Scène III

Clitandre , en prison.

Je ne sais si je veille, ou si ma rêverie

À mes sens endormis fait quelque tromperie ;

Peu s’en faut, dans l’excès de ma confusion,

Que je ne prenne tout pour une illusion.

Clitandre prisonnier ! je n’en fais pas croyable

Ni l’air sale et puant d’un cachot effroyable

Ni de ce faible jour l’incertaine clarté,

Ni le poids de ces fers dont je suis arrêté ;

Je les sens, je les vois ; mais mon âme innocente

Dément tous les objets que mon œil lui présente

Et, le désavouant, défend à ma raison

De me persuader que je sois en prison.

Jamais aucun forfait, aucun dessein infâme

N’a pu souiller ma main, ni glisser dans mon âme ;

Et je suis retenu dans ces funestes lieux !

Non, cela ne se peut : vous vous trompez, mes yeux ;

J’aime mieux rejeter vos plus clairs témoignages,

J’aime mieux démentir ce qu’on me fait d’outrages,

Que de m’imaginer, sous un si juste roi,

Qu’on peuple les prisons d’innocents comme moi.

Cependant je m’y trouve ; et bien que ma pensée

Recherche à la rigueur ma conduite passée,

Mon exacte censure a beau l’examiner,

Le crime qui me perd ne se peut deviner ;

Et quelque grand effort que fasse ma mémoire,

Elle ne me fournit que des sujets de gloire.

Ah ! prince, c’est quelqu’un de vos faveurs jaloux

Qui m’impute à forfait d’être chéri de vous.

Le temps qu’on m’en sépare, on le donne à l’envie,

Comme une liberté d’attenter sur ma vie.

Le cœur vous le disait, et je ne sais comment

Mon destin me poussa dans cet aveuglement

De rejeter l’avis de mon dieu tutélaire ;

C’est là ma seule faute, et c’en est le salaire,

C’en est le châtiment que je reçois ici.

On vous venge, mon prince, en me traitant ainsi ;

Mais vous saurez montrer, embrassant ma défense,

Que qui vous venge ainsi puissamment vous offense,

Les perfides auteurs de ce complot maudit,

Qu’à me persécuter votre absence enhardit,

À votre heureux retour verront que ces tempêtes,

Clitandre préservé, n’abattront que leurs têtes.

Mais on ouvre, et quelqu’un, dans cette sombre horreur,

Par son visage affreux redouble ma terreur.

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