Scène III

Rosidor, Caliste

Caliste

Celle qui voudrait voir tes blessures guéries,

Celle…

Rosidor
Ah ! mon heur, jamais je n’obtiendrais sur moi

De pardonner ce crime à tout autre qu’à toi.

De notre amour naissant la douceur et la gloire

De leur charmante idée occupaient ma mémoire ;

Je flattais ton image, elle me reflattait ;

Je lui faisais des vœux, elle les acceptait ;

Je formais des désirs, elle en aimait l’hommage.

La désavoueras-tu, cette flatteuse image ?

Voudras-tu démentir notre entretien secret ?

Seras-tu plus mauvaise enfin que ton portrait ?

Caliste
Tu pourrais de sa part te faire tant promettre,

Que je ne voudrais pas tout à fait m’y remettre ;

Quoiqu’à dire le vrai je ne sais pas trop bien

En quoi je dédirais ce secret entretien,

Si ta pleine santé me donnait lieu de dire

Quelle borne à tes vœux je puis et dois prescrire.

Prends soin de te guérir, et les miens plus contents…

Mais je te le dirai quand il en sera temps.

Rosidor
Cet énigme enjoué n’a point d’incertitude

Qui soit propre à donner beaucoup d’inquiétude,

Et si j’ose entrevoir dans son obscurité,

Ma guérison importe à plus qu’à ma santé.

Mais dis tout, ou du moins souffre que je devine,

Et te dise à mon tour ce que je m’imagine.

Caliste
Tu dois, par complaisance au peu que j’ai d’appas,

Feindre d’entendre mal ce que je ne dis pas,

Et ne point m’envier un moment de délices

Que fait goûter l’amour en ces petits supplices.

Doute donc, sois en peine, et montre un cœur gêné

D’une amoureuse peur d’avoir mal deviné ;

Tremble sans craindre trop ; hésite, mais aspire ;

Attends de ma bonté qu’il me plaise tout dire,

Et sans en concevoir d’espoir trop affermi,

N’espère qu’à demi, quand je parle à demi.

Rosidor
Tu parles à demi, mais un secret langage

Qui va jusques au cœur m’en dit bien davantage,

Et tes yeux sont du tien de mauvais truchements,

Ou rien plus ne s’oppose à nos contentements.

Caliste
Je l’avais bien prévu, que ton impatience

Porterait ton espoir à trop de confiance ;

Que, pour craindre trop peu, tu devinerais mal.

Rosidor
Quoi ! la reine ose encor soutenir mon rival ?

Et sans avoir d’horreur d’une action si noire…

Caliste
Elle a l’âme trop haute et chérit trop la gloire

Pour ne pas s’accorder aux volontés du roi,

Qui d’un heureux hymen récompense ta foi…

Rosidor
Si notre heureux malheur a produit ce miracle,

Qui peut à nos désirs mettre encor quelque obstacle ?

Caliste
Tes blessures.

Rosidor
Allons, je suis déjà guéri.

Caliste
Ce n’est pas pour un jour que je veux un mari,

Et je ne puis souffrir que ton ardeur hasarde

Un bien que de ton roi la prudence retarde.

Prends soin de te guérir, mais guérir tout à fait,

Et crois que tes désirs…

Rosidor
N’auront aucun effet.

Caliste
N’auront aucun effet ! Qui te le persuade ?

Rosidor
Un corps peut-il guérir, dont le cœur est malade ?

Caliste
Tu m’as rendu mon change, et m’as fait quelque peur ;

Mais je sais le remède aux blessures du cœur.

Les tiennes, attendant le jour que tu souhaites,

Auront pour médecins mes yeux qui les ont faites ;

Je me rends désormais assidue à te voir.

Rosidor
Cependant, ma chère âme, il est de mon devoir

Que sans perdre de temps j’aille rendre en personne

D’humbles grâces au roi du bonheur qu’il nous donne.

Caliste
Je me charge pour toi de ce remercîment.

Toutefois qui saurait que pour ce compliment

Une heure hors d’ici ne pût beaucoup te nuire,

Je voudrais en ce cas moi-même t’y conduire,

Et j’aimerais mieux être un peu plus tard à toi,

Que tes justes devoirs manquassent vers ton roi.

Rosidor
Mes blessures n’ont point, dans leurs faibles atteintes,

Sur quoi ton amitié puisse fonder ses craintes.

Caliste
Viens donc, et puisqu’enfin nous faisons mêmes vœux,

En le remerciant parle au nom de tous deux.

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