Depuis une vingtaine d’années, de sérieux efforts se sont exercés en faveur de l’éducation sexuelle. Un véritable apostolat s’est efforcé d’arracher le manteau de honte qui cachait les maladies vénériennes et les rendait d’autant plus graves qu’elles étaient inavouables. D’excellents petits livres, écrits même par des mamans, ont montré comment initier les jeunes filles aux choses de la maternité. Besogne d’autant plus utile que l’éducation bourgeoise, prenant l’ignorance pour l’innocence, avait creusé un fossé profond entre la vie de la jeune fille et la vie de la femme. Qu’une main malhabile le lui fît franchir, elle risquait d’en rester blessée à jamais.
Mais ces généreuses tentatives se heurtaient à de trop lourds préjugés pour provoquer un de ces courants qui emportent la foule. Elles n’ont même pas créé une mode, donné le ton. Et la moitié de l’humanité, par la contagion ou l’hérédité, est touchée par la syphilis. Et la moitié des mariages est faussée dès l’origine par une « effraction » imprévue. C’est à chacun de nous qu’il appartient de reprendre l’œuvre des apôtres de la franchise, d’apporter la lumière à notre foyer, de faire lever doucement cette aube…
Car c’est bien le point capital : il faut agir par progrès insensibles, comme croissent les êtres, comme se lève l’aurore. On procèdera lentement et on procèdera aussi naturellement. C’est-à-dire qu’on lancera peu à peu des idées ou des mots que les convenances réprouvent, mais qu’approuve la raison, en paraissant trouver cela naturel, en les sortant le jour où pour la première fois l’occasion opportune s’en présente dans l’entretien.
C’est le mystère jeté sur toutes les choses de la génération qui leur a donné un goût de perversité. Dit-on à un enfant qui n’achève pas sa phrase : « Voyons, accouche » ? Le mot lui paraît scabreux, honteux même. Le mot lui eût semblé naturel comme la chose elle-même, s’il n’avait pas été défendu, si ses parents l’avaient placé dans la conversation, paisiblement, sainement, comme les mots naître ou mourir.
C’est pour cet enseignement surtout qu’il ne faut pas monter en chaire. Il n’est pas de pire méthode, pour un père ou pour une mère, que d’initier leur enfant un jour avec solennité. Tout au contraire, c’est l’œuvre lente par excellence.
On ne répètera jamais assez, à propos d’éducation sexuelle, ces trois mots : lenteur, opportunité, naturel.
Il est bien entendu qu’elle ne peut être entreprise sainement que dans la vie de famille, par le contact fréquent des parents et des enfants. Pendant des siècles, peut-être, tant que l’esprit général ne sera pas redressé, tout ce qu’un enfant apprendra sur ce sujet par ses camarades aura un goût de fruit défendu, un relent de vice. Les plus belles notions seront confondues avec l’obscénité et la pornographie.
Il va de soi que la vie à la campagne — fût-ce pendant quelques mois de l’année — favorise singulièrement cette éducation. L’exemple des plantes et des animaux familiarise les enfants avec tous les mystères de la reproduction. Quand ils ont disséqué les organes de la génération de la fleur, qui ressemblent si étroitement à ceux de la génération humaine, quand ils ont vu mener la vache au taureau, naître les petits lapins, le veau et le poulain, la procréation n’a plus pour eux de mystère ; elle leur paraît simple et sainte et ils en parlent avec autant de naturelle candeur que des autres rites de la vie.
Il est presque impossible de donner un conseil d’ensemble sur la conduite à tenir au moment de l’éveil des sens chez un garçon. Car c’est bien là que s’applique le précepte : « Il n’y a pas de règles générales. Il n’y a que des cas particuliers ». Tantôt cet éveil est tardif et tantôt précoce. Chez les uns cet éveil sonne en fanfare. Chez les autres il demeure un demi-sommeil. On ne peut que mettre en garde et en armes les tempéraments impérieux — dont on s’exagère peut-être le nombre et les exigences — contre les deux grands risques de la maladie et de l’enfant, leurs suites irréparables. Pour tous ceux que ne dominent pas leurs sens, le mariage jeune, très jeune, apparaît de beaucoup la meilleure solution.
Persuadons-nous qu’on peut arriver à tout dire aux enfants. Cela dépend de la manière de dire et aussi des mœurs admises. La preuve ? Les opéras que les pures jeunes filles de la bourgeoisie vont entendre, racontent souvent d’affreuses histoires. Après un mariage clandestin contre le consentement des parents, un jeune homme de vingt ans s’introduit la nuit chez une jeune fille de quinze ans par une échelle de soie. C’est Roméo et Juliette. Une jeune fille a un enfant, d’un séducteur qui l’a tentée avec des bijoux. Elle tue son enfant. C’est Faust.
Que de femmes ne surveillent pas leur corps, par cette répugnance, cette honte qu’on a mises autour de lui. Il y en a qui cachent des maladies de leur sexe, par fausse pudeur, et jusqu’à en mourir. Il y en a bien plus encore qui négligent — et la frivolité de l’éducation se conjure ici avec le mépris du corps — le soin d’hygiène élémentaire et capital d’avoir le « corps libre ». Elles se soucient plus de leur robe que de la garde-robe.
Il faut agir en matière de lecture comme en matière d’éducation sexuelle. C’est-à-dire éviter de donner l’impression, l’attrait malsain du défendu. Puis allonger progressivement, insensiblement les rênes. Suivre la taille, qui elle aussi grandit sans qu’on la voie grandir. Et toujours garder un ton naturel, sain. Il faut arriver à ce que l’adolescent demande librement :
— Est-ce que je peux lire ça ?
Afin de pouvoir lui répondre avec simplicité :
— Oui.
Ou :
— Plus tard. Ça ne t’intéresserait pas encore.
Au surplus, la curiosité varie énormément d’un enfant à l’autre. Je suis d’avis de leur laisser beaucoup de liberté, de leur permettre un maximum. Qu’importe ? Ce qu’ils ne comprennent pas ne les intéresse pas.
Et quant aux livres vraiment mauvais, d’une perversité voulue, le mieux est de les mettre totalement hors de vue. Je ne sais pas de pire méthode que de coudre des pages. Voilà qui éveille l’idée et la tentation du fruit défendu !