À Mademoiselle M. F. D. R.
Mademoiselle,
Voici un étrange monstre que je vous dédie. Le premier acte n’est qu’un prologue ; les trois suivants font une comédie imparfaite, le dernier est une tragédie : et tout cela, cousu ensemble, fait une comédie. Qu’on en nomme l’invention bizarre et extravagante tant qu’on voudra, elle est nouvelle ; et souvent la grâce de la nouveauté, parmi nos Français, n’est pas un petit degré de bonté. Son succès ne m’a point fait de honte sur le théâtre, et j’ose dire que la représentation de cette pièce capricieuse ne vous a point déplu, puisque vous m’avez commandé de vous en adresser l’épître quand elle irait sous la presse. Je suis au désespoir de vous la présenter en si mauvais état, qu’elle en est méconnaissable : la quantité de fautes que l’imprimeur a ajoutées aux miennes la déguise, ou pour mieux dire, la change entièrement. C’est l’effet de mon absence de Paris, d’où mes affaires m’ont rappelé sur le point qu’il l’imprimait, et m’ont obligé d’en abandonner les épreuves à sa discrétion. Je vous conjure de ne la lire point que vous n’ayez pris la peine de corriger ce que vous trouverez marqué ensuite de cette épître. Ce n’est pas que j’y aie employé toutes les fautes qui s’y sont coulées ; le nombre en est si grand qu’il eût épouvanté le lecteur : j’ai seulement choisi celles qui peuvent apporter quelque corruption notable au sens, et qu’on ne peut pas deviner aisément. Pour les autres, qui ne sont que contre la rime, ou l’orthographe, ou la ponctuation, j’ai cru que le lecteur judicieux y suppléerait sans beaucoup de difficulté, et qu’ainsi il n’était pas besoin d’en charger cette première feuille. Cela m’apprendra à ne hasarder plus de pièces à l’impression durant mon absence. Ayez assez de bonté pour ne dédaigner pas celle-ci, toute déchirée qu’elle est ; et vous m’obligerez d’autant plus à demeurer toute ma vie,
Mademoiselle,
Le plus fidèle et le plus passionné de vos serviteurs,
Corneille.