« Qu’est-ce qui vous fait penser aux Chinois, monsieur Jukes ? »

Jukes fit un plongeon comme un homme acculé :

« Le navire embarque de leur côté à chaque coup de roulis, capitaine. Leur pont est tout plein d’eau. Je pensais que vous pourriez peut-être faire mettre debout à la lame – pendant quelque temps. Jusqu’à ce que cela se calme un peu. Ce qui ne va pas tarder, il faut croire. Mettez le cap à l’est. Je n’ai jamais vu un bateau rouler comme ça. »

Il se tenait debout dans la porte. Le capitaine, renonçant à l’insuffisant point d’appui que lui offrait la planchette, lâcha celle-ci brusquement et alla s’abattre sur sa couchette de tout son poids.

« Le cap à l’est ? dit-il en faisant effort pour se mettre sur son séant. Mais c’est nous dérouter de plus de quatre quarts ?

– Oui, capitaine, cinquante degrés ; juste assez pour contourner cela. »

Le capitaine Mac Whirr s’était maintenant assis. Il n’avait pas lâché le livre, ni même perdu la page.

« À l’est ? répéta-t-il avec une stupeur grandissante. À… ah çà ! où est-ce que vous croyez donc que nous allions ? Vous voudriez que je déroute de plus de quatre quarts un navire en pleine puissance pour donner plus d’aise aux Chinois ! Non ! j’ai souvent entendu parler de choses folles faites ici-bas, mais ceci… Si je ne vous connaissais pas, monsieur Jukes, je penserais que vous avez bu. Dévier de quatre quarts… et puis ensuite ? Quatre quarts de l’autre côté, je suppose, pour rattraper la route. Qu’est-ce qui a pu vous mettre dans la tête que j’allais faire courir des bordées à un vapeur tout comme si c’était un voilier ?

– Une fameuse chance que ça n’en soit pas un, riposta Jukes avec amertume. Il y a beau temps qu’on aurait vu voler le gréement par-dessus bord.

– Oui-da ! et vous, vous n’auriez eu qu’à rester les bras croisés à le regarder s’en aller, dit le capitaine avec une certaine animation. Calme plat, hein ?

– Oui, capitaine. Mais il s’amène quelque chose qui sort de l’ordinaire, pour sûr.

– Peut-être bien. Et je suppose que vous avez idée que je devrais m’écarter du trajet de cette saloperie ? » Le capitaine Mac Whirr parlait avec la plus grande simplicité d’attitude et de ton, en fixant le linoléum du plancher d’un air grave. Aussi ne vit-il pas se peindre sur la face de Jukes un mélange de dépit et d’étonnement respectueux.

« Eh bien ! voilà ce livre, n’est-ce pas ? continua-t-il délibérément en faisant claquer sur sa cuisse le volume fermé. Je viens justement d’y lire le chapitre sur les tempêtes. »

C’était vrai. Il venait de lire le chapitre sur les tempêtes. Ce n’était pourtant pas dans cette intention qu’il était entré dans la chambre de veille. Mais quelque influence dans l’air – la même influence sans doute qui avait poussé le steward à monter les bottes et le ciré du capitaine dans la chambre sans en avoir reçu l’ordre – avait pour ainsi dire guidé sa main vers la planchette ; et, sans avoir pris le temps de s’asseoir, avec un conscient effort, il s’était plongé dans la terminologie savante. Il se perdait parmi les « demi-cercles maniables » et les « demi-cercles dangereux », les quarts de cercles droits et gauches, les courbes des orbites, la trajectoire du centre et le gisement probable de celui-ci, les sautes de vent et les hauteurs du baromètre. Il essayait d’amener toutes ces choses en relation directe avec lui ; mais la colère l’avait enfin envahi contre une telle avalanche de mots, contre tant de conseils, un travail si purement cérébral et des suppositions sans une lueur de certitude.

« C’est la chose du monde la plus endiablante, Jukes, dit-il. Si un malheureux s’avisait de croire tout ce qu’il y a là-dedans, il passerait le plus clair de son temps à essayer de contourner le vent. »

Il frappa de nouveau le livre contre sa jambe ; Jukes ouvrit la bouche, mais ne dit rien.

« Courir pour contourner le vent ! Vous saisissez cela, monsieur Jukes ? On ne peut rien imaginer de plus fou ! (Le capitaine s’interrompait par instants pour contempler attentivement le parquet.) On pourrait croire que c’est une vieille femme qui a écrit tout ça. Cela me dépasse. Si cette chose-là prétend être utile à quoi que ce soit, je devrais, suivant elle, changer immédiatement ma route pour filer quelque part au diable et me précipiter sur Fou-Tchéou par le nord à la queue de la tempête qu’il doit faire quelque part sur notre route. Par le nord ! Vous saisissez, monsieur Jukes ? Trois cents milles en sus de parcours, et une jolie note de charbon à montrer. Je ne pourrais me décider à faire cela, quand même chaque mot là-dedans serait parole d’Évangile, monsieur Jukes. Ne comptez pas que je… » Et Jukes, silencieux, s’émerveillait de ce déploiement de sentiments et de cette subite loquacité.

« Mais la vérité est que vous ne savez pas si cet individu a raison ou non. Comment peut-on savoir de quoi est faite une tempête avant de l’avoir sur le dos ? Il n’est pas à bord, n’est-ce pas ? Très bien. Il dit ici que le gisement du centre de ce fourbi est à huit quarts du lit du vent ; mais nous n’avons pas de vent du tout, malgré la chute du baromètre. Alors où donc est le centre ?

– Nous allons avoir du vent tout à l’heure, grommela Jukes.

– Eh bien ! qu’il vienne, dit Mac Whirr avec dignité et indignation. Ce que j’en dis, c’est seulement pour vous montrer, monsieur Jukes, qu’on ne trouve pas tout dans les livres. Toutes ces règles pour esquiver la brise et contourner les vents du ciel me semblent la pire folie, pour peu qu’on les considère avec bon sens. »

Il leva les yeux, rencontra le regard dubitatif de Jukes et essaya d’illustrer sa pensée.

« À peu près aussi comique que votre invention extraordinaire de mettre le navire debout à la lame pendant je ne sais combien de temps, pour donner plus d’aise aux Chinois ; quant tout ce que nous avons à faire, c’est de les déposer à Fou-Tchéou, vendredi avant midi, dernier délai. Si le temps me retarde – très bien. Votre journal de bord est là pour dire la vérité au sujet du temps. Mais supposez que je me détourne de ma route et que ceux de là-bas me demandent : « Où avez-vous été pendant tout ce temps-là, capitaine ? » Qu’est-ce que je pourrai répondre ? – « J’ai changé de route pour éviter le mauvais temps. – Il devait être fichtrement mauvais », diraient-ils. – « Ça, je ne peux pas le savoir, devrais-je répondre, puisque je l’ai évité. » Vous voyez ça, Jukes. Oh ! j’y ai bien réfléchi, allez ! tout l’après-midi. »

Il leva de nouveau son regard obtus et terne. Jamais on ne l’avait entendu dire tant de paroles en une seule fois. Jukes, dans l’embrasure de la porte, restait les bras ouverts et pareil à un homme qu’on eût invité à assister à un miracle. Un étonnement sans bornes se lisait dans ses yeux, tandis que son attitude exprimait le doute.

« Un grain est un grain, monsieur Jukes, reprit le capitaine, et un navire en pleine puissance n’a qu’à y faire face. Le sale temps court ainsi de par le monde et la seule chose à faire est de l’affronter sans s’inquiéter de ce que le vieux capitaine Wilson de la Mélita appelle la « stratégie des tempêtes ». L’autre jour, à terre, je l’ai entendu haranguer sur ce sujet devant une bande de capitaines qui étaient venus s’asseoir à la table voisine de la mienne. Cela m’a semblé la plus grande des balivernes. Il leur racontait comment il avait déjoué – c’est, je crois, le mot dont il s’est servi – un terrible coup de vent, si bien qu’il s’en tint toujours distant de plus de cinquante milles. Il appelait ça un chef-d’œuvre de fine manœuvre. Comment sut-il qu’il y avait un terrible coup de vent à cinquante milles de lui, cela me renverse. J’avais l’impression d’écouter un insensé. J’aurais pensé pourtant que le capitaine Wilson était assez vieux pour s’y connaître. »

Le capitaine Mac Whirr s’arrêta un moment, puis dit :

« C’est votre quart en bas, monsieur Jukes ? »

Jukes reprit ses esprits en tressaillant :

« Oui, capitaine.

– Donnez ordre qu’on m’avertisse au moindre changement. » (Il se souleva pour remettre le livre sur la planche et arrangea ses jambes sur la couchette.) « Fermez la porte de façon qu’elle ne se rouvre pas, voulez-vous ? je ne peux pas supporter une porte qui bat. Ils ont mis un tas de serrures de camelote sur ce bateau, il faut bien le dire. »

Le capitaine Mac Whirr ferma les yeux.

Il les ferma pour se reposer. Il était fatigué et expérimentait cet état de vide mental qui survient à la suite d’une discussion poussée à fond, et dans laquelle on aurait sorti quelque conviction mûrie au cours de longues années de méditations. En réalité, il venait de faire, à son insu, sa profession de foi, ce qui eut pour effet de laisser Jukes perplexe et se grattant la tête de l’autre côté de la porte pendant un temps assez long.

Le capitaine Mac Whirr ouvrit les yeux. Il pensa qu’il avait dû dormir. Qu’est-ce que c’était à présent que tout ce vacarme ? Le vent ? Pourquoi ne l’avait-on pas appelé ? La lampe s’agitait dans son cardan ; le baromètre décrivait des cercles ; la table modifiait sa pente à chaque instant ; une paire de bottes molles, aux tiges affaissées, glissa par-delà la couchette. Il allongea le bras prestement et s’empara de l’une d’elles.

La figure de Jukes apparut dans l’entrebâillement de la porte ; sa figure seule, très rouge, les yeux effarés. La flamme de la lampe eut un sursaut ; un morceau de papier s’envola ; le coup de vent enveloppa le capitaine Mac Whirr. Tout en chaussant la botte, il leva un regard interrogateur sur les traits congestionnés de Jukes.

« C’est venu comme ça, cria Jukes, il n’y a pas cinq minutes… brusquement… »

La tête disparut, la porte claqua et l’on entendit aussitôt s’abattre contre elle une pesante gifle liquide puis un crépitement d’averse, comme si l’on eût précipité contre la chambre des cartes un plein seau de grenaille. Un sifflement s’élevait maintenant parmi les bruits vibrants du dehors. L’hermétique chambre de veille semblait aussi balayée par l’air qu’un hangar. Mac Whirr saisit au collet l’autre botte au cours d’une de ses glissades d’un bout à l’autre du parquet. Le capitaine avait bien toute sa tête, mais tout de même il ne parvint pas du premier coup à trouver l’ouverture de la botte pour y enfiler le pied. Les souliers qu’il venait de quitter gambadaient d’un bout à l’autre de la cabine, se culbutant et cabriolant comme deux caniches. Aussitôt debout Mac Whirr, rageusement, lança vers eux un coup de pied, mais sans résultat.

Alors il se fendit, à la manière d’un escrimeur, afin d’atteindre son ciré, puis s’y introduisit par saccades, trébuchant dans l’exiguïté de la cabine. Très grave, les jambes largement écartées, le cou tendu, il entreprit d’attacher les cordons du suroît sous son menton, avec de gros doigts un peu tremblants. Il accomplissait tous les mouvements d’une femme devant une glace quand elle essaie sa coiffe, avec une attention soucieuse et restait aux écoutes, comme s’il se fût attendu d’un moment à l’autre à entendre crier son nom à travers la clameur confuse qui soudain avait envahi son navire. Cette clameur redoubla de violence tandis qu’il s’apprêtait à sortir pour faire face à quoi que ce fût. Il en avait l’oreille emplie, et cela était fait de la ruée du vent, du fracas de la mer et de cette vibration de l’air, profonde et prolongée, qui semblait le lointain roulement d’un tambour immense battant la charge de la tempête.

Il se tint un moment sous la lumière de la lampe, épais, gauche, informe dans son harnachement de combat, vigilant et congestionné.

« Ça devient sérieux », murmura-t-il.

Aussitôt qu’il essaya d’ouvrir la porte, le vent s’empara de celle-ci. Mac Whirr, qui se cramponnait à la poignée, fut projeté par-delà le seuil, entraîné dans une sorte de conflit au sujet de la fermeture de cette porte à quoi le vent positivement s’opposait. Au dernier moment une langue d’air fonça vers la lampe, lécha la flamme et l’éteignit.

À l’avant du navire on distinguait, au pied de la ténèbre épaisse, palpiter d’innombrables éclairs ; au-dessus du bossoir tribord, un petit nombre d’étoiles étranges défaillaient au-dessus de l’immense chaos, ternes, vacillantes, comme si passaient devant elles de sauvages tourbillons de fumée.

Sur la passerelle, un groupe d’hommes indistincts s’affairaient et s’efforçaient péniblement dans le peu de clarté qui tombait des fenêtres de la timonerie et luisait confusément sur leurs crânes et leurs épaules. Mais l’obscurité bloqua une des vitres ; puis une autre. Et les voix de ces hommes qu’il ne pouvait plus voir arrivaient à lui toutes déchirées par la tourmente, en lambeaux de vociférations désespérées, qu’accrochait l’oreille au passage. Soudain, Jukes surgit à son côté, hurlant, la tête dans les épaules :

« Quart – assujettir – volets de timonerie – crainte – vitres défoncées. »

Puis la voix de Mac Whirr, gourmandant :

« Arrivé – avais prévenu – n’importe quoi – m’appeler. »

Jukes hasarda une explication, à demi bâillonné par le tumulte :

« Brise légère – demeuré – passerelle – tout à coup – nord-est – tournerait – pensais – sûrement – entendiez. »

Ils avaient gagné l’abri du cagnard et pouvaient enfin converser en haussant la voix comme font ceux qui se querellent.

« J’ai envoyé l’équipage couvrir les manches à air. Heureux que je sois resté sur le pont ! Je ne pensais pas que vous vous seriez endormi et alors… Qu’avez-vous dit, capitaine, quoi ?

– Rien, cria le capitaine Mac Whirr. J’ai dit : Bon. Bien !

– Bonté divine ! Nous n’y coupons pas, cette fois, hurla Jukes.

– Vous n’avez pas changé la route ? demanda Mac Whirr à tue-tête.

– Non, capitaine. Parbleu non. Le vent donne en plein de l’avant ; et voilà la mer debout qui s’amène. »

Un plongeon du navire s’acheva sur un choc, comme si son brion eût rencontré un corps solide. Un moment de calme, puis une haute volée d’embruns s’abattit avec le vent en cinglant leurs visages.

– Gardez ce cap aussi longtemps que possible, cria le capitaine Mac Whirr.

Avant que Jukes eût nettoyé ses yeux pleins d’eau salée, toutes les étoiles avaient disparu.

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