Scène V

Pymante, Dorise

Pymante , regardant une aiguille qu’elle avait laissée par mégarde dans ses cheveux en se déguisant.

En vain pour m’éblouir vous usez de la ruse,

Mon esprit, quoique lourd, aisément ne s’abuse :

Ce que vous me cachez, je le lis dans vos yeux.

Quelque revers d’amour vous conduit en ces lieux ;

N’est-il pas vrai, monsieur ? et même cette aiguille

Sent assez les faveurs de quelque belle fille :

Elle est, ou je me trompe, un gage de sa foi.

Dorise
Ô malheureuse aiguille ! Hélas ! c’est fait de moi.

Pymante
Sans doute votre plaie à ce mot s’est rouverte.

Monsieur, regrettez-vous son absence, ou sa perte ?

Vous aurait-elle bien pour un autre quitté,

Et payé vos ardeurs d’une infidélité ?

Vous ne répondez point ; cette rougeur confuse,

Quoique vous vous taisiez, clairement vous accuse.

Brisons là : ce discours vous fâcherait enfin,

Et c’était pour tromper la longueur du chemin,

Qu’après plusieurs discours, ne sachant que vous dire,

J’ai touché sur un point dont votre cœur soupire,

Et de quoi fort souvent on aime mieux parler

Que de perdre son temps à des propos en l’air.

Dorise
Ami, ne porte plus la sonde en mon courage :

Ton entretien commun me charme davantage ;

Il ne peut me lasser, indifférent qu’il est ;

Et ce n’est pas aussi sans sujet qu’il me plaît.

Ta conversation est tellement civile,

Que pour un tel esprit ta naissance est trop vile ;

Tu n’as de villageois que l’habit et le rang ;

Tes rares qualités te font d’un autre sang ;

Même, plus je te vois, plus en toi je remarque

Des traits pareils à ceux d’un cavalier de marque :

Il s’appelle Pymante, et ton air et ton port

Ont avec tous les siens un merveilleux rapport.

Pymante
J’en suis tout glorieux, et de ma part je prise

Votre rencontre autant que celle de Dorise,

Autant que si le ciel, apaisant sa rigueur,

Me faisait maintenant un présent de son cœur.

Dorise
Qui nommes-tu Dorise ?

Pymante
Une jeune cruelle

Qui me fuit pour un autre.

Dorise
Et ce rival s’appelle ?

Pymante
Le berger Rosidor.

Dorise
Ami, ce nom si beau

Chez vous donc se profane à garder un troupeau ?

Pymante
Madame, il ne faut plus que mon feu vous déguise

Que sous ces faux habits il reconnaît Dorise.

Je ne suis point surpris de me voir dans ces bois

Ne passer à vos yeux que pour un villageois ;

Votre haine pour moi fut toujours assez forte

Pour déférer sans peine à l’habit que je porte.

Cette fausse apparence aide et suit vos mépris ;

Mais cette erreur vers vous ne m’a jamais surpris ;

Je sais trop que le ciel n’a donné l’avantage

De tant de raretés qu’à votre seul visage,

Sitôt que je l’ai vu, j’ai cru voir en ces lieux

Dorise déguisée, ou quelqu’un de nos dieux ;

Et si j’ai quelque temps feint de vous méconnaître

En vous prenant pour tel que vous vouliez paraître,

Admirez mon amour, dont la discrétion

Rendait à vos désirs cette submission,

Et disposez de moi, qui borne mon envie

À prodiguer pour vous tout ce que j’ai de vie.

Dorise
Pymante, eh quoi ! faut-il qu’en l’état où je suis

Tes importunités augmentent mes ennuis ?

Faut-il que dans ce bois ta rencontre funeste

Vienne encor m’arracher le seul bien qui me reste,

Et qu’ainsi mon malheur au dernier point venu

N’ose plus espérer de n’être pas connu ?

Pymante
Voyez comme le ciel égale nos fortunes,

Et comme, pour les faire entre nous deux communes,

Nous réduisant ensemble à ces déguisements,

Il montre avoir pour nous de pareils mouvements.

Dorise
Nous changeons bien d’habits, mais non pas de visages ;

Nous changeons bien d’habits, mais non pas de courages ;

Et ces masques trompeurs de nos conditions

Cachent, sans les changer, nos inclinations.

Pymante
Me négliger toujours, et pour qui vous néglige !

Dorise
Que veux-tu ? son mépris plus que ton feu m’oblige ;

J’y trouve, malgré moi, je ne sais quel appas,

Par où l’ingrat me tue, et ne m’offense pas.

Pymante
Qu’espérez-vous enfin d’un amour si frivole

Pour cet ingrat amant qui n’est plus qu’une idole ?

Dorise
Qu’une idole ! Ah ! ce mot me donne de l’effroi.

Rosidor une idole ! Ah ! perfide, c’est toi,

Ce sont tes trahisons qui l’empêchent de vivre.

Je t’ai vu dans ce bois moi-même le poursuivre,

Avantagé du nombre, et vêtu de façon

Que ce rustique habit effaçait tout soupçon :

Ton embûche a surpris une valeur si rare.

Pymante
Il est vrai, j’ai puni l’orgueil de ce barbare,

De cet heureux ingrat, si cruel envers vous,

Qui, maintenant par terre et percé de mes coups,

Éprouve par sa mort comme un amant fidèle

Venge votre beauté du mépris qu’on fait d’elle.

Dorise
Monstre de la nature, exécrable bourreau,

Après ce lâche coup qui creuse mon tombeau,

D’un compliment railleur ta malice me flatte !

Fuis, fuis, que dessus toi ma vengeance n’éclate.

Ces mains, ces faibles mains que vont armer les dieux,

N’auront que trop de force à t’arracher les yeux,

Que trop à t’imprimer sur ce hideux visage

En mille traits de sang les marques de ma rage.

Pymante
Le courroux d’une femme, impétueux d’abord,

Promet tout ce qu’il ose à son premier transport ;

Mais comme il n’a pour lui que sa seule impuissance

À force de grossir il meurt en sa naissance ;

Ou s’étouffant soi-même, à la fin ne produit

Que point ou peu d’effet après beaucoup de bruit.

Dorise
Va, va, ne prétends pas que le mien s’adoucisse :

Il faut que ma fureur ou l’enfer te punisse ;

Le reste des humains ne saurait inventer

De gêne qui te puisse à mon gré tourmenter.

Si tu ne crains mes bras, crains de meilleures armes ;

Crains tout ce que le ciel m’a départi de charmes :

Tu sais quelle est leur force, et ton cœur la ressent ;

Crains qu’elle ne m’assure un vengeur plus puissant.

Ce courroux, dont tu ris, en fera la conquête

De quiconque mettra à ma haine exposera ta tête,

De quiconque mettra ma vengeance en mon choix.

Adieu : j’en perds le temps à crier dans ce bois :

Mais tu verras bientôt si je vaux quelque chose,

Et si ma rage en vain se promet ce qu’elle ose.

Pymante
J’aime tant cette ardeur à me faire périr,

Que je veux bien moi-même avec vous y courir.

Dorise
Traître ! ne me suis point.

Pymante
Prendre seule la fuite !

Vous vous égareriez à marcher sans conduite ;

Et d’ailleurs votre habit, où je ne comprends rien,

Peut avoir du mystère aussi bien que le mien.

L’asile dont tantôt vous faisiez la demande

Montre quelque besoin d’un bras qui vous défende ;

Et mon devoir vers vous serait mal acquitté,

S’il ne vous avait mise en lieu de sûreté.

Vous pensez m’échapper quand je vous le témoigne ;

Mais vous n’irez pas loin que je ne vous rejoigne.

L’amour que j’ai pour vous, malgré vos dures lois,

Sait trop ce qu’il vous doit, et ce que je me dois.

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