Scène première

Pymante , masqué.

Destins, qui réglez tout au gré de vos caprices,

Sur moi donc tout à coup fondent vos injustices,

Et trouvent à leurs traits si longtemps retenus,

Afin de mieux frapper, des chemins inconnus ?

Dites, que vous ont fait Rosidor ou Pymante ?

Fournissez de raison, destins, qui me démente ;

Dites ce qu’ils ont fait qui vous puisse émouvoir

À partager si mal entre eux votre pouvoir ?

Lui rendre contre moi l’impossible possible

Pour rompre le succès d’un dessein infaillible,

C’est prêter un miracle à son bras sans secours,

Pour conserver son sang au péril de mes jours.

Trois ont fondu sur lui sans le jeter en fuite ;

À peine en m’y jetant moi-même je l’évite ;

Loin de laisser la vie, il a su l’arracher ;

Loin de céder au nombre, il l’a su retrancher :

Toute votre faveur, à son aide occupée,

Trouve à le mieux armer en rompant son épée,

Et ressaisit ses mains, par celles du hasard,

L’une d’une autre épée, et l’autre d’un poignard.

Ô honte ! ô déplaisirs ! ô désespoir ! ô rage !

Ainsi donc un rival pris à mon avantage

Ne tombe dans mes rets que pour les déchirer !

Son bonheur qui me brave ose l’en retirer,

Lui donne sur mes gens une prompte victoire,

Et fait de son péril un sujet de sa gloire !

Retournons animés d’un courage plus fort,

Retournons, et du moins perdons-nous dans sa mort.

Sortez de vos cachots, infernales Furies ;

Apportez à m’aider toutes vos barbaries ;

Qu’avec vous tout l’enfer m’aide en ce noir dessein

Qu’un sanglant désespoir me verse dans le sein.

J’avais de point en point l’entreprise tramée,

Comme dans mon esprit vous me l’aviez formée ;

Mais contre Rosidor tout le pouvoir humain

N’a que de la faiblesse ; il y faut votre main.

En vain, cruelles sœurs, ma fureur vous appelle ;

En vain vous armeriez l’enfer pour ma querelle :

La terre vous refuse un passage à sortir.

Ouvre du moins ton sein, terre, pour m’engloutir ;

N’attends pas que Mercure avec son caducée

M’en fasse après ma mort l’ouverture forcée ;

N’attends pas qu’un supplice, hélas ! trop mérité,

Ajoute l’infamie à tant de lâcheté ;

Préviens-en la rigueur ; rends toi-même justice

Aux projets avortés d’un si noir artifice.

Mes cris s’en vont en l’air, et s’y perdent sans fruit.

Dedans mon désespoir, tout me fuit ou me nuit :

La terre n’entend point la douleur qui me presse ;

Le ciel me persécute, et l’enfer me délaisse.

Affronte-les, Pymante, et sauve en dépit d’eux

Ta vie et ton honneur d’un pas si dangereux.

Si quelque espoir te reste, il n’est plus qu’en toi-même ;

Et, si tu veux t’aider, ton mal n’est pas extrême.

Passe pour villageois dans un lieu si fatal ;

Et réservant ailleurs la mort de ton rival,

Fais que d’un même habit la trompeuse apparence

Qui le mit en péril, te mette en assurance.

Mais ce masque l’empêche, et me vient reprocher

Un crime qu’il découvre au lieu de me cacher.

Ce damnable instrument de mon traître artifice,

Après mon coup manqué, n’en est plus que l’indice,

Et ce fer qui tantôt, inutile en ma main,

Que ma fureur jalouse avait armée en vain,

Sut si mal attaquer et plus mal me défendre,

N’est propre désormais qu’à me faire surprendre.

(Il jette son masque et son épée dans la grotte.)
Allez, témoins honteux de mes lâches forfaits,

N’en produisez non plus de soupçons que d’effets.

Ainsi n’ayant plus rien qui démente ma feinte,

Dedans cette forêt je marcherai sans crainte,

Tant que…

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