Scène première

Hippolyte, Dorimant

Hippolyte
Ne me contez point tant que mon visage est beau :

Ces discours n’ont pour moi rien du tout de nouveau ;

Je le sais bien sans vous, et j’ai cet avantage,

Quelques perfections qui soient sur mon visage,

Que je suis la première à m’en apercevoir :

Pour me les bien apprendre, il ne faut qu’un miroir ;

J’y vois en un moment tout ce que vous me dites.

Dorimant
Mais vous n’y voyez pas tous vos rares mérites :

Cet esprit tout divin et ce doux entretien

Ont des charmes puissants dont il ne montre rien.

Hippolyte
Vous les montrez assez par cette après-dînée

Qu’à causer avec moi vous vous êtes donnée ;

Si mon discours n’avait quelque charme caché,

Il ne vous tiendrait pas si longtemps attaché.

Je vous juge plus sage, et plus aimer votre aise,

Que d’y tarder ainsi sans que rien vous y plaise ;

Et si je présumais qu’il vous plût sans raison,

Je me ferais moi-même un peu de trahison ;

Et par ce trait badin qui sentirait l’enfance,

Votre beau jugement recevrait trop d’offense.

Je suis un peu timide, et dût-on me jouer,

Je n’ose démentir ceux qui m’osent louer.

Dorimant
Aussi vous n’avez pas le moindre lieu de craindre

Qu’on puisse, en vous louant ni vous flatter ni feindre ;

On voit un tel éclat en vos brillants appas,

Qu’on ne peut l’exprimer, ni ne l’adorer pas.

Hippolyte
Ni ne l’adorer pas ! Par là vous voulez dire…

Dorimant
Que mon cœur désormais vit dessous votre empire,

Et que tous mes desseins de vivre en liberté

N’ont rien eu d’assez fort contre votre beauté.

Hippolyte
Quoi ? mes perfections vous donnent dans la vue ?

Dorimant
Les rares qualités dont vous êtes pourvue

Vous ôtent tout sujet de vous en étonner.

Hippolyte
Cessez aussi, monsieur, de vous l’imaginer.

Si vous brûlez pour moi, ce ne sont pas merveilles ;

J’ai de pareils discours chaque jour aux oreilles,

Et tous les gens d’esprit en font autant que vous.

Dorimant
En amour toutefois je les surpasse tous.

Je n’ai point consulté pour vous donner mon âme ;

Votre premier aspect sut allumer ma flamme,

Et je sentis mon cœur, par un secret pouvoir,

Aussi prompt à brûler que mes yeux à vous voir.

Hippolyte
Avoir connu d’abord combien je suis aimable,

Encor qu’à votre avis il soit inexprimable,

Ce grand et prompt effet m’assure puissamment

De la vivacité de votre jugement.

Pour moi, que la nature a faite un peu grossière,

Mon esprit, qui n’a pas cette vive lumière,

Conduit trop pesamment toutes ses fonctions

Pour m’avertir sitôt de vos perfections.

Je vois bien que vos feux méritent récompense :

Mais de les seconder ce défaut me dispense.

Dorimant
Railleuse !

Hippolyte
Excusez-moi, je parle tout de bon.

Dorimant
Le temps de cet orgueil me fera la raison ;

Et nous verrons un jour, à force de services,

Adoucir vos rigueurs et finir mes supplices.

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